Canada
Le Canada
Le Canada tire son nom de Kanata qui, dans la langue des Iroquois, tribu indienne, signifie “groupe de cabanes”. Quant à vous, vous connaissez peut-être le Canada comme le pays des trappeurs et des Esquimaux, de l’orignal et de l’ours polaire, et, bien sûr, des tuniques rouges de la “Police montée”, la Gendarmerie royale canadienne dont on dit qu’‘elle ne rate jamais son homme’.
Mais le Canada d’aujourd’hui est bien plus que cela. Ce vaste pays de 9 976 139 kilomètres carrés est le deuxième pays du monde pour la superficie. Il s’étend en Amérique du Nord, d’est en ouest, de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique. Il est bordé au sud par les États-Unis, au nord par les eaux glaciales de l’océan Arctique.
Le Canada englobe dans ses frontières les majestueuses montagnes Rocheuses, des milliers de lacs et de rivières aux eaux limpides, et les célèbres chutes du Niagara. Citons encore les prairies avec leurs vastes champs de céréales dorées, et les immenses forêts de pins, d’épinettes, d’érables, de sapins et de bouleaux.
Le pays compte 23 000 000 d’habitants. En raison de sa politique d’immigration relativement libérale, le Canada englobe parmi sa population des Autrichiens, des Hollandais, des Allemands, des Grecs, des Hongrois, des Italiens, des juifs, des Latino-américains des Polonais, des Portugais, des Russes, des Scandinaves, des Espagnols, des Ukrainiens, des Antillais et des Yougoslaves. Des pays de l’Orient sont venus des Arabes, des Chinois, des Indiens, des Philippins, des Japonais, des Coréens et des Pakistanais. Avant l’arrivée des Blancs, ce pays était le domaine des Esquimaux et de nombreuses et pittoresques nations amérindiennes. Heureusement, on rencontre encore quelques représentants de ces peuples, entre autres les Cris, les Cayugas, les Mohawks, les Ojibways, les Kutanais et les Haïdas.
En 1534, l’explorateur français Jacques Cartier débarqua ici, et en 1604 la première colonie française permanente fut fondée dans ce qui aujourd’hui constitue l’Est du Canada. Vers la fin du XVIe siècle, les Anglais arrivèrent à Terre-Neuve et sur les côtes avoisinantes, puis ils s’établirent plus tard dans les territoires actuellement appelés la Nouvelle-Écosse, le Québec et l’Ontario. En 1763, le Canada fut rattaché à l’Empire britannique, tout en conservant le français et l’anglais comme langues officielles. Le pays se forma en confédération en 1867 et obtint l’égalité de statut dans le cadre du Commonwealth britannique en 1931. Aujourd’hui, le Canada se compose de 10 provinces et de deux territoires.
La majorité de la population habite une étroite bande de territoire en bordure des États-Unis. Dès qu’on se dirige vers le nord, le nombre d’habitants au kilomètre carré baisse rapidement. Étant donné que 90 pour cent de la population n’occupent qu’environ
12 pour cent de la superficie, la plus grande partie du pays reste inhabitée et inexploitée par l’homme. Cette situation s’explique en partie par le climat rigoureux qui règne dans le Nord, bien que l’été y soit agréable et ensoleillé.Comme on le pense bien, les nombreux immigrants ont apporté au Canada leurs coutumes pittoresques et diverses religions. On y trouve des adeptes du bouddhisme, de l’islamisme, du judaïsme et de l’hindouisme. Mais les groupements les plus importants sont constitués par les religions dites chrétiennes. Les catholiques forment le groupe le plus nombreux, avec près de 10 000 000 de membres, habitant en majorité dans la province de Québec. L’Église unie compte plus de 3 000 000 de membres et l’Église anglicane 2 500 000. Les petits groupements protestants comme les presbytériens et les baptistes, de même que les catholiques orthodoxes, constituent la majeure partie du reste de la population. Enfin, bien des gens n’appartiennent à aucune religion.
UNE LUEUR APPARAÎT DANS L’EST
C’est vers 1880 qu’une faible lueur, le reflet d’une véritable lumière spirituelle, fit son apparition au Canada. Certains Canadiens reçurent, de leurs amis et parents habitant les États-Unis, des publications contenant le message réconfortant du rétablissement de toutes choses par le Royaume de Dieu aux mains de Jésus Christ glorifié (Actes 3:19-21; Rév. 21:1-5). Une de ces publications, Nourriture pour les chrétiens réfléchis, parue en 1881, fut favorablement acceptée ici. Avec quelle énergie elle dévoilait les erreurs doctrinales enseignées dans les Églises de la chrétienté!
Cette bonne nouvelle était proclamée par Charles Russell et un petit groupe d’Étudiants de la Bible, dont le siège se trouvait à Allegheny (aujourd’hui dans la banlieue de Pittsburgh), en Pennsylvanie, aux États-Unis. Qui étaient ces Canadiens qui réagissaient favorablement au message du Royaume? De cette lettre d’un homme de l’Ontario (publiée dans La Tour de Garde anglaise de janvier/février 1882), il ressort une véritable gratitude pour la vérité biblique:
“Pourriez-vous me dire comment faire pour rompre mes relations avec l’Église dont je suis membre? Je suis d’avis que je ne devrais pas la fréquenter, car ce serait en approuver l’enseignement, auquel je ne crois plus. Il y a longtemps d’ailleurs que je n’y crois plus, mais je ne connaissais pas de meilleure voie. Maintenant, grâce à Dieu, c’est différent. Bien à vous, dans l’espérance de la vie éternelle.”
Un des premiers Étudiants de la Bible au Canada était William Brookman, apparemment un ancien ecclésiastique. Sous sa direction, une “ecclésia” ou classe se réunissait régulièrement à Toronto.
Un des autres premiers Canadiens à accepter la vérité biblique fut Thomas Baker, propriétaire d’une scierie à Elba, en Ontario, petite localité située à 80 kilomètres environ au nord-ouest de Toronto. Très religieux, Baker avait été le surveillant de l’école du dimanche anglicane. Mais avant longtemps, dans sa scierie, on entendit, outre le bruit strident des scies, le son harmonieux de la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Voici ce qu’en dit sa fille Annie: “Chaque client recevait un tract, une brochure ou un livre. Je ne crois pas qu’il en ait manqué un seul!”
Thomas Baker étant très connu, son départ de l’église établie de sa localité souleva de nombreuses questions. De fait, il publia une brochure pour expliquer les raisons de son geste. Baker mourut en 1906, et le discours funèbre fut prononcé par quelqu’un à qui il avait enseigné la vérité de la Parole de Dieu.
Vers la fin des années 1880, les colporteurs (proclamateurs à plein temps du Royaume) apportèrent la “bonne nouvelle” à Caleb Crandell. Il accepta des publications bibliques et reçut les visiteurs dans sa maison à Crandell’s Corners (maintenant incorporé à Port Perry), en Ontario. On n’y forma pas de groupe d’étude à ce moment-là, mais nous savons que Crandell vint au moins une fois à Toronto, pour écouter une conférence de C. Russell à Massey Hall. Il était enchanté de ce qu’il voyait et entendait. Voici son histoire, comme il l’a racontée maintes et maintes fois: Plusieurs ecclésiastiques, invités sur l’estrade pour poser des questions au conférencier, étaient visiblement agacés d’être incapables de réfuter les réponses logiques de Russell, basées sur la Bible. Ils cherchèrent alors à le bombarder de questions, tous en même temps. Russell les pria calmement de se conduire en gens bien élevés, disant qu’il répondrait volontiers à chaque question. Crandell fut impressionné de voir l’incapacité des ecclésiastiques de réfuter les arguments bibliques de Russell. Au bout d’un moment, ils quittèrent la scène et disparurent dans la foule.
LA VÉRITÉ BIBLIQUE ATTEINT L’OUEST DU CANADA
La lumière de la vérité brillait déjà assez fort dans l’Est du Canada lorsqu’un rayon de cette lumière pénétra dans les ténèbres spirituelles de l’Ouest du pays. En 1889, William Flewwelling, de Carberry, au Manitoba, entra en possession du livre “Le divin Plan des Âges”, le premier volume de la série de livres intitulée L’Aurore du Millénium de C. Russell (appelée plus tard Études des Écritures). Convaincu qu’il avait trouvé la vérité, Flewwelling en parla à d’autres, surtout après s’être installé à Vancouver, en Colombie-Britannique, en 1890. Parmi ceux qui l’écoutèrent d’une oreille attentive, il y avait un certain Robert Pollock. Peu après, des groupes d’étude
biblique se réunissaient chez les Pollock. À notre connaissance, c’est le premier de ces groupes qui ait existé sur la côte ouest du Canada.Plus tard, William Flewwelling participa à la création de groupes d’étude biblique à Asquith (à environ 30 kilomètres à l’ouest de Saskatoon) et à Wadena, en Saskatchewan. Par la suite (en 1934), il s’installa à Witchekan, en Saskatchewan, et proclama la “bonne nouvelle” dans toute cette partie de la province. Il mourut à Chitek Lake en 1945, mais un grand nombre de ses parents continuent l’œuvre de prédication du Royaume qu’il avait inaugurée dans cette région.
Bien entendu, la vérité biblique atteignit l’Ouest canadien par d’autres moyens aussi. En 1889, l’année même où Flewwelling apprit à connaître la vérité, lors d’une vente aux enchères de chevaux à Fargo, dans le Dakota du Nord, un homme bien intentionné lança un périodique à un Canadien étendu sur son lit de camp. “Mais, dit-il. Voilà quelque chose qui t’intéressera!” Leslie Mais était venu vendre un troupeau de chevaux qu’il avait élevés dans sa ferme de Fort Qu’Appelle, dans les Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui en Saskatchewan). Membre de l’Église anglicane et fervent lecteur de la Bible, il parlait à d’autres de ce qu’il lisait. Cela explique que cet homme ait lancé ce périodique sur sa couchette. Leslie Mais lut entièrement ce numéro de La Tour de Garde, s’abonna à ce périodique et continua à le lire jusqu’à sa mort en 1924.
LA PREMIÈRE VISITE DE C. RUSSELL AU CANADA
En 1891, il y avait déjà suffisamment d’Étudiants de la Bible dans la région de Toronto pour qu’on y organise le premier congrès d’un jour. C’est alors que, pour la première fois, le pasteur Russell visita ses compagnons dans la foi au Canada. Le 22 février, à la séance du matin, plus de 400 personnes écoutèrent sa conférence de plus de deux heures. L’après-midi, environ 700 personnes assistèrent à une autre conférence de deux heures de frère Russell. Le soir, il fit un discours devant une congrégation à l’autre extrémité de Toronto, puis il revint au lieu du congrès avant 21 heures pour participer à une séance de questions et réponses. Quelle journée bien remplie!
L’ESSOR DE L’ŒUVRE SUSCITE DE L’OPPOSITION
Le rythme de l’expansion de la “bonne nouvelle” s’accélérait dans le pays. Au début de 1891, un colporteur écrivait: “Je ne suis au Canada que depuis quelque temps, mais j’ai eu le privilège de pouvoir éveiller beaucoup d’intérêt, et l’œuvre de la moisson est bien commencée par ici. (...) Plus de 5 000 livres AURORE [volumes de
L’Aurore du Millénium] ont déjà été placés en Ontario, et l’œuvre ne fait que commencer.”Mais cette activité n’alla pas sans soulever l’opposition du clergé. Au moins deux pasteurs de la chrétienté brûlèrent en public des exemplaires de L’Aurore du Millénium en Ontario, et dénoncèrent frère Russell, de même que les distributeurs de ces livres.
Pendant cette période, l’hebdomadaire Review de Niagara Falls publiait les sermons de C. Russell. Le propriétaire de ce journal était frère James Anger, qui admettait ce qui suit: “J’avais réussi [dès 1892] à me faire boycotter par les cochers de fiacre, les profanateurs du sabbat, les hôteliers, l’Église catholique et les Églises protestantes de la ville.” Il finit par être obligé de vendre le journal. Mais les descendants de frère Anger sont toujours actifs comme Témoins de Jéhovah, et l’on compte une vingtaine de congrégations chrétiennes spirituellement prospères dans cette partie de la péninsule de Niagara.
Malgré l’opposition du clergé, au début des années 1890, certains pasteurs et anciens ecclésiastiques commençaient à discerner la vérité sur les questions bibliques. De plus, ils comprenaient leur responsabilité d’enseigner cette vérité à d’autres. Un de ces hommes, John Lawson, écrivit ce qui suit à frère Russell en 1892:
“Le Seigneur m’avait préparé depuis des années pour ces vérités concernant le Millénium. En 1874, j’ai quitté le [démissionné du] ministère de l’Église méthodiste primitive en Angleterre, que j’avais exercé pendant neuf ans (...). Depuis lors, j’ai étudié les prophéties, et vos volumes m’ont procuré une richesse, une plénitude dans ce domaine d’étude, dépassant tout ce que j’avais connu auparavant. Leur lecture est pour moi comme un banquet de ‘nourriture au temps convenable’ — et c’est justement cela que sont les vérités pour la maisonnée de la foi. (...)
“J’aimerais me rendre utile aux chrétiens vigilants et consacrés; mais ici, dans la brousse [canadienne], je crains de ne pouvoir faire grand-chose. J’aimerais savoir quelles sont les dispositions de la [Société] à l’égard des colporteurs et si elle connaît un territoire où il en existe un besoin urgent.”
À mesure que de plus en plus de gens apprenaient à connaître la vérité divine et comprenaient la nécessité urgente de la proclamer à d’autres, le rythme de l’activité pour le Royaume allait en s’accélérant. Des groupes d’Étudiants de la Bible apparaissaient ici et là. Par exemple, l’année 1892 marqua le début des réunions chrétiennes à Victoria, en Colombie-Britannique.
En cette même année, Matthew Nelson, de Carberry, au Manitoba, entendit et accepta le message du Royaume. En 1893, il s’installa à Grandview, Manitoba, et y planta la semence de la vérité
biblique. Il n’hésitait pas à parcourir plus de 20 kilomètres en chariot, par des chemins boueux, pour visiter quelqu’un qui s’intéresserait peut-être à la vérité. Ce n’était pas chose facile. Parmi les membres de sa propre famille, sa mère, ses sœurs et plusieurs parents par alliance réagirent favorablement à ses efforts. Le 22 novembre 1914, la première congrégation fut fondée à Grandview, et frère Nelson eut le privilège d’en être le surveillant. Véritable “boute-en-train” (comme les Étudiants de la Bible de la localité l’appelaient affectueusement), Matthew Nelson fut une source d’encouragement pour tous ses compagnons chrétiens jusqu’à sa mort en 1945.L’ŒUVRE DÉBUTE DANS LES PROVINCES MARITIMES
Parmi ceux qui apprirent à connaître la vérité vers 1892, citons Arthur Marchant et W. Dowden, de Halifax, en Nouvelle-Écosse. Eux aussi apprirent qu’être chrétien, c’est faire quelque chose, c’est vivre la “bonne nouvelle” et en parler. Marchant, de caractère très énergique, ne tarda pas à devenir colporteur, convaincu que rien n’était plus important que de proclamer la “bonne nouvelle”. Dès 1895, il donna systématiquement le témoignage, parcourant fréquemment et entièrement les Provinces maritimes, y compris l’île du Prince-Édouard, et posa ainsi les fondements d’un excellent développement futur.
Arthur Marchant aida spirituellement ceux qui s’intéressaient à la vérité en fondant des groupes d’étude et en apprenant à certains à donner le témoignage. Il baptisa aussi ceux qui étaient prêts à faire ce pas important.
Rappelons que cette œuvre s’effectuait dans des conditions bien différentes de celles d’aujourd’hui pour ce qui est du confort et de la commodité des voyages. Souvent, frère Marchant devait parcourir de nombreux kilomètres à pied, parfois à bicyclette. En hiver, il se déplaçait en automobile s’il en avait une. Mais en ce temps-là, les voitures n’étaient pas chauffées. Ella Dow se rappelle qu’un jour Marchant arriva chez elle, à la campagne, dans une voiture découverte, “transi jusqu’aux os”, dit-elle; elle ajouta: “J’ai dû lui frotter les jambes avec du liniment et lui dire de les mettre dans le four ouvert pour se réchauffer un peu.”
Frère Marchant ne renonça jamais, même avec les années. Un jour, pendant la Première Guerre mondiale, il fut arrêté à Halifax pour avoir distribué le livre “Le mystère accompli”. Sa caution fut fixée à 10 000 dollars! Lorsque le juge lui demanda son métier, il répondit sans hésiter: “Ministre du Dieu Très-Haut.” Arthur Marchant acheva fidèlement sa course le 23 mai 1940. Mais quelle œuvre extraordinaire il avait accomplie pendant près de 50 ans!
Aujourd’hui, sur les 132 000 kilomètres carrés qu’il parcourait avec tant de zèle, il y a plus de 80 congrégations et plus de 4 500 Témoins de Jéhovah actifs.“COMME UN FEU BRÛLANT”
Les Provinces maritimes évoquent le souvenir d’un Canadien pour qui la Parole de Dieu finit par devenir “comme un feu brûlant”. (Jér. 20:9.) Il fallait qu’il en parle. Né au Canada le 2 juillet 1877, il habitait avec ses parents presbytériens une localité catholique de Nouvelle-Écosse. Son nom? Alexander Macmillan.
Âgé seulement de 13 ans lorsque sa sœur cadette mourut de diphtérie, le jeune Macmillan se tint le raisonnement suivant: “La vie est courte et pleine d’incertitudes. S’il y a un rapport quelconque entre ce que nous faisons ici-bas et ce que nous serons dans l’au-delà, alors nous serions absolument insensés de ne pas consacrer notre temps à servir le Seigneur, dans l’espoir de trouver quelque chose de meilleur pour toute l’éternité. En ce qui me concerne, je vais entreprendre quelque chose qui, je crois, plaira au Seigneur.”
À 16 ans, Macmillan décida de devenir prédicateur. Il quitta la maison pour fréquenter l’école, en vue de préparer son entrée dans un séminaire de théologie. Mais là, pour une raison quelconque, il fit une dépression nerveuse. Le cœur brisé, pour ainsi dire, Macmillan rentra chez lui. Son père, très compréhensif, lui remit de l’argent et, peu après, le jeune homme partait pour Boston, au Massachusetts. Là, il trouva un exemplaire du livre “Le Plan des Âges” (ou “Le divin Plan des Âges”) de C. Russell. Les vérités que contenait ce livre devinrent, chez Macmillan, “comme un feu brûlant”. Incapable de se retenir, il sortit dans la rue et arrêta les passants pour leur parler de ce qu’il avait appris.
Un jour, Macmillan aborda un inconnu et lui demanda: “Savez-vous que Dieu a promis à Abraham que par sa postérité toutes les familles de la terre seraient bénies?” Surpris, l’homme répondit: “De quel Abraham parlez-vous? Du prêteur à gages de Salem Street?”
Enfin, Macmillan commençait à atteindre l’objectif de sa jeunesse: devenir prédicateur. En septembre 1900, il fut baptisé pour symboliser l’offrande de sa personne à Jéhovah Dieu. Au cours des années, il devait proclamer la “bonne nouvelle” un peu partout, visiter des congrégations et affermir spirituellement ses compagnons dans la foi. Il acheva fidèlement sa course terrestre en tant que membre de la famille du Béthel de Brooklyn le 26 août 1966, à l’âge de 89 ans.
LES VISITES ÉDIFIANTES DES “PÈLERINS”
A. Macmillan collaborait étroitement avec C. Russell, et tous deux étaient pleins de sollicitude pour leurs compagnons dans le culte de Jéhovah. Russell avait visité de nombreux groupes d’Étudiants de la Bible au Canada à l’occasion de leurs congrès d’un jour, mais il se fondait de nouvelles congrégations, ou ecclésias, un peu partout, et il ne lui était plus possible de les visiter toutes. Et cependant, ces visites, les discours prononcés et la bonne compagnie contribuaient pour beaucoup à fortifier spirituellement le peuple de Dieu. C’est pourquoi, le 1er septembre 1894, La Tour de Garde annonça qu’un certain nombre de frères compétents seraient désignés pour visiter les congrégations. Ce service, effectué par des représentants itinérants de la Société Watch Tower, fut plus tard appelé l’œuvre des “pèlerins”. Comment se passait la visite d’un de ces pèlerins? On peut s’en faire une idée d’après cette lettre adressée à frère Russell:
“Frère [George] Draper est reparti après sa visite. (...) Nous n’étions pas nombreux aux réunions, mais je crois pouvoir dire que chaque visage reflétait un intérêt intense, et que notre petit groupe, de même que quelques personnes de l’extérieur, a été profondément impressionné par toutes ces réunions, qui ont eu lieu dans notre nouvelle salle [à Toronto].
“Le dimanche matin, à 10 h 30, environ quarante personnes se sont réunies à Balmy Beach (...) pour assister au symbole du baptême dans l’eau. La matinée était ensoleillée, fraîche, et le vent soulevait des vagues assez hautes, ce qui ne faisait qu’augmenter encore l’intérêt de l’événement. Quatre sœurs et cinq frères ont été [baptisés] (...). Notre petit groupe reprit joyeusement le chemin du retour, pour se réunir à nouveau dans notre salle à 15 heures et écouter notre cher frère Draper exposer d’autres enseignements précieux de la Sainte Parole.
“À 19 heures commençait notre dernière réunion. Il y avait 88 ou 90 personnes dans la salle, dont de nombreux amis et connaissances des chers frères et sœurs présents (...). Vers 21 h 30, notre festin de mets gras se termina, et il aurait été difficile de se représenter des visages plus heureux que les nôtres, tous débordaient de joie à la pensée des choses précieuses qu’ils avaient entendues.”
En 1905, William Hersee, de Hamilton, en Ontario, put s’organiser pour participer à l’œuvre de pèlerin. Financièrement à l’aise, Hersee aurait pu rester à Hamilton, mais il ne tarda pas à être bien connu un peu partout en Amérique du Nord, car il servit de nombreuses années comme pèlerin au Canada et aux États-Unis.
Frère Hersee, qui avait été baptisé en 1893, à London, en Ontario, était un homme de petite taille, mais d’un port imposant. Surtout dans sa vieillesse, ses cheveux blancs rehaussaient encore sa gentillesse,
qui se manifestait tout spécialement envers les enfants et les jeunes. Voici le souvenir qu’en a gardé un frère qui, à l’époque, n’était qu’un enfant:“Après le dîner, frère Hersee nous amena, mon frère Joe et moi, dans les champs pour une petite promenade. Nous nous assîmes appuyés contre un poteau, et nous regardâmes, en direction du soleil couchant, les champs fraîchement labourés. Quiconque a vu un coucher de soleil dans les prairies peut se représenter le tableau: le ciel bleu, l’horizon cramoisi avec de longues traînées orange, et le soleil, comme une grosse boule de feu, disparaissant lentement. Autour de nous, on entendait dans les arbres le gazouillis des oiseaux se préparant pour la nuit, et dans le pâturage sur notre droite, le hennissement des chevaux qui broutaient. Quel cadre merveilleux pour parler de la création de Dieu et de son Royaume en compagnie de cet homme doux et pieux! Ce fut un moment inoubliable.”
Même aujourd’hui, une cinquantaine d’années après que frère Hersee les visitait, il y a encore des gens qui se rappellent son activité avec affection et reconnaissance. C’est surtout dans ses prières qu’il impressionnait jeunes et vieux par la profondeur de sa spiritualité. Un certain couple raconte: “Il était pour nous d’un grand encouragement. Ses prières nous incitaient vraiment à l’action, car il semblait vous transporter jusque dans les parvis célestes.”
William Hersee servit fidèlement Jéhovah et ses compagnons dans le culte du vrai Dieu pendant un demi-siècle. La fin de son service terrestre arriva en 1943. On comprend facilement que, par leurs efforts humbles et pieux, ces pèlerins du passé aient pu fortifier spirituellement leurs frères et sœurs dans la foi.
UNE LUMIÈRE ACCRUE AU MANITOBA
Le merveilleux message du ‘rétablissement de toutes choses’ atteignit Rapid City, au Manitoba, en 1898 (Actes 3:19-21). Le colporteur Geoffrey Webb arriva dans cette ville et donna le témoignage à un groupe de commerçants réunis autour du poêle dans l’arrière-boutique de A. Leflar. Pendant quelque temps, Bowen Smith, anglican convaincu, propriétaire du chantier de bois, contredit Webb. Mais Smith finit par être convaincu et, avec Leflar et plusieurs autres, il organisa la première ecclésia d’Étudiants de la Bible dans cette région du Canada.
Leflar s’adonna à l’œuvre d’enseignement de tout son cœur. Se déplaçant en voiture à cheval, il prêcha avec enthousiasme dans toute la région avoisinante. Lorsque C. Russell visita la région pour y donner des discours, la voiture à cheval de Leflar s’avéra d’une grande utilité. Même aujourd’hui encore, on peut s’imaginer le conducteur
et son visiteur dans cette voiture à cheval, se déplaçant d’un endroit à un autre dans l’immensité des prairies.Au cours des années, la maison de Leflar devint le centre des activités chrétiennes dans cette région du Canada. C’était le point de ralliement de nombreux colporteurs et pèlerins. On y organisa de petits congrès. Lorsqu’une congrégation fut formée, A. Leflar en devint le premier surveillant. Cependant, ses activités et celles des autres Étudiants de la Bible de la région ne se firent pas sans sacrifices, ni sans rencontrer d’opposition. Les gens exprimaient leur mépris et leur haine envers “les Russellistes”, comme ils les appelaient, ce qui rendait la vie difficile à ces chrétiens. Néanmoins, ils endurèrent la persécution, et frère Leflar servit fidèlement jusqu’à sa mort en 1946.
LA VÉRITÉ PREND RACINE EN ALBERTA
La même détermination chrétienne et le même esprit de sacrifice firent également l’objet de la bénédiction de Jéhovah à Calmar, en Alberta. En 1895, August Dahlquist, Étudiant de la Bible, arriva à Calmar, venant du Dakota du Nord. En 1899, il fut suivi d’une véritable “marée” de Scandinaves, lorsque des familles dénommées Anderson, Engberg, Hammer, Melin et Peterson quittèrent la région de De Lamere, dans le Dakota du Nord, pour s’établir à Calmar. Ces familles étaient déjà des Étudiants de la Bible actifs aux États-Unis.
Parmi ces familles de pionniers, citons celle de Knud Hammer. Ce ministre baptiste ordonné, demeurant dans le Dakota du Nord reçut un livre d’un Étudiant de la Bible en 1890. D’après un de ses descendants, le prédicateur “ne tarda pas à reconnaître que ce livre contenait la vérité. Ainsi, en 1891, K. Hammer se leva dans l’église et informa ses paroissiens que lui, sa femme et leur bébé allaient quitter ‘Babylone’. Ils sortirent de l’église avec leur fille Hannah dans les bras, pour ne jamais revenir dans les antres du faux culte”.
En 1892, frère Hammer visita sa ville natale de Skien, en Norvège. À la suite de sa visite, sa mère et sa sœur commencèrent à s’intéresser au message du Royaume.
Un descendant de frère Hammer donne quelques détails sur les événements qui s’ensuivirent: “Conformément à leur projet, en 1899 un groupe de 50 personnes louèrent un wagon de chemin de fer pour se rendre tous ensemble dans la région de Calmar. Il y avait donc là un groupe d’Étudiants de la Bible prêts à refaire leur vie dans leur pays d’adoption. Juste avant le départ, K. Hammer reçut de Charles Russell une invitation à aller en Norvège comme représentant de la Société pour y fonder la première congrégation. Après en avoir parlé aux frères, Hammer décida d’accepter l’invitation de Russell.”
Les membres de la famille de frère Hammer se rendirent à Calmar. Les autres Étudiants de la Bible s’occupèrent d’eux, tandis que lui partit pour la Norvège. Il y rencontra des personnes intéressées à la vérité, mais ne fonda pas de congrégation. Quelle était la situation lorsqu’il revint dans sa famille? Le rapport déjà cité continue en ces termes:
“Une agréable surprise attendait K. Hammer à son retour. John Frederickson, maître bûcheron et constructeur, avait construit, avec l’aide des autres frères, une belle cabane sur le terrain de Hammer. Ce n’est là qu’un des nombreux exemples de l’amour et de la bonté que les frères se témoignaient les uns aux autres en ce temps-là.” — Jean 13:35.
Les choses spirituelles occupaient la première place chez ces Étudiants de la Bible de Calmar, parmi lesquels se trouvait un certain Andrew Melin. Le fils de celui-ci raconte: “Chaque fois que nous recevions notre courrier (...), nous passions la soirée autour de la table, avec une simple lampe à pétrole, et nous écoutions mon père lire notre exemplaire de La Tour de Garde. Au début, nous la recevions en anglais, puis plus tard en suédois. Ainsi, ma mère pouvait la comprendre, elle aussi.”
Se déplaçant à pied ou à cheval, les Melin, John Frederickson et Knud Hammer donnaient un puissant témoignage au moyen des volumes de L’Aurore du Millénium. Il n’y avait guère d’endroits dans la région de Calmar où ces Témoins de Jéhovah n’étaient pas très bien connus. Ce n’est pas qu’ils avaient beaucoup de loisirs. Leur ferme se composait de terres vierges qu’il fallait défricher au prix d’un rude travail (pour obtenir le titre de propriété, on devait aménager au moins 8 hectares), et cela en se servant de leurs chevaux, de leurs bœufs et de leurs mains. En même temps, ils devaient produire eux-mêmes la plus grande partie de leur nourriture. Certaines de ces familles d’Étudiants de la Bible finirent par compter jusqu’à 13 enfants. Pour gagner l’argent nécessaire à leurs achats, ces frères acceptaient de l’ouvrage supplémentaire, même pour 35 cents par jour! Oui, ils étaient zélés et fidèles, et faisaient preuve d’amour et d’un esprit d’abnégation. Aussi Jéhovah leur accorda-t-il de grandes bénédictions.
Du fait de l’accroissement de ces familles chrétiennes et de l’arrivée de nouveaux intéressés, on construisit à Calmar une salle de réunion en rondins. Les excellents fondements spirituels posés en ce temps-là ont produit de nombreux fidèles Témoins de Jéhovah, et les noms de famille de ces premiers Étudiants de la Bible sont bien connus aujourd’hui dans tout l’Ouest du Canada. Et à Calmar, il existe toujours une congrégation active de chrétiens.
À L’AUBE D’UN NOUVEAU SIÈCLE
Nous ne saurions mentionner les premiers développements dans chaque localité, ni nommer toutes les personnes et toutes les familles qui servaient Jéhovah à ce moment-là. Mais il était évident que Dieu bénissait son peuple. Par exemple, le rapport sur la célébration du Repas du Seigneur en 1899 indique qu’il y avait de nombreux petits groupes en pleine expansion. Voici quelle fut l’assistance au Mémorial cette année-là, en Ontario: Brantford: 22 personnes, Dorchester: 5, Goderich: 4, Hamilton: 10, London: 7, Meaford: 5, Niagara Falls: 7, et Toronto: 21. Et au Manitoba: Brandon: 8 personnes, Clive: 4, et Rapid City: 10. Parmi les rapports des autres régions, citons Wharnock, en Colombie-Britannique, 5 personnes; Régina, dans les Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui en Saskatchewan), 7; et Truro, en Nouvelle-Écosse, 8. D’autres groupes encore se réunirent cette année-là pour commémorer la mort du Christ.
À vrai dire, à l’aube d’un nouveau siècle, on annonçait un peu partout au Canada le rétablissement de toutes choses par le Royaume de Dieu. Pour fortifier les groupes d’Étudiants de la Bible en pleine expansion, les pèlerins continuaient à visiter leurs compagnons dans la foi, et des congrès eurent lieu régulièrement pour leur édification spirituelle.
Ici et là, donc, des anglicans, des presbytériens, des baptistes et d’autres — parfois des membres très en vue de ces organisations — abandonnaient courageusement la fausse religion (Rév. 18:1-4). Spontanément, ils communiquaient à d’autres les vérités bibliques qu’ils avaient apprises.
L’ACCROISSEMENT MALGRÉ L’OPPOSITION
L’expansion était bien commencée. Par exemple, les diverses ecclésias d’Étudiants de la Bible ne se contentaient pas de se réunir pour l’étude dans des maisons particulières, mais elles louaient des salles pour les réunions du dimanche. Bien entendu, cette expansion suscita de l’opposition. Dans leurs efforts pour entraver l’accroissement et l’influence du peuple de Jéhovah, certains critiques religieux allèrent parfois trop loin. Par exemple, considérez ce qui se passa en 1904 à Nashwaak, au Nouveau-Brunswick, comme nous le raconte Cecil Scott.
Hezekiah London, un bûcheron très religieux, avait construit une église à l’angle du terrain de sa ferme familiale. Ses sept filles faisaient partie de la chorale. Un jour, London reçut par la poste quelques imprimés d’un ami qui était Étudiant de la Bible dans le Connecticut. Après avoir lu ces écrits, Hezekiah écrivit à la “Maison de
la Bible” à Allegheny, en Pennsylvanie, et reçut d’autres publications. Peu après, il fut surpris un dimanche d’entendre le pasteur parler sur le sujet “Les Étudiants internationaux de la Bible et le pasteur Russell”. Non seulement ce sermon était nettement diffamatoire, mais il était très éloigné de la vérité. Vers le milieu du sermon, London se leva, prit sa femme par la main et dit à ses filles dans le chœur: “Venez, mes filles. Nous rentrons chez nous.” Tous les neuf sortirent de l’église. Comme Hezekiah London avait fait don du bâtiment à l’église et était le principal soutien financier de celle-ci, les paroissiens ne tardèrent pas à “se disperser”. Le prédicateur partit et le bâtiment fut fermé.Peu après, Hezekiah London prit des dispositions pour que des pèlerins viennent à Nashwaak. Pendant quelques semaines avant l’arrivée d’un pèlerin (à peu près deux fois par an), London quittait la maison en voiture à cheval le lundi matin pour ne rentrer que le samedi. Au cours de ces déplacements, il distribuait des tracts et des brochures à de nombreux kilomètres à la ronde et il invitait les gens à assister aux discours du pèlerin. Où cela? Oui, vous l’avez deviné: dans cette ancienne église située sur les terres de London à Nashwaak, au Nouveau-Brunswick. Aujourd’hui, une trentaine de parents de Hezekiah London sont Témoins de Jéhovah.
Peu après le début du XXe siècle, les congrégations du peuple de Dieu croissaient un peu partout au Canada, mais, dans certaines régions, la situation était encore semblable à celle qui existait dans les grandes villes dix ans ou plus auparavant. Il y avait, par exemple, des régions au Manitoba où des personnes isolées avaient accepté la vérité biblique, mais sans bénéficier de la compagnie d’autres chrétiens et ne recevant que rarement la visite d’un pèlerin. Néanmoins, ces personnes restèrent fermes dans la foi et Jéhovah les soutenait spirituellement.
Mme John Sample, qui demeurait près de Souris, au Manitoba, en est un exemple typique. Elle possédait nos publications depuis 1897 et avait reçu des périodiques d’un nommé John Kerslake, mais elle était toujours membre de l’église et continuait d’enseigner à l’école du dimanche. En 1903, elle finit par rompre avec l’église. Elle se leva en plein office et dit à tous les assistants pourquoi elle devait rompre tout lien avec la chrétienté. Sa plus proche voisine essaya de la faire revenir à l’église, et l’on appela les prédicateurs à l’aide, mais en vain. Elle demeura ferme dans sa résolution. Plus tard, la voisine, une certaine Mme Nay, accepta aussi la vérité. Mais ces femmes étaient pour ainsi dire livrées à elles-mêmes. Voici comment John Sample décrivit la situation de sa mère en ce temps-là: “Pas de serviteur de congrégation [surveillant-président]. Pas l’appui d’un conducteur d’étude. Pas de réunions. Un cœur contrit. Une Bible usée. De longues heures passées dans la prière.”
LA “BONNE NOUVELLE” CONTINUE À ATTIRER LES CŒURS SINCÈRES
Des gens au cœur sincère, désireux de plaire à Dieu et décidés à le servir en dépit des difficultés, continuaient à se manifester. Citons entre autres un ancien capitaine de l’armée, William Meneray. En 1906, en faisant le ménage dans le bureau du télégraphe à Souris au Manitoba, juste avant de rentrer chez lui à Winnipeg, il trouva plusieurs périodiques La Tour de Garde. Il s’agissait de numéros anciens, datant de 1893 et 1894, mais il les emporta quand même. Sa femme en lut quelques-uns et lui recommanda de les lire lui aussi. Le premier article qu’il lut était la réimpression d’une brochure de la Société Watch Tower sur l’enfer. Meneray écrivit aussitôt aux bureaux de la Société pour demander s’il y avait à Winnipeg des adeptes de ces croyances. On lui donna les noms de M. et Mme Reginald Taylor et de M. et Mme Hamilton. Avant 1906, il y avait déjà des réunions d’organisées. Dès 1901, La Tour de Garde avait mentionné Winnipeg sur la liste des endroits visités par les pèlerins. En 1905 elle publia une lettre, probablement de Frances Hamilton, disant qu’elle et son mari avaient observé le Mémorial. Mais il semble que la première vraie congrégation fut organisée à Winnipeg en 1905 ou 1906.
Non content de donner le témoignage dans sa propre région, Meneray établit un véritable service par correspondance. Par ce moyen, il envoyait des tracts et des brochures à des personnes isolées. On y retrouvait des titres fascinants, comme Thieves in Paradis (“Les Voleurs au paradis”) et What Is the Soul? (“Qu’est-ce que l’âme?”). Ces imprimés furent envoyés jusqu’au Yukon. George Naish mentionne qu’ils suscitèrent de l’intérêt chez les Carment et les Rainbow, à Kamsack, en Saskatchewan.
William Meneray accompagna C. Russell et d’autres Étudiants de la Bible dans un voyage autour du monde qui leur montra la nécessité d’un témoignage à l’échelle mondiale. Frère Meneray maintint sa fidélité jusqu’à la fin de sa vie terrestre, le 21 janvier 1960.
En 1911, Charles Cutforth, de Gilbert Plains, au Manitoba, devint actif comme Témoin de Jéhovah. Son frère, H. Cutforth, s’intéressait également au message, et sa maison devint le lieu de réunion des Étudiants de la Bible. Plus tard, Charles Cutforth devint colporteur et représentant itinérant de la Société Watch Tower. Son fils John devint pionnier (1941), surveillant itinérant (1942), puis membre du personnel de la filiale de la Société à Toronto (1943). En 1946, il alla à Galaad, l’École biblique de la Watchtower, et fut envoyé en Australie, où il servit à titre de surveillant de circonscription et de district. Plus tard, il fut envoyé en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où il est toujours fidèle au poste.
James Gibson, de Haliburton, en Ontario, était lui aussi un homme
au cœur sincère qui reconnut la vérité divine dans les écrits de C. Russell. C’est en 1907 qu’il en reçut quelques-uns de James et Alexander Brown, parents de sa femme domiciliés à New Liskeard, en Ontario. Au début, sa femme Margaret ne voyait pas ces publications d’un bon œil. Mais après la mort de frère Gibson en 1908, elle visita les Brown pendant six semaines. À son retour, “elle avait bien compris la vérité, elle ne parlait plus de rien d’autre”, mentionne sa petite-fille, qui ajoute:“Jusqu’à sa mort, en 1929, ma grand-mère ne laissait guère passer de jour sans écrire ou sans parler à quelqu’un de la vérité. Dans les débuts, à Haliburton, elle se rendait chez les personnes intéressées en voiture à cheval. Membre du groupe des premiers colons de la région de Haliburton et très zélée dans les activités paroissiales, elle connaissait tout le monde. Sa façon de donner le témoignage nous rappelait les premiers chrétiens. Elle emportait un sac rempli de livres et le nécessaire pour le voyage, elle attelait le cheval et en arrivant chez ses amis ou ses voisins, elle leur annonçait qu’elle resterait chez eux jusqu’à ce qu’ils aient compris son message. S’ils étaient réceptifs, elle restait deux ou trois jours chez ses hôtes, étudiant les Écritures avec eux jusqu’à une heure avancée de la soirée, à la lueur d’une lampe. C’est ainsi que de nombreuses familles apprirent rapidement à connaître la vérité.”
En 1911, la congrégation de Toronto comptait 110 assistants au Mémorial. Ailleurs, les classes ou ecclésias, comme on les appelait, s’accroissaient également. Cette même année, les pèlerins visitèrent 108 ecclésias dans tout le Canada. À Vancouver, l’organisation de conférences le dimanche soir à Pender Hall avait eu beaucoup de succès. Samuel Withers (qui mourut le 9 mars 1971, à l’âge de 96 ans) avait à peine commencé à fréquenter le peuple de Jéhovah. La vérité lui a touché le cœur. Vraiment impressionné par “Le divin Plan des Âges”, il passa trois nuits à en “dévorer” le contenu. La troisième nuit, sa femme se réveilla et lui demanda: “Qu’est-ce que tu as à répéter sans cesse: ‘Loué soit le Seigneur’, à trois heures du matin?” De toute évidence, il était reconnaissant d’avoir trouvé la réponse à ses nombreuses questions.
DÉCIDÉS À PROCLAMER LE MESSAGE DU ROYAUME
Ceux qui acquéraient la connaissance de la vérité biblique s’empressaient de faire connaître la bonne nouvelle du Royaume à d’autres. En 1912, par exemple, après avoir eu connaissance du message proclamé par les Étudiants de la Bible, Julius Lundell décida de passer à l’action. Olive Mais, sa fille, nous donne les détails suivants:
“Julius Lundell entendit parler de la vérité pour la première fois en 1903. Il enseignait à l’école du dimanche d’une église de la ‘Mission
libre’ dans le Dakota du Nord, lorsqu’un de ses collègues lui parla d’un discours qu’il avait entendu et qui prouvait d’après la Bible que l’enfer n’existe pas. En 1910, mon père s’établit comme fermier dans le nord de la Saskatchewan, à 30 kilomètres du village de Maidstone. Un jour, un voisin lui prêta un livre sur l’évolution. À l’intérieur se trouvait une brochure sur le sujet Que disent les Écritures au sujet de l’enfer? (angl.). Il tenait donc la preuve de ce que son ami lui avait dit.“Deux ans plus tard, une annonce insérée par frère Meneray parut dans le journal Free Press de Winnipeg. Elle posait la question: ‘Saviez-vous que les temps des Gentils prendront fin en 1914?’ [Luc 21:24, Crampon 1905]. Mon père fit venir des publications et, lorsque les Études des Écritures arrivèrent par la poste, il les lut pendant toute une semaine, nuit et jour, sans s’arrêter. À la lueur d’une lampe à pétrole, il lisait jusqu’à une heure avancée de la nuit. La semaine terminée, il savait qu’il avait trouvé la vérité. Ses livres et la Bible sous le bras, il alla chez ses voisins pour leur annoncer la bonne nouvelle. Leur réaction: ‘Lundell est devenu fou!’”
Mais ils se trompaient beaucoup, car ce n’était que le début de son activité dans le service de Jéhovah. Sa fille continue: “Absolument convaincu d’avoir trouvé la vérité, mon père commanda et distribua plusieurs cartons de publications pendant ces années-là. (...) Puis, en 1917, frère Andrew Melin, de Calmar, en Alberta, rendit visite à plusieurs communautés suédoises pour y donner des discours publics. C’est ainsi qu’il vint à Milleton, où nous habitions, et qu’il aida mon père à organiser son activité. Bientôt, la photo de mon père figurait sur la publicité, et il donnait des discours dans des écoles et des salles de toutes les localités voisines, au nord et au sud de la rivière Saskatchewan.”
Et pourtant, frère Lundell ne se bornait pas à donner des discours publics. Au cours de ses déplacements, il transportait toujours une valise pleine de publications bibliques. Sa fille ajoute: “Lors d’une vente aux enchères ou à la foire de Lloydminster, papa se trouvait toujours près de la voiture entouré d’un groupe d’hommes, et les discussions allaient bon train. Lorsque c’était l’heure de rentrer, la valise était vide. Un jour que notre voiture était embourbée, un homme avec deux mulets nous tira de là. À titre de rétribution, mon père sortit un livre de la valise brune. Dans un restaurant grec de North Battleford, une discussion s’engagea avec le propriétaire et, avant longtemps, tous les clients y participaient. À la fin, la valise une fois de plus était vide.”
La détermination avec laquelle ces chrétiens faisaient connaître le message du Royaume était vraiment louable. Le peuple de Dieu manifestait un excellent esprit et accomplissait un bon travail. Pendant la première décennie du vingtième siècle, le nombre des vrais adorateurs augmenta dans toutes les provinces du Canada, accroissement
qui atteignit parfois des chiffres impressionnants. On enregistra des progrès semblables pendant la deuxième décennie du vingtième siècle, mais ce fut là une période d’épreuves pour la foi de ces étudiants sincères de la Bible.LE CLERGÉ SE DÉCHAÎNE!
La congrégation de Hamilton, en Ontario, fut une des premières à être établies au Canada. Le clergé voyait naturellement d’un mauvais œil cette congrégation très active. À défaut d’arguments bibliques contre les puissants assauts de la vérité, les membres du clergé en vinrent aux invectives personnelles. Dans une tentative apparemment désespérée, ils se déchaînèrent contre un homme: C. Russell.
Parmi les ecclésiastiques qui utilisèrent cette méthode, il y avait un prédicateur baptiste de Hamilton nommé J. Ross, connu pour son style ampoulé. En 1912, il écrivit un pamphlet injurieux où il accumulait les fausses accusations contre Russell. Sur le conseil de J. Rutherford, son conseiller juridique, frère Russell intenta un procès en diffamation à Ross. En tant que plaignant, Russell assista au procès pour sa déposition, et il fut soumis à un long contre-interrogatoire d’environ cinq heures. Après le procès, son adversaire baptiste accusa faussement Russell de s’être parjuré lorsqu’on lui avait demandé s’il connaissait le grec. L’accusation de “parjure” fut publiée dans un deuxième pamphlet de Ross contre Russell. L’ecclésiastique cita faussement ce qui avait été dit devant le tribunal, en libellant comme suit la question de l’interrogateur et la réponse de Russell:
Q. “Savez-vous le grec?”
R. “Ah! oui!”
En omettant le mot “alphabet” dans cette question, Ross cherchait à démontrer que la réponse était en contradiction flagrante avec une question ultérieure et sa réponse:
Q. “Connaissez-vous la langue grecque?”
R. “Non.”
Ce qui s’était passé en réalité ressort clairement des archives (Tribunal de police de la ville de Hamilton, en Ontario, le 17 mars 1913). Celles-ci montrent qu’il n’y a pas eu de parjure de la part de C. Russell. D’après le livre Les Témoins de Jéhovah au Canada (angl.), par M. James Penton, le contre-interrogatoire (mené par George Lynch-Staunton) se déroula comme suit:
“Question: ‘Vous ne prétendez pas, alors, avoir fait des études de latin?’
Réponse: ‘Non, Monsieur.’
Question: ‘Ni de grec?’
Réponse: ‘Non, Monsieur.’”
Après cela, on demanda à Russell s’il connaissait les lettres de l’alphabet grec, et il déclara qu’il ‘n’était pas sûr pour certaines d’entre elles’. D’après le livre que nous venons de citer, peu après “Lynch-Staunton posa à Russell cette question: ‘Connaissez-vous la langue grecque?’, et Russell répondit sans hésiter: ‘Non.’”
L’affaire ne laissait donc aucun doute. Contrairement aux fausses accusations de Ross après le procès, C. Russell ne s’était pas parjuré. L’affaire fut référée ensuite devant un grand jury, qui refusa de faire un résumé d’instruction. Ainsi, la cause ne fut jamais débattue devant la Cour suprême de l’Ontario. En vertu de la pratique juridique de l’Ontario, seul le procureur de la Couronne est autorisé à prendre la parole devant le grand jury. Nous ne savons pas comment la cause lui fut présentée, ni ce qui l’incita à la rejeter. Aucun jugement ne fut jamais prononcé concernant le bien-fondé de cette cause. Dans ses écrits ultérieurs Ross mentionnait ce résultat, pourtant si peu concluant, comme s’il s’agissait d’une grande victoire. De même que d’autres comme lui, il oubliait que ce n’était pas Russell qu’on jugeait.
INÉBRANLABLES MALGRÉ LES AGISSEMENTS DES ADVERSAIRES
Malgré la haine du clergé de la chrétienté, le peuple de Jéhovah restait impassible. En 1913 eut lieu une série de congrès qui s’avérèrent un franc succès. Un millier de personnes environ assistèrent, par exemple, au congrès de Victoria, en Colombie-Britannique et 4 500 environ à celui de Vancouver. Cette série d’assemblées se tint dans les grands centres de l’Ouest, pour se terminer par une assemblée d’une semaine à Toronto. Là, l’auditoire se chiffrait à 1 200 assistants environ, dont la moitié étaient venus des États-Unis.
Plus de 200 délégués se déplaçaient avec C. Russell d’un congrès à l’autre. Une dépêche de presse, annonçant l’arrivée du train spécial du congrès à Edmonton, en Alberta, ajoutait:
“À l’accusation d’être un prédicateur ‘anti-enfer’, le pasteur Russell répondit ce qui suit:
“‘Il n’y a pas un prédicateur au monde qui parle davantage que moi sur l’enfer, mais l’enfer dont je parle est l’enfer de la Bible, non pas l’enfer de feu et de soufre, avec ses fourches et autres instruments de torture. L’enfer de la Bible ressort d’une interprétation raisonnable des termes d’origines grecque et hébraïque — hadès et schéol — qui signifient l’état de mort, la tombe.’”
Concernant l’assemblée de 1913 à Toronto La Tour de Garde (angl.) disait: “La raison principale pour laquelle certains ont assisté à ce congrès, c’est qu’ils avaient remarqué qu’un esprit de calomnie et de tromperie s’efforçait pour une raison quelconque de nuire à
une œuvre religieuse. Satan et ses serviteurs, qu’il aveugle et qu’il trompe, se surpassent dans leur tentative de nuire à la cause du Seigneur. Parfois, le Seigneur passe outre à la colère de l’homme, pour sa propre louange et pour l’avancement de la vérité. Citons par exemple le cas d’un homme qui, ayant entendu dire que le pasteur Russell était l’antéchrist, alla voir de quoi celui-ci pouvait bien avoir l’air. Après avoir entendu le joyeux message de l’évangile, son cœur a été séduit et maintenant il se réjouit.”Au congrès de Toronto, certains adversaires vinrent sur le terrain avec une grande banderole portant des inscriptions diffamatoires comme: “Russellisme, aurorisme du Millénium, doctrine de démons”. Mais la police les obligea à s’en aller. D’après le News de Toronto (du 25 juillet 1913), “les activités des antirussellistes de Toronto pendant cette semaine ne se limitèrent pas à cette ville, mais, selon M. Philip Sidersky, de Baltimore, membre de la Fédération nationale des missions évangéliques, des publications contre Russell ont été envoyées à différents secrétaires de ce mouvement dans le monde entier”. Cependant, le News disait en manchette que les Étudiants de la Bible restaient “inébranlables”, malgré les agissements des adversaires.
LA FAIM SPIRITUELLE APAISÉE
Tassey Raycove était l’un des assistants au congrès de Toronto en 1913. En Macédoine, il avait été chantre de l’église orthodoxe locale. Il balayait aussi l’église, ce qui lui donnait l’occasion d’y lire la Bible, dont le prêtre ne se servait jamais. La lecture des Écritures suscita chez Raycove une faim pour la vérité qui le tenaillait encore après sa venue au Canada. Là, il eut l’occasion de se renseigner sur plusieurs religions, mais aucune d’elles ne le satisfaisait. Il était le principal ancien d’un groupe baptiste bulgare lorsque frère Russell vint à Toronto en 1913 pour le congrès que ses adversaires religieux devaient s’efforcer de désorganiser avec tant d’acharnement. Anthony, le fils de Tassey Raycove, nous raconte la chose:
“La nouvelle de cette visite fut accueillie avec colère et mépris par les religionistes babyloniens de Toronto, qui dirent: ‘Ce démon de Russell sera en ville dimanche.’ Mon père répétait la même chose, mais ajoutait en sourdine: ‘Je vais aller l’écouter quand même.’ Ce fut là le tournant de sa vie, car, pour la première fois, il entendait le message qui, pour les brebis, vient de nul autre que de l’excellent Berger.”
Après avoir écouté le discours de deux heures de Russell sur l’âme, Raycove se procura un volume des Études des Écritures et le dévora littéralement. Il fit venir alors les autres volumes et les dévora à leur tour. “Pour lui, la recherche de la vérité était enfin terminée”, dit son fils, qui ajoute: “C’est alors qu’il rompit de façon
spectaculaire avec Babylone la Grande. Le pasteur faisait un de ses sermons habituels sur l’enfer de feu et de soufre lorsqu’il fit l’erreur intentionnelle, mais ‘fatale’, de citer de façon erronée un texte des Écritures. Le principal ancien se leva, contredit carrément la déclaration du pasteur et le réprimanda sévèrement pour avoir cité le verset biblique de façon erronée.” Il s’ensuivit un débat, bref mais mouvementé, qui ouvrit les yeux à bon nombre de membres.LES DÉBUTS D’UN HEUREUX ESCLAVE DE JÉHOVAH
C’est pendant la deuxième décennie du vingtième siècle que Thomas Sullivan commença son fidèle service en tant que joyeux esclave de Jéhovah. En 1911, il travaillait à Brooklyn, dans l’État de New York. Là, il apprit par un de ses collègues que le pasteur Russell ne croyait pas à l’enfer. Cette déclaration impressionna Sullivan, car lui non plus n’avait jamais pu concilier dans son esprit la doctrine des tourments éternels avec l’idée d’un Dieu d’amour (I Jean 4:8). Mais le jeune homme n’entendit plus rien à ce sujet jusqu’en 1913.
En novembre de cette année-là, Sullivan se trouvait à Winnipeg au Manitoba, où il aidait à mettre sur pied un système de vérification de comptes pour une chaîne d’hôtels que la compagnie des chemins de fer était en train de construire. Parmi le personnel, il y avait une jeune fille qui avait toujours une Bible avec elle, et bien en vue dans son bureau étaient alignés les six volumes des Études des Écritures du pasteur Russell. Elle connaissait si bien la Bible que la direction même la consultait souvent sur des questions bibliques. Mais laissons frère Sullivan nous raconter la suite de l’histoire:
“Parfois il nous fallait travailler jusqu’à minuit et même plus tard. Comme les transports publics s’arrêtaient vers minuit et que cette jeune fille avait un long chemin à faire à pied pour rentrer chez elle, je m’offrais à l’accompagner. Nous mettions ce trajet à profit pour parler davantage de la Bible, et le cadre était bien fait pour nous inspirer. Pour comprendre à quel point il s’y adaptait, il faut connaître les immenses prairies du Nord-Ouest canadien. À cette heure de la nuit, la température variait généralement entre 30 et 40° au-dessous de zéro. La neige s’entassait de chaque côté de la route sur une hauteur de un mètre à un mètre cinquante. Au-dessus de nos têtes, le ciel était bleu, clair et glacé, alors que les lueurs polaires ou aurores boréales balayaient les cieux, soulignant la grandeur et la majesté de la création de Dieu. Dans un cadre si grandiose, ces entretiens sur les desseins de Dieu revêtaient pour moi un caractère vraiment impressionnant et sacré. Il me semblait que tout mon être s’élançait pour solliciter l’amour et la protection d’un si prodigieux Créateur.”
Cette protection et cet amour divins, frère Sullivan les rechercha vraiment. Il commença à fréquenter les Étudiants de la Bible à Winnipeg et fut baptisé en tant que serviteur voué de Jéhovah avant la célébration du Repas du Seigneur en 1916. Ajoutons qu’en septembre 1918, frère Sullivan épousa sœur Evelyn Finch, la jeune fille qui avait tant fait pour l’aider à parvenir à la connaissance des desseins de Dieu, le premier Témoin de Jéhovah qu’il avait rencontré au Canada.
En 1924, frère et sœur Sullivan devinrent membres de la famille du Béthel de Brooklyn. Tous deux y servirent fidèlement pendant le reste de leur vie terrestre. T. Sullivan fut un esclave heureux et fidèle de Jéhovah au Béthel (il finit par devenir membre du Collège central des Témoins de Jéhovah) jusqu’à sa mort, le 30 juillet 1974, à l’âge de 86 ans.
“LES TEMPS FIXÉS DES NATIONS” SONT ACCOMPLIS!
Les espérances étaient grandes à l’approche de l’année 1914, dont la venue était attendue avec impatience. Certains espéraient en voir davantage que ce que C. Russell ou La Tour de Garde avaient prévu. Les spéculations allaient bon train, et la non-réalisation de certaines espérances personnelles risquait de causer des déceptions, surtout chez ceux qui manquaient de maturité spirituelle. Mais ceux qui possédaient la maturité entrevoyaient cette éventualité. Vers la fin de 1913, un Canadien très clairvoyant écrivit ce qui suit à la Société:
“Bien que notre Père céleste juge bon d’éprouver la foi de son peuple de diverses façons, il semble qu’au cours de l’année à venir nous aurons à faire face à une épreuve plus grande de notre confiance en Dieu et en sa Parole.
“Je sais, toutefois, que la foi de nos chers frères et sœurs est très forte, et je crois qu’ils continueront à mener avec succès le beau combat de la foi jusqu’à la fin.
“D’après ce que j’ai toujours compris, le pasteur Russell n’a jamais prétendu que son interprétation des prophéties sur la chronologie était infaillible. C’est ce qui m’a toujours impressionné dans ses écrits.
“Si l’année 1915 devait arriver et que nous ne voyions pas se réaliser toutes les espérances de nombreux frères, cela m’importerait peu. Nous savons tout de même que ‘ta parole est la vérité’, et que pas un seul iota ni un trait de lettre ne passera avant que tout soit accompli. Nous savons aussi que, d’après les signes des temps, le Jour n’est plus très éloigné.
“Lorsque nous sommes dans le creuset de l’épreuve, rappelons-nous
ces paroles inspirées: ‘N’abandonnez donc pas votre assurance; une grande récompense y est attachée.’”De fait, dans le même numéro de La Tour de Garde où était publiée cette lettre, l’article de fond soulignait qu’il ne fallait pas espérer que les changements rapides et spectaculaires qu’on attendait se produisent tous en l’espace d’un an. Néanmoins, disait l’article, “l’année 1914 est la dernière de la période que la Bible appelle les ‘temps des Gentils’”. (Luc 21:24, Crampon 1905.) L’article disait aussi: “Il nous est impossible d’imaginer que nous verrons en un an tout ce qui, d’après les Écritures, doit se réaliser avant l’instauration du règne de paix.”
Certaines congrégations étaient assez grandes en 1914. À Toronto, il y eut 204 assistants au Mémorial, à Vancouver, 195, et à Winnipeg, 105. Mais on allait voir maintenant qui attachait trop d’importance à une certaine date, et qui servait Jéhovah par amour.
LE PHOTO-DRAME DE LA CRÉATION
Pour ceux qui étaient occupés à faire des disciples, et non pas simplement à ‘compter les jours’, l’époque était des plus intéressantes. Parmi les instruments conçus pour les aider à proclamer la “bonne nouvelle”, il y avait une production audio-visuelle qui fit sensation à l’époque. Le “Photo-Drame de la Création”, comme on l’appelait, se composait de clichés et de films, accompagnés de disques sur lesquels étaient enregistrées des allocutions et de la musique. Tous ces clichés et les films avaient dû être colorés à la main. Le Photo-Drame durait huit heures. Divisé en quatre représentations, il montrait à l’auditoire la création, l’histoire de l’humanité, puis le couronnement du dessein de Jéhovah pour la terre et pour l’humanité à la fin du règne millénaire de Jésus Christ.
Une production sonore et en couleurs de huit heures en 1914? Réalisée par qui? Un des grands noms de Hollywood? Eh bien, non! Le Photo-Drame avait été réalisé par l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Toutes les places étaient gratuites et jamais on ne fit de quête. Il faut se dire que le Photo-Drame, avec son abondance en faits bibliques, scientifiques et historiques, vit le jour bien des années avant l’apparition du cinéma parlant et du cinéma en couleurs à destination du grand public.
La qualité de la photographie et du son du Photo-Drame était si bonne que, lorsque C. Russell apparaissait sur l’écran comme présentateur dans la séquence d’ouverture, certains spectateurs croyaient qu’il était présent en personne. Comme elle était réaliste et touchante la scène de la résurrection du fils de la veuve, miracle que Dieu accomplit par son prophète Élie! Et quelle joie d’assister à l’épanouissement d’une fleur et à l’éclosion d’un œuf de poule!
C’est la photographie en accéléré qui a permis de prendre ces clichés inoubliables du Photo-Drame.Chaque congrégation annonçait le Photo-Drame et invitait le public. On utilisait des affiches dont certaines mesuraient environ 3 mètres sur 4. La réaction fut extraordinaire. Les théâtres étaient bondés semaine après semaine.
À Hamilton, le Photo-Drame fut projeté pendant trois semaines au Grand Opéra, et à Toronto au Grand Théâtre. Un jour, juste après une des représentations, le public sidéré apprit que la guerre venait d’être déclarée en Europe, ce qui dut graver indélébilement dans son esprit certaines choses qu’il venait de voir et d’entendre. Le Photo-Drame fut également projeté à la prison centrale de Toronto (transférée plus tard à Kingston).
Pour permettre à un public aussi large que possible de voir le Photo-Drame, on invita les enfants des écoles à y assister. C’est ce qui se passa, par exemple, en 1914, à Halifax, en Nouvelle-Écosse. À Victoria, en Colombie-Britannique, les élèves de plusieurs classes assistèrent à la représentation. C’est ainsi que Charles Forbes, âgé de 14 ans à l’époque, vit le Photo-Drame. Devenu plus tard Étudiant de la Bible, il n’oublia jamais ce qu’il avait vu. Il raconte: “Le théâtre était archicomble, et beaucoup d’entre nous devaient rester debout. Mais en voyant l’œuvre du grand Créateur, surtout l’immense voûte étoilée des cieux, on se disait que cette représentation valait vraiment la peine d’être vue, car elle démontrait les merveilles créatrices d’un Dieu tout-puissant.”
On fit des efforts pour projeter le Photo-Drame aux Polonais et aux Ukrainiens du Canada. Ces représentations eurent lieu non seulement dans les grands centres comme Toronto et Winnipeg, mais aussi dans d’autres localités de l’Ouest. Le manuscrit et les enregistrements avaient été traduits en polonais et en ukrainien.
La beauté et la dignité du Photo-Drame étaient telles qu’aujourd’hui, après plus de 60 ans, il y a encore des gens qui se souviennent de ses images et de son message, et même du lieu des représentations. Pour certains, il devait revêtir une signification toute spéciale. Prenons l’exemple de Della Smart, une christadelphe, qui s’inquiétait de la tournure des événements mondiaux et qui était troublée par certains enseignements de sa religion. Elle pria sincèrement Dieu de l’aider à trouver Son peuple, afin de bien comprendre ces choses. Quelques jours plus tard, elle vit de la publicité pour le Photo-Drame à Toronto. Elle assista à la première séance et comprit d’emblée que ses prières avaient été exaucées. C’était en 1916. Âgée de plus de 90 ans aujourd’hui, sœur Smart continue à servir Jéhovah du mieux de ses capacités.
UNE ŒUVRE QUI N’EST PAS DU GOÛT DE TOUS
Presque partout, les autorités et d’autres personnes assurèrent leur coopération aux frères. Certains théâtres furent même offerts gratuitement pour la projection du Photo-Drame. Mais ailleurs, il y eut de l’opposition. À Toronto, par exemple, le clergé prononçait des sermons contre le Photo-Drame et incitait les directeurs des théâtres à annuler le contrat de location. En fait, leurs efforts ne servirent qu’à faire de la publicité.
Vers 1917, le Photo-Drame devait être projeté à Guelph, en Ontario. Les efforts faits pour empêcher la représentation indiquent bien qui travaillait dans les coulisses. George Humphries, qui mourut en 1974, était un Étudiant de la Bible bien connu. Il travaillait pour le Mercury, journal de Guelph. Voici comment il raconta plus tard ce qu’il se rappelait de ces événements:
“La première représentation, le dimanche, se passa bien. L’assistance était bonne. Le lundi soir, lors de sa réunion, le conseil municipal essaya de faire adopter la résolution suivante: ‘Résolution: Aucune projection de film n’est autorisée le dimanche.’ Cette mesure visait évidemment le Photo-Drame. Alors, un des conseillers municipaux fit cette remarque: ‘Messieurs, nous devons être prudents ici. Supposons qu’on doive projeter des films à des fins de guerre.’ La résolution fut alors changée en ceci: ‘Résolution: Aucune projection de film n’est autorisée le dimanche, sauf à des fins de guerre.’
“Bien entendu, il nous fallait tirer la question au clair. L’opérateur et moi avons pris rendez-vous avec le maire à son bureau. À cet égard, Jéhovah nous a donné la victoire. J’avais deux arguments clés en ma faveur. Mon employeur, Monsieur J. McIntosh, le directeur du Mercury de Guelph, et le maire étaient brouillés. Monsieur McIntosh m’avait dit: ‘George, renseigne-toi exactement sur la situation et nous imprimons tout.’ J’étais enchanté, cela va sans dire. Le directeur du théâtre, un catholique, me montra le recueil de lois concernant la projection de films le dimanche. ‘Quand vous verrez le maire, dit-il, vous lui montrerez cette page où la loi stipule que, du moment que vous avez une licence provinciale pour projeter ces films le dimanche, alors toute personne, à l’échelon municipal ou autre, qui vous empêche de projeter des films le dimanche, est passible d’une amende de 700 dollars.’ Muni de ces armes, nous sommes allés voir le maire. On nous a fait entrer et une fois assis, le maire m’a regardé dans les yeux en me disant: ‘Je suis contre vous et j’utiliserai tous les moyens, légaux ou non, pour vous empêcher de projeter ces films.’ (...)
“Tout d’abord, je lui ai montré le recueil de lois. ‘Qui est-ce qui vous a donné ceci?’ demanda-t-il. ‘Le directeur du théâtre’, répondis-je. Il sonna alors pour faire venir le chef des services municipaux. Lorsque celui-ci parut, le maire l’informa de ce qui se passait et lui
dit: ‘Qu’est-ce qu’on pourrait bien lui faire pour avoir agi ainsi?’ Ce notable se gratta la tête et dit: ‘On pourrait augmenter le droit de licence.’ Mais le maire ne semblait guère convaincu. Me fixant du regard, il me demanda: ‘Vous travaillez au Mercury?’ Une expression de vive satisfaction sur le visage, je répondis par l’affirmative. Il se savait vaincu lorsqu’il dit: ‘Je n’ai ni l’autorité nécessaire d’interdire votre projection, ni celle de vous dire de continuer.’ Là-dessus, nous sommes partis.“Je me rendis au bureau du Mercury et je racontai le tout. Le même soir, le journal publiait tous les détails en première page. (...) Il y en avait presque toute une colonne, avec une manchette disant qu’il n’y avait pas eu moyen d’empêcher la projection du Photo-Drame. Le dimanche suivant, on faisait la queue en attendant l’ouverture des portes. Le théâtre fut bondé à toutes les autres séances de la représentation, y compris pour le discours public final. On entendait dire: ‘Pourquoi est-ce que le clergé est contre cela?’”
L’OPPOSITION DU CLERGÉ REDOUBLE
Le clergé s’opposait lui aussi à notre œuvre par tous les moyens possibles. Considérez par exemple ce qui arriva à Charles Matthews, un Étudiant de la Bible très actif, en 1914. Dans la région de Canaan Station et Birch Mountain, au Nouveau-Brunswick, il parlait de la venue de la guerre en 1914, et certains disaient qu’il était bon pour l’asile de fous. Mais lorsque la guerre fut déclarée, ils dirent: “Charlie avait raison, car c’est bien arrivé. Nous qui pensions que le monde était trop civilisé pour cela!”
Mais la réaction du clergé fut très différente, car il s’agissait de contrecarrer l’influence que Matthews aurait désormais sur les gens. C’est ainsi que le pasteur R. Bynon organisa une conférence à l’église réformée d’Indian Mountain, à Berry Mills, dans le comté de Westmorland, au Nouveau-Brunswick. Son but? “Dévoiler le russellisme.” Cet ecclésiastique était accompagné d’un missionnaire pour le soutenir dans ses vues, et on vint remettre une invitation à Matthews chez lui. Lors du service religieux, le pasteur et son collègue parlèrent contre Russell et “ses” doctrines. L’un d’eux défia qui que ce soit de réfuter ce qu’il disait, mais lorsque Matthews essaya de parler, ils l’en empêchèrent. À la fin, un des ecclésiastiques s’arrêta pour dire: “Amen!” Immédiatement, un membre du conseil paroissial répondit: “Oui, amen! Maintenant, laissons parler Matthews.” Matthews parla pendant une demi-heure environ, en se servant de la Bible. Puis il remercia l’auditoire de l’avoir écouté. Un des ecclésiastiques chercha à le réfuter en se levant brusquement et en s’écriant: “Cet homme n’est pas converti. C’est un païen!” Mais là-dessus, l’assistance se leva et sortit.
Parfois, certains ecclésiastiques recoururent carrément à des procédés malhonnêtes. À Winnipeg, par exemple, James Kelly avait lu un volume des Études des Écritures. Voici ce qui se passa peu après, comme le raconte sa fille, Mme Frank Wainwright:
“Le dimanche, mon père, ma mère et nous, les six enfants, nous sommes allés assister au service religieux de Pâques à l’église méthodiste de Fort Rouge. Je n’ai jamais oublié le sermon qu’a prêché [un ecclésiastique nommé] Salton, parce qu’il semblait tellement merveilleux. C’est pourquoi j’étais surprise de voir mon père pousser ma mère du coude en lui disant sans cesse à voix basse: ‘Rappelle-toi ceci’, ou: ‘N’oublie pas ce qu’il dit.’ Vers la fin de cet intéressant sermon, je me demandais pourquoi le pasteur Salton devait gâcher son effet en avertissant l’auditoire avec véhémence d’éviter tout contact avec ces ‘Étudiants de la Bible’, surtout avec leurs publications [et en accusant faussement] leur chef, le pasteur Charles Russell, d’adultère et d’idolâtrie. (...)
“Pendant le long trajet du retour, mon père dit à ma mère de ne pas préparer le dîner, mais de lire au moins un certain chapitre du livre ‘La Bataille d’Harmaguédon’. Je me demandai pourquoi cette lecture troublait tellement ma mère. Enfin, elle s’exclama: ‘Mais, Jim! (...) le pasteur Salton a cité ce chapitre mot pour mot et sans doute aussi d’autres passages du livre.’ Alors, mon père demanda à ma mère de regarder à la première page quel était le nom de l’auteur. C’était Charles Russell!”
L’hypocrisie du clergé dans ses attaques contre Russell ouvrit les yeux des personnes bien disposées envers la justice. Aussi, dès le dimanche suivant, la famille Kelly fréquenta les réunions des Étudiants de la Bible.
LA PSYCHOSE DE GUERRE
Avec l’arrivée de la guerre, le clergé avait trouvé une nouvelle arme contre les Étudiants de la Bible. L’hostilité de certains conducteurs religieux jaloux de ce groupe de chrétiens et leur désir d’entraver leur accroissement pourraient désormais s’exprimer sous le couvert du patriotisme. Ces ecclésiastiques pourraient profiter de la psychose de guerre pour prétendre faussement que les chrétiens neutres étaient un risque pour la sécurité publique et un danger pour l’État. Pour cela, les membres du clergé eux-mêmes devaient devenir les champions de la cause de la guerre, même si cela faisait d’eux les adversaires de leurs frères, les ecclésiastiques d’autres pays. Cette contradiction, de même que leur reniement du “Prince de paix” ne semblait nullement les troubler (És. 9:6, 7). Les paroles suivantes de Mme Frank Wainwright nous donnent une idée du point de vue du clergé à cette époque:
“Je me rappelle qu’un ecclésiastique connu pour son franc-parler avait fait dire dans les journaux: ‘Tout homme qui meurt au front, dans les tranchées, bénéficie d’un passeport gratuit pour le ciel, et Dieu lui-même ne saurait l’empêcher d’y entrer.’”
Certains discernaient le rôle joué par le clergé pour encourager à participer à la guerre. En 1924, le Telegram de Toronto disait ce qui suit:
“Deux jeunes étudiants de l’University College, R. Ferguson et W. McKay, se présentèrent devant l’Association générale des ministres du culte de Toronto pour exposer les vues du mouvement d’étudiants ‘Plus jamais de guerre’. M. Ferguson qui, paraît-il, avait fait la guerre pendant quatre ans et demi dans la Garde écossaise, disait qu’il n’avait jamais rencontré d’homme qui était allé à la guerre pour le principe.”
L’article citait les paroles suivantes de Ferguson: “Nous chantions ‘En avant, soldats chrétiens’, puis nous nous enivrions au rhum pour pouvoir faire ce sale travail. Des milliers de jeunes gens étaient ivres au moment de s’enrôler; d’autres se sont enrôlés pour qu’on les voie en uniforme; d’autres furent incités à le faire par la propagande. La chaire était devenue un poste de recrutement, l’Église partie intégrante du péché organisé. Les ecclésiastiques recrutaient des sergents et les cathédrales étaient ornées de banderoles patriotiques.”
La position du clergé en ce qui concerne les conflits armés n’était donc pas passée inaperçue. Mais quelle fut son attitude vis-à-vis des activités des vrais chrétiens?
Passera-t-on pour naïf ou injuste si l’on dit que le but de certains ecclésiastiques était de réduire au silence les Étudiants de la Bible? Considérez un peu ce qu’écrivit, après la Première Guerre mondiale, Ray Abrams dans son livre intitulé Les prédicateurs présentent les armes (angl.) sur le rôle du clergé en temps de guerre: “Un fait significatif, c’est qu’un grand nombre d’ecclésiastiques participèrent activement à la lutte visant à anéantir les Russellistes. Des querelles religieuses et des haines vivaces que les tribunaux n’auraient jamais prises en considération en temps de paix pénétrèrent dans les salles d’audience sous l’influence de la psychose de guerre.”
Mais avant d’en dire plus sur les activités de nos adversaires religieux, il semble bon de mentionner que, pour le peuple de Jéhovah, les années entre 1914 et 1918 amenèrent d’autres grandes épreuves.
NEUTRALITÉ DES CHRÉTIENS PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
Les chrétiens canadiens qui maintinrent leur neutralité et qui, respectueusement, refusèrent toute participation à la Première Guerre mondiale, subirent bien des souffrances (És. 2:2-4; Jean 17:16). Ces hommes étaient parfaitement inoffensifs, et pourtant un certain nombre d’entre eux durent supporter non seulement l’incarcération, mais des traitements inhumains conçus pour briser leur résistance et les détruire spirituellement. Par exemple, considérez ce qui arriva à Ralph Naish et à Robert Clegg, à Winnipeg. George Naish, qui servit Jéhovah fidèlement à Saskatoon jusqu’à sa mort en 1978, rapporta ce qui suit:
“Un jour [Robert Clegg] et mon frère Ralph furent menés dans la salle de douches où, après qu’ils eurent refusé une fois de plus de devenir soldats, on les soumit alternativement à la douche froide et chaude. Après s’être brièvement évanouis plusieurs fois, ils finirent par perdre entièrement conscience. On les laissa sur le sol glacé en pierre pendant plusieurs heures jusqu’au moment de la tournée d’inspection de l’officier de nuit. (...) On les emmena alors à l’hôpital St-Boniface où, pendant plusieurs semaines, ils furent très mal en point. Le lendemain les journaux de Winnipeg firent de la publicité autour de cette affaire, mais la commission d’information publique du gouvernement d’Ottawa leur ordonna de cesser cette publicité, sans quoi certaines mesures seraient prises en vertu de la loi sur les mesures de guerre.”
Parmi les chrétiens canadiens qui furent maltraités à cause de leur neutralité, citons, à part Robert Clegg et Ralph Naish, Frank Wainwright, Claude Brown, Lloyd Stewart, David Cook, Edward Ryan et John Gillespie. Plus tard, ces hommes furent envoyés en Angleterre, où ils se retrouvèrent dans l’infâme prison de Wandsworth.
La vie dans cette prison était dure, les chrétiens incarcérés pour leur neutralité y furent maltraités, et leur foi mise à l’épreuve. Frank Wainwright, par exemple, raconte: “Un jour, parce que nous refusions de participer à l’entraînement militaire, plusieurs d’entre nous furent emmenés dans un coin retiré de la cour de la prison. Il y avait là toute une rangée d’hommes en uniforme, une canne à la main. Un par un, on nous ordonna de traverser la cour au pas de course. Si nous courions trop lentement, on nous tirait de force et les soldats nous frappaient sur le dos et les jambes avec leurs cannes. Ensuite, on nous ramena dans nos cellules. Nos prières à Jéhovah pour lui demander la force de résister à ces coups ont dû être entendues, car nous ne fûmes plus maltraités.”
Claude Brown, qui était le seul Noir dans ce groupe de chrétiens, “fut particulièrement maltraité par les gardes et les soldats”, rapporte frère Wainwright, qui ajoute: “Un jour, à Wandsworth, lorsqu’on le menaça en lui rappelant les slogans de la prison: ‘Ou vous obéissez ou on vous casse les reins’ et: ‘Ici, nous domptons des lions’, Brown répondit: ‘Mais, sergent, nous ne sommes pas des lions. Nous sommes les petits agneaux du Seigneur!’ (...) Après sa libération, frère Brown continua à servir fidèlement. En 1923, la Société Watch Tower lui demanda de servir en Afrique occidentale pour aider frère Brown surnommé ‘Brown la Bible’, et sa femme.”
PREUVES DE L’AIDE ET DE LA BÉNÉDICTION DE JÉHOVAH
Il est certain que Jéhovah soutient son peuple lorsqu’il souffre pour la cause de la justice, et que sa fidélité lui vaut de riches bénédictions (Mat. 5:10; Phil. 4:13). Parfois, même de cruels persécuteurs finissent par connaître ‘un changement de cœur’. Et un fidèle témoignage donne souvent de bons résultats. À cet égard, considérez ce qui arriva à George Naish:
“Le lendemain [de mon arrestation], on me mena devant le commandant de la prison qui, après de longs efforts pour m’inciter à incriminer d’autres personnes, surtout la famille chez qui j’habitais, posa une montre sur son bureau et me dit que j’avais trois minutes pour répondre à une vingtaine de questions, sinon on ‘m’emmènerait au numéro six pour me fusiller sans plus de formalités’. On m’assura que c’est ainsi qu’on agit avec les ‘lâches qui refusent de se battre pour leur roi et leur pays’. Cette escarmouche verbale restant sans résultat, il cria de toutes ses forces: ‘Sergent de la garde!’ Le sergent accourut avec deux soldats. Là, le commandant cria à tue-tête: ‘Emmenez ce sale tire-au-flanc au numéro six et fusillez-le!’ Comme je ne m’étais jamais trouvé dans cette situation, j’étais, disons-le, plutôt troublé, mais je priai Dieu de m’aider. On me poussa jusqu’au sous-sol et, arrivé au ‘numéro 6’, on ouvrit la porte et on me catapulta en avant avec un magistral coup de pied bien placé. On ne me fusilla pas, mais pendant les mois qui suivirent j’aurais préféré parfois qu’on l’ait fait. (...)
“Au bout d’un certain temps, on me transféra dans un camp militaire, dont les tentes étaient dressées sur le terrain de l’Exposition, et là ce fut un changement de décor et d’activités. Je me tenais entre les grandes rangées de tentes, devant celles de l’intendance, lorsqu’un jeune officier accompagné de deux soldats s’avança vers moi. Je compris que c’est de moi qu’ils parlaient. Debout devant moi, l’officier m’ordonna plusieurs fois de me mettre au garde-à-vous. Sur mon refus, il me frappa d’un uppercut à la mâchoire, qui m’envoya valser dans les cordes de l’autre rangée de tentes. Comme j’étais incapable de m’extirper de là, il se jeta sur moi et commença à m’étrangler. Après quelques instants de douleur intense, je perdis connaissance. Mon souvenir le plus vif de l’incident, c’est le changement dans l’expression du visage de cet homme, que la haine transforma en bête féroce.”
Malgré d’autres épreuves du même genre, frère Naish dit: “C’était merveilleux de constater, jour après jour, que Jéhovah ne nous abandonne jamais vraiment. Souvent, dans mes prières, je disais à mon Père céleste que j’étais sûr d’avoir atteint la limite de mon endurance. Mais il arrivait toujours quelque chose pour me redonner courage et me montrer que c’était son pouvoir qui me soutenait.”
De plus, pendant cette période d’épreuves, George Naish eut de nombreuses occasions de parler des desseins de Jéhovah à d’autres, fortifiant ainsi sa propre foi et disséminant la semence de la vérité. “Une partie de cette semence a porté du fruit, dit-il. Il y a, par exemple, ce sergent qui nous faisait défiler dans les rues de la ville [Prince Albert]. Des années plus tard, en prêchant dans un territoire rural à quelques kilomètres de Saskatoon, j’ai rencontré cet ancien sergent, Roger Barker. Chaleureusement, il me pria d’entrer. Au bout de quelques visites, sa femme et lui commencèrent à fréquenter la congrégation de Saskatoon et acceptèrent la vérité.”
Vous rappelez-vous ce commandant qui appela George Naish “sale tire-au-flanc”? Eh bien, frère Naish le rencontra des années plus tard lors d’un enterrement à Yorkton. “Lorsque j’avançai pour commencer mon discours, raconte frère Naish, une expression de surprise se dessina sur nos visages. Après le discours, il me demanda de l’accompagner dans sa voiture jusqu’au cimetière. Il s’excusa aussitôt des mauvais traitements qu’il m’avait infligés jadis. Il avait du mal à croire que je ne lui en voulais pas. Nous eûmes une discussion très amicale concernant la vérité. Grâce à ce genre de rencontres, j’ai compris que, même lorsque nous ne pouvions pas parler des choses qui nous tenaient vraiment à cœur pendant ces années d’épreuves, nos actions firent une profonde impression sur bien des gens.”
Considérez un autre cas qui prouve que la persévérance dans les souffrances mène à de riches bénédictions. Dans une des prisons où il fut incarcéré, George Naish se retrouva en compagnie de frère Charles Matthews et put enseigner la vérité à un codétenu. Voici son récit:
“La conversation était permise pendant de brèves périodes avant le déjeuner et le dîner. Naturellement, tous trois nous parlions à voix basse de choses spirituelles. Louis Ratz, le codétenu dont je parle, nous regardait, Matthews et moi, avec un intérêt intense. Plus tard, il dit qu’il ne comprenait pas ce qui nous unissait. Comme je travaillais à la table voisine de la sienne, quand l’occasion se présentait il me demandait avec insistance de raconter à nouveau pourquoi j’étais en prison. Il finit par comprendre ce que je lui répétais: ‘Parce que j’ai refusé de tuer mes semblables’, ce qui le fit rire aux éclats. Je lui demandai ce qui l’amusait tant. ‘Tout ça est très drôle. Je tue un homme, et je vais en prison. Toi, tu ne tues pas, mais tu vas aussi en prison.’ (...)
“Son intérêt était très vif. Après ma libération, j’ai fini par le faire sortir de prison par l’entremise de la commission de la libération conditionnelle à Ottawa. Cet homme, qui avait passé 16 ans en prison, accepta la vérité et resta fidèle jusqu’à sa mort il y a quelques années.”
Pour les chrétiens, maintenir leur neutralité pendant la Première I Pierre 3:13-15). Malgré les souffrances, il est évident que Jéhovah a aidé son peuple pendant ces années difficiles de la guerre et a déversé sur lui ses bénédictions.
Guerre mondiale ne fut pas chose facile. Il n’était pas facile non plus pour eux de supporter les mauvais traitements et la brutalité pour la cause de la justice. Néanmoins, leur persévérance dans ces épreuves donna d’excellents résultats. Certains persécuteurs même furent impressionnés et acceptèrent le christianisme après avoir observé la fidélité et la neutralité des proclamateurs du Royaume (L’OPPOSITION ATTEINT SON PAROXYSME
Bien entendu, les chrétiens canadiens n’ont pas tous été emprisonnés, mais ils furent tous mis à l’épreuve. Il faut dire que les Étudiants de la Bible avaient des ennemis, notamment leurs adversaires religieux qui voulaient absolument les réduire au silence. Oui, pour les vrais chrétiens, les années 1914-1918 furent une période de souffrances pour des motifs de conscience. Ces souffrances empirèrent à mesure que la guerre exigeait de plus en plus d’hommes, mais surtout après la publication du livre “Le mystère accompli”, le septième et dernier volume des Études des Écritures. Il semble que certains ecclésiastiques furent piqués au vif par ses remarques sur la guerre, peut-être à cause de leur propre attitude vis-à-vis de celle-ci. Une campagne des plus virulentes fut, semble-t-il, organisée pour “avoir” les Étudiants de la Bible dont l’action touchait toute l’Amérique du Nord. Cette campagne fut amorcée au Canada.
Avons-nous exagéré les faits? Pas du tout. Notez ce que dit le docteur Abrams dans son ouvrage déjà cité: “Quand on analyse toute l’affaire, on arrive à la conclusion que les Églises et le clergé étaient les auteurs du mouvement visant la liquidation des Russellistes. Au Canada, en février 1918, les ecclésiastiques entreprirent une campagne systématique contre eux et contre leurs publications, particulièrement Le mystère accompli. D’après la Tribune de Winnipeg, les ‘démarches du clergé’ seraient directement responsables du fait que le procureur général ait porté son attention sur les Russellistes et interdit leur livre.”
En janvier 1918, des ecclésiastiques très en vue au Canada signèrent une pétition qui demandait aux autorités civiles d’interdire les publications de l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Il ne s’agissait pas d’une poignée d’adversaires, car la pétition comptait plus de 600 signatures. Certaines publications citées étaient en circulation depuis plus de 30 ans! Ce n’est donc pas par pur patriotisme que les ecclésiastiques prirent des mesures contre les Étudiants de la Bible.
Comme preuve que c’est bien à cause des pressions du clergé que le gouvernement canadien interdit “Le mystère accompli”, citons
cette remarque parue plus tard dans la Tribune de Winnipeg: “On accuse ces publications de contenir des déclarations séditieuses et contre la guerre. C’est le révérend Charles Patterson, pasteur de l’église Saint-Étienne, qui, il y a quelques semaines, s’en prit du haut de la chaire à des extraits de l’un des récents numéros de l’‘Étudiant de la Bible’. Par la suite, le procureur général Johnson envoya chercher un exemplaire de la publication chez le révérend Patterson. On croit que l’ordre de la censure en est le résultat direct.”Les archives du gouvernement canadien, qui ont été ouvertes au public il y a quelques années, révèlent clairement que c’est le clergé qui, en 1918, fut à l’origine des mesures prises contre les vrais chrétiens au Canada. Mis devant les faits, le clergé démentit la chose, et pourtant, le colonel Ernest Chambers, chef de la censure, avait alors dans ses dossiers une lettre du “révérend” A. Cooke, pasteur de la Première Église congrégationaliste de Vancouver, en Colombie-Britannique, lettre libellée comme suit:
“L’Association générale des ministres du culte de Vancouver m’a chargé d’attirer votre attention sur une affaire qui nous a paru d’une importance considérable pour le public. Comme vous le savez, les disciples de feu le ‘pasteur’ Russell (...) s’appellent eux-mêmes ‘Étudiants internationaux de la Bible’ (...).
“Ne serait-il pas opportun d’interdire les ouvrages de propagande de cette organisation, qui sont publiés aux États-Unis et envoyés au Canada pour y être distribués par ces gens?”
Dans une lettre portant la mention “confidentiel”, le chef de la censure répondit en ces termes:
“Révérend et cher Monsieur, (...) votre communication transmettant l’opinion d’un organisme aussi influent que l’Association des ministres du culte de Vancouver nous est très utile pour intenter une action dans cette importante affaire. (...)
“Je considère que les attaques virulentes de ces publications contre toutes les Églises sans distinction méritent notre attention, même si les déclarations renfermées dans ces attaques ne sont pas ‘militairement répréhensibles’.”
Ces documents confidentiels du passé, ouverts maintenant à l’examen du public, montrent effectivement que c’est le clergé qui est à l’origine des mesures prises contre le peuple de Jéhovah en 1918. Oui, on refusa la liberté à ces fidèles chrétiens parce qu’ils avaient osé, comme Jésus Christ, parler sans crainte de la Parole de Dieu et dénoncer l’hypocrisie du clergé. — Mat. 23:1-39.
Il est particulièrement intéressant de noter que l’interdiction frappa l’œuvre au Canada le 12 février 1918, et qu’aux États-Unis l’ordre officiel d’interdiction du livre “Le mystère accompli” fut promulgué le 14 mars de la même année. Aux États-Unis aussi, d’ailleurs, ce fut à l’instigation du clergé.
PERSÉVÉRANCE DANS LA FOI
L’interdiction frappait non seulement l’organisation des Étudiants de la Bible, mais aussi leurs publications “Le mystère accompli” et “L’Étudiant de la Bible”. Ce qu’il y avait de remarquable au cours de cette période, c’étaient la foi et la détermination du peuple de Jéhovah, convaincu qu’il n’avait rien fait de mal et que l’interdiction était uniquement due à l’intervention du clergé. Certains frères sortaient dès 6 heures du matin ou tard le soir pour distribuer des tracts.
Devant une interdiction injuste, les chrétiens canadiens s’avérèrent ‘prudents comme des serpents, mais innocents comme des colombes’. (Mat. 10:16.) Voici un exemple: Janet MacDonald nota cet avis dans la presse: “Toute personne trouvée en possession d’un livre interdit est passible d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 5 000 dollars et d’une peine d’emprisonnement de cinq ans.” Cette mesure intimiderait-elle le peuple de Dieu? Nullement. Sœur MacDonald dit: “Dès que nous avons appris la nouvelle, nous avons transporté notre stock de livres dans le poulailler. Nous les avons enveloppés dans des journaux pour les protéger, puis nous les avons dissimulés derrière des planches que nous avons clouées. Le lendemain l’officier de police nous a rendu visite pour demander à mon père si nous avions des exemplaires de cet ouvrage dans la maison; mon père répondit par la négative.” Bien sûr, les livres étaient dans le poulailler.
Le combat pour le culte pur était commencé au Canada. “Nous avions préparé un stock du livre ‘Le mystère accompli’ en vue d’une diffusion éclair de grande envergure, pour devancer l’opposition”, écrivit T. Sullivan, qui ajouta: “Après le vote de la loi confirmant l’interdiction, les frères des États-Unis et du Canada ont fait circuler une pétition pour demander au gouvernement de lever l’interdit prononcé sur ce livre, afin que les gens puissent se procurer cet auxiliaire d’étude biblique sans crainte d’une intrusion dans leur domicile ou de voies de fait.” Recueillant des signatures à Port Arthur, en Ontario, Sullivan et un autre frère furent généralement bien reçus, mais il y eut des répercussions, comme l’écrivit frère Sullivan:
“La police, s’étant munie d’un mandat de perquisition, a fouillé notre chambre [d’hôtel] et a trouvé nos exemplaires personnels du livre ‘Le mystère accompli’. Ce soir-là, nous nous sommes retrouvés en prison, mais on nous a relâchés le lendemain. Selon toute probabilité, notre arrestation et la publicité qui l’a accompagnée ont fait plus pour établir les faits aux yeux des gens que ne l’aurait fait la pétition elle-même. Les journaux ont publié notre arrestation en première page. (...) La police a confisqué les cinq ou six cents exemplaires du livre ‘Le mystère accompli’ qu’on nous avait envoyés pour les distribuer dans le territoire. Mais le soir en question, alors que la publicité dans la presse atteignait son point culminant, les agents de police de Port Arthur sont rentrés chez eux avec des
exemplaires du livre, pour eux et pour leurs amis, de sorte qu’ils ont distribué à notre place toute notre réserve de publications.”La police perquisitionna dans de nombreuses maisons pour récupérer des publications de la Watch Tower, y compris celles qui étaient dans les bibliothèques privées, afin de les détruire. Même des Bibles furent confisquées! Voici ce qui arriva, par exemple, lorsque la nouvelle de l’arrestation de T. Sullivan et de son compagnon fut connue à Winnipeg, comme Sullivan le raconta plus tard: “L’armée envoya un camion de soldats, qui envahirent nos maisons à la recherche des publications interdites. Si l’armée avait le pouvoir de nous arrêter, de faire incursion chez nous et de confisquer nos biens, elle n’avait pas celui de nous juger. Nous restions des civils, et le tribunal civil revendiquait le droit de nous juger. Toujours est-il que les autorités civiles de Winnipeg étaient indignées de la façon arbitraire dont les soldats s’introduisaient dans les maisons et détruisaient les biens de chrétiens. Quand ils envahissaient un foyer, ils mettaient tout sens dessus dessous. Ils mélangeaient le charbon, la farine, le sucre et d’autres ingrédients, et les laissaient pratiquement inutilisables. Cette manière d’agir gênait beaucoup les autorités civiles, et certaines d’entre elles montraient combien cela les préoccupait en témoignant la plus grande bienveillance dans l’examen de notre cas.”
Un nombre surprenant de personnes bien disposées virent l’injustice de cette interdiction et se rapprochèrent du peuple de Dieu. Elles savaient que les Étudiants de la Bible, malgré leurs croyances différentes, étaient de bons citoyens, parfaitement inoffensifs. Un certain commissaire de police dit à un de ses hommes (qui était Étudiant de la Bible) de prendre congé pour la journée, car la police allait faire une descente dans la salle de l’IOOF où se réunissaient les Étudiants de la Bible, afin de confisquer toutes les publications qui s’y trouvaient. Parmi les objets confisqués, il y avait une liste des “serviteurs”, c’est-à-dire les frères qui assumaient certaines responsabilités. Persuadé qu’il avait fait une importante découverte, le policier s’empressa de la montrer à l’officier responsable. Mais ne connaissant pas la terminologie biblique, celui-ci proféra un juron et ajouta: “Nous ne cherchons pas leurs serviteurs. Ce que nous voulons, ce sont les chefs!”
Ailleurs, raconte Roberta Davies, lors d’une perquisition, un inspecteur de police demanda à une jeune femme: “Ce sont vos livres?” Sur sa réponse affirmative, le policier lui ordonna: “Enlevez-les, ma petite dame, avant que je les voie.” Plus tard, il démissionna de la police et confia à un Étudiant de la Bible qu’il ne pouvait plus faire “ce sale travail”. Ce n’était pas le seul policier qui était de cet avis.
Pour trouver nos publications, les fonctionnaires allèrent jusqu’à intercepter le courrier personnel de certains humbles chrétiens. Mais malgré tous ces efforts, les autorités ne trouvèrent jamais la plus grande partie des publications, qui étaient en sûreté dans les granges, les caves, etc.
Dans un cas classique, dans l’Ouest, les policiers à la recherche du livre “Le mystère accompli” tailladèrent des matelas, arrachèrent le tapis de l’escalier, démontèrent un harmonium et allèrent jusqu’à tamiser la farine contenue dans la huche, mais ils n’en trouvèrent pas un seul exemplaire. Pourtant, il y avait un exemplaire du livre fixé au moyen de courroies sous le siège où était assis l’officier qui dirigeait la perquisition!
Lorsque les autorités trouvaient nos publications, le possesseur était souvent frappé d’une forte amende ou mis en prison. En revanche, dix Étudiants de la Bible de la région de Vancouver virent dans la bibliothèque de la prison où ils étaient incarcérés les mêmes livres que ceux dont la possession leur avait valu trois mois de prison!
PROBLÈMES INTERNES
En plus des souffrances qu’ils endurèrent à cause de leur neutralité chrétienne, puis par suite de l’interdiction, les Étudiants de la Bible canadiens subirent d’autres tribulations pendant la Première Guerre mondiale. En effet, des difficultés surgirent au sein de l’organisation. Mais pour comprendre ce qui se passa, nous devons remonter un peu dans le temps.
C. Russell était souffrant depuis quelque temps déjà avant l’automne 1916. Mais il continuait son travail et donnait les conférences prévues. Par esprit de dévouement envers ses compagnons dans la foi, il vint au Canada une fois de plus en mars 1916. Voici son itinéraire: Toronto (11 mars), Peterborough et Lindsay (12 mars), Midland (13 mars), North Bay (14 mars), New Liskeard (15 mars), Bracebridge et Barrie (16 mars), Guelph (17 mars), Brantford et Hamilton (19 mars) et Niagara Falls (20 mars). Un emploi du temps vraiment épuisant!
Sa santé s’en ressentait. À la réunion de Toronto, Russell dut prononcer ses discours assis. Après cela, sa santé se détériora rapidement. Il mourut le 31 octobre 1916.
Cet événement fut pour les frères une cause de tristesse, de déception et d’incertitude concernant l’avenir. L’œuvre allait-elle continuer? Russell lui-même était d’avis qu’une grande œuvre attendait encore les vrais chrétiens. À une question qu’on lui posa à Vancouver en 1915, il avait répondu: “Il reste encore une grande œuvre à faire et il faudra des milliers de frères et des millions de dollars pour
l’accomplir. Je ne sais pas d’où viendra tout cela, mais le Seigneur sait ce qu’il fait.”“Une grande œuvre reste à faire”! Des milliers de frères pour l’accomplir! Quelle source de joie pour la plupart des frères! Certains, par contre, commencèrent à manifester de l’opposition aux directives de Brooklyn concernant l’œuvre dont Russell lui-même avait parlé. Quelques-uns voulurent ‘relever de ses fonctions’ Joseph Rutherford, qui avait été élu à la succession de Russell. Cet esprit de rébellion se remarquait non seulement chez des frères qui avaient reçu de grands privilèges au siège de la Société à Brooklyn, mais aussi chez certains du Canada. En plus de tout cela, il y eut l’arrestation sur de fausses accusations de Rutherford et de ses collègues en 1918, de quoi, en somme, éprouver jusqu’à la limite la capacité d’endurance des frères sincères. Tout semblait s’écrouler. Le moment de l’épreuve était venu pour tous!
À Toronto, environ 30 personnes se séparèrent de la congrégation et formèrent leur propre groupe. Elles cherchèrent à entraîner des disciples après elles au moyen de lettres et par d’autres moyens, mais leur activité s’arrêta au bout de deux ans environ. À Montréal aussi, certains formèrent un groupe à part. Les régions de Vancouver et de Victoria étaient déchirées par des dissensions qui durèrent jusqu’au début des années 1920. Charles Heard, un ancien pèlerin, fonda un mouvement appelé “Standfast” (“tenir ferme”), qui affecta les ecclésias dans tout l’Ouest canadien, de nombreuses congrégations étant littéralement scindées en deux. Certains dissidents formèrent leurs propres groupes locaux, qui attaquaient ouvertement la Société Watch Tower, l’accusant faussement d’avoir été abandonnée par Jéhovah.
Toutes ces tensions internes ébranlèrent de nombreux frères, mais on finit par comprendre que les individus indignes étaient en train d’être séparés des fidèles (I Jean 2:19). En effet, pour la grande œuvre de prédication et d’enseignement à venir, il fallait des hommes et des femmes ayant vraiment foi et courage.
UNE FILIALE POUR LE CANADA
Mais ces années n’apportèrent pas que de ‘mauvaises nouvelles’; elles apportèrent aussi de nombreux motifs de joie. Les progrès de l’œuvre de prédication du Royaume amenèrent l’établissement d’une filiale de la Société Watch Tower à Winnipeg le 1er janvier 1918. Walter Salter fut nommé directeur de la filiale, et quatre personnes furent invitées à faire partie du personnel.
En 1920, le bureau de la filiale fut transféré à Toronto, dans des locaux assez spacieux au 270 Dundas Street West. Dans le bâtiment, il y avait également un atelier de réparation de capotes d’autos.
(À cette époque, les voitures n’avaient pas de toit métallique.) À l’avant, il y avait suffisamment de place pour les bureaux, et à l’arrière pour le service de l’expédition. Plus tard, on fit l’acquisition de deux petites presses pour imprimer les feuilles d’invitation et une brochure sur l’enfer. À l’époque, les membres du personnel ne logeaient pas dans le bâtiment de la filiale, mais chez d’autres Étudiants de la Bible, ou dans des chambres meublées, et ils devaient se procurer leurs repas eux-mêmes. Les membres du personnel étaient alors W. Salter, Frank Wainwright, Charles Cutforth, Julia Loeb, Winnifred McCombe et Edna VanAlstyne.L’INTERDICTION EST LEVÉE
Un autre événement qui augmenta encore la joie des frères fut la levée de l’interdiction injuste dont faisaient l’objet le livre “Le mystère accompli”, “L’Étudiant de la Bible”, ainsi que l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Cette levée de l’interdiction eut lieu le 1er janvier 1920, c’est-à-dire longtemps après la fin de la guerre qui avait, prétendument, justifié l’interdiction.
Il est intéressant de noter que le clergé canadien s’opposait au rétablissement de la liberté de presse et de religion après la guerre, comme il le montra par une résolution sur la question. Pourquoi se refusait-il à voir lever les restrictions du temps de guerre? On peut se faire une idée du raisonnement de ses membres si l’on considère ce qui suit. En août 1920, le ministère du Travail publia une mise en garde contre les organismes prétendus subversifs dans la liste desquels il avait cherché à inclure l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Mais frère Rutherford protesta auprès du ministère du Travail, le texte de la protestation étant imprimé et distribué pour informer le public de la situation.
REVIVIFICATION DE L’ŒUVRE
Quelle joie, à la fin de la guerre, lorsqu’il fut à nouveau possible d’organiser des congrès! Le peuple de Dieu était rempli de joie à l’idée de pouvoir accueillir frère Rutherford et ses collaborateurs, après leur libération, à certaines de ces assemblées. En 1919, des congrès eurent lieu à Winnipeg, Calgary et Vancouver. En 1920, douze congrès furent organisés au Canada.
La présence de J. Rutherford et de certains de ses collaborateurs à ces congrès au Canada pendant les années qui suivirent leur libération et leur disculpation des fausses accusations portées contre eux attira une foule d’amis de la vérité, notamment lors des assemblées qui eurent lieu dans l’Ouest du Canada en 1921. Le premier de ces congrès se tint du 5 au 7 août à Winnipeg, c’est-à-dire dans la ville
où demeuraient le pasteur et l’homme politique qui avaient provoqué l’interdiction du livre “Le mystère accompli’, laquelle fut suivie d’une vague de persécutions, y compris l’emprisonnement de Rutherford et de ses compagnons. Comment la population de Winnipeg réagit-elle à la visite de frère Rutherford? On estime qu’environ 6 000 personnes assistèrent à la conférence publique.La période d’après-guerre fut marquée par la revivification du peuple de Jéhovah. Signalons à cet égard le congrès de 1919 à Cedar Point, dans l’Ohio, aux États-Unis, qui, chez les Étudiants de la Bible au Canada et ailleurs, ranima l’enthousiasme pour l’œuvre d’évangélisation. C’est là que fut présenté le nouveau périodique L’Âge d’Or (qui s’appelle maintenant Réveillez-vous!), ce qui donna un grand essor à l’œuvre. Puis vint l’année 1922, et un nouveau congrès très réjouissant eut lieu à Cedar Point. Les assistants rentrèrent chez eux fermement déterminés à donner le témoignage, même dans des régions éloignées de leur lieu d’habitation. Le peuple de Jéhovah, littéralement revivifié, allait désormais annoncer le Roi et le Royaume!
EXPANSION DU SERVICE DU ROYAUME
C’est cet esprit qui incita les serviteurs de Dieu à étendre leur œuvre de proclamation du message du Royaume. Certes, ils avaient été très actifs avant 1922. Rien qu’en l’année 1920, par exemple, plus de 65 000 exemplaires du livre “Le mystère accompli” avaient été distribués au Canada. Mais maintenant, après le congrès de 1922 à Cedar Point, les agents de publicité du Royaume étaient décidés à ‘retourner dans le champ’ et à donner le témoignage, non seulement dans leur territoire local, mais dans des régions reculées du champ canadien.
Charles Johnson travailla comme colporteur dans la région de la rivière de la Paix, dans le nord de l’Alberta, afin de donner suite au travail qui y avait été effectué auparavant. En 1919, un Étudiant de la Bible nommé Nielson avait prêché le long de la voie ferrée jusqu’au Petit Lac de l’Esclave, soit à 700 kilomètres de la frontière américaine, distance considérable pour l’époque. John Hamilton fut pionnier dans la région de Spirit River de 1923 à 1934.
Voici, d’après George Naish, la méthode qu’utilisaient les proclamateurs du Royaume à Saskatoon: “Souvent, le week-end, deux frères emportaient des publications et prenaient le train pour une petite localité pas trop éloignée où ils pourraient prêcher jusqu’au retour du train, soit le même jour, soit le lendemain. Si nous ne pouvions rentrer que le lendemain, après avoir prêché dans la localité, le soir nous nous séparions et allions dans différentes directions pour atteindre les fermes accessibles à pied, c’est-à-dire éloignées de
trois à six kilomètres. Nous décrivions un demi-cercle, de façon à revenir au village ou en ville. Puis, nous reprenions le train et rentrions chez nous, fatigués mais heureux aussi des privilèges que nous avions eus.”Pour vous faire une idée du zèle des proclamateurs de la “bonne nouvelle” en ce temps-là, considérez ce qui suit. À la suite d’une erreur dans une commande de publications, un petit groupe reçut plus de 2 000 volumes des Études des Écritures qu’il devait distribuer. Laissons raconter le frère qui s’était trompé dans la commande: “Un jour, en rentrant chez moi, je fus très embarrassé (...). Le concierge de l’immeuble m’accueillit en me demandant: ‘Qu’est-ce que vous avez bien pu commander?’ ‘Oh! quelques livres’, lui dis-je. ‘Eh bien, vous avez dû commander toute une bibliothèque publique.’ (...) Qu’allions-nous faire de 288 séries de volumes, soit au total 2 016 livres cartonnés? Lorsque je suggérai à mon compagnon d’écrire au bureau de la Société Watch Tower à Toronto pour expliquer la chose, il refusa. La seule solution pour placer ces publications, dit-il, c’était de travailler tant et plus dans le service du champ. Signalons qu’en moins d’un an notre stock des Études des Écritures était complètement épuisé, ce qui prouve que les frères de la congrégation avaient fait de grands efforts.”
Pour l’expansion du service du Royaume, nous utilisions toutes sortes de véhicules: bicyclettes, voitures à cheval et charrettes anglaises (chariots à quatre roues tirés par des chevaux). On confectionnait également des véhicules avec des anciennes carrosseries de voiture, mais tirés par des chevaux. En hiver, ces véhicules, qu’on appelait “cambuses”, étaient complètement fermés. Il y avait à l’intérieur un petit poêle à bois pour réchauffer les passagers, mais si la “cambuse” se renversait, on risquait de se brûler. Pour les voitures découvertes, on chauffait des pierres toute la nuit, puis on les mettait dans la voiture près des pieds des occupants. Enfin, on s’emmitouflait dans des couvertures et des pelisses en peau de bison.
Parfois, les serviteurs de Jéhovah parcouraient d’immenses territoires en formant une caravane de voitures de ces temps héroïques. Le marchepied extérieur de ces voitures était très pratique pour préparer un repas ou pour trier les publications. Pour dormir, on emportait des tentes.
Loretta Sawyer se souvient de l’époque où elle servait comme colporteur avec une voiture à cheval en Saskatchewan:
“Le territoire qui m’était assigné s’étendait sur 60 kilomètres environ vers le nord, jusqu’à la rivière Saskatchewan, sur 60 kilomètres vers l’ouest où la même rivière en constituait la limite, vers le sud jusqu’à la ligne principale de chemin de fer, et vers l’est jusque chez moi. Cela représentait environ 2 300 kilomètres carrés. (...)
“Je n’ai jamais manqué de trouver un abri pour la nuit, pour mon cheval et moi, car Jéhovah pourvoyait toujours au nécessaire. Parfois,
on me demandait une somme modique, mais personne n’a jamais été désagréable ou dans l’impossibilité de nous procurer un abri. On nous donnait aussi à manger, à mon cheval et à moi, et on chauffait ma pierre en prévision de ces journées d’automne glaciales en pleine prairie.”C’est aussi vers cette époque-là qu’une petite ecclésia commença à faire de bons progrès à Wakaw, en Saskatchewan. Ces humbles débuts devaient influer considérablement sur l’œuvre de prédication du Royaume au Canada. En effet, Wakaw devint un lieu d’assemblée pour les Étudiants de la Bible. Parfois, ils étaient jusqu’à 400 à se réunir, ce qui faisait la manchette des journaux. Emil Zarysky, de Wakaw, déploya une activité considérable parmi ses compatriotes ukrainiens de la province. Pendant quelque temps, il servit comme colporteur et comme pèlerin. En 1926, 104 personnes assistèrent au Mémorial à Wakaw. Les progrès furent rapides, si bien qu’il y eut au moins 44 pionniers et missionnaires originaires de cette petite congrégation. Il y en a une quinzaine qui sont encore dans le service à plein temps, dont Joseph Lubeck et Olga Campbell (tous deux au Béthel de Brooklyn), de même que Victoria Siemens et Helen Held.
PRÊTS POUR L’EXPANSION
En 1922 et 1923, l’activité de prédication du Royaume au Canada était en pleine expansion. En 1922, le nombre des assistants au Mémorial fut de 2 335 personnes. Ce furent des années de progrès pour le christianisme, et le peuple de Jéhovah envisageait l’avenir avec confiance. La Tour de Garde, édition anglaise du 15 décembre 1923, disait: “Nos nouveaux locaux sont bien éclairés, confortables, spacieux. Nous avons 520 mètres carrés de superficie, soit assez pour nos besoins actuels et pour l’expansion future.”
De “nouveaux locaux”? Oui, la Société venait de faire l’acquisition d’un immeuble plus approprié pour abriter les bureaux de la filiale, mais ce n’est que plus tard que le personnel devait commencer à loger au même endroit. Ces locaux plus spacieux permirent l’installation d’un matériel d’imprimerie plus important. Désormais la proclamation du Royaume au Canada allait se faire avec plus de force que jamais.
LA PROCLAMATION DU ROYAUME AU QUÉBEC
En 1923, Alexander Deachman et Peter Robertson furent envoyés au Québec comme colporteurs spéciaux. Voici un rapport de service sur le Québec pour cette année-là:
“Notre moyenne de [placements de] livres par semaine n’a guère baissé, et à présent nous pouvons avoir des conversations intelligentes
avec les gens sur des sujets simples. Un dimanche soir, le 10 juin, dans la salle Lebœuf à Valleyfield, nous avions organisé une projection du ‘Photo-Drame’. La salle était bondée de gens de langues française et anglaise, et vingt-cinq livres furent [placés]. Le monsieur qui nous logeait nous demanda de projeter le ‘Photo-Drame’ chez lui; c’est ce que nous fîmes le 13 juin. Dix-sept adultes étaient présents, tous français et catholiques. Le pasteur anglais voulut organiser une séance dans son église le 18 juin, mais il nous était impossible de rester à Valleyfield jusqu’au dimanche suivant. (...) Les pasteurs protestants nous accueillirent chaleureusement (...) il n’y eut jamais le moindre murmure de désapprobation de leur part, et tous deux possèdent des livres de frère Russell. Dans notre pension, une des petites filles nous a dit qu’elle n’avait plus l’intention d’aller à l’église, car nous étions beaucoup plus gentils que les prêtres. Tout indique l’imminence d’un réveil. Le Roi a préparé la voie pour son message; il ne reste plus qu’à trouver des ouvriers pour porter la bonne nouvelle.”Parmi ceux qui eurent le privilège de prêcher au Québec à ce moment-là, citons Janet MacDonald (ce n’est qu’en 1928 qu’elle épousa Howard MacDonald, un Étudiant de la Bible). Janet commença à proclamer la “bonne nouvelle” à Montréal en 1924. À l’époque, elle participait à la distribution d’une résolution adoptée au congrès de Columbus, dans l’Ohio. Cette résolution, sous forme de tract, était intitulée “Acte d’accusation contre le clergé” et révélait clairement que la fausse religion mène à la mort. Voici ce que sœur MacDonald raconta plus tard:
“Suivant l’itinéraire tracé par la Société, nous avons prospecté un grand nombre de villes: Granby, Magog, Asbestos et d’autres localités de l’Est. Pour éviter l’opposition, nous commencions à distribuer les tracts de porte en porte à trois heures du matin; à sept ou huit heures, quand la ville s’animait, nous avions terminé notre travail. Les autorités nous ont arrêtées plusieurs fois, cherchant à nous effrayer pour nous faire quitter la ville. Par exemple, à Magog, on nous a fait comparaître devant un tribunal. Aucune accusation n’a été retenue contre nous, mais on nous a demandé 15 dollars de caution. Quand nous avons dit que nous ne les avions pas, la caution a été ramenée à 10 dollars; comme nous ne les avions pas, on nous a demandé 5 dollars. Nous ne les possédions pas davantage; aussi nous a-t-on relâchées.
“En mai 1925, nous avons eu des ennuis plus sérieux à Coaticook. Une bande d’individus, conduits par le chef des Chevaliers de Colomb [mouvement catholique], nous a encerclées et a essayé de nous faire monter dans un camion. Nous nous sommes enfuies et avons cherché refuge dans la salle d’attente de la gare. Les voyant approcher,
le chef de gare a fermé les portes à clé. Ils ont alors assiégé la gare, brandissant le poing et donnant de grands coups dans la fenêtre de la salle d’attente. Le meneur est ensuite revenu, accompagné d’agents de police.“Nous avons été arrêtées, puis emmenées à la mairie, où un tribunal a aussitôt été réuni. On nous a accusées de ‘publier un écrit diffamatoire et blasphématoire’, parce que notre tract critiquait le clergé. Le seul témoin à comparaître fut le prêtre catholique de la localité. Conduites à Sherbrooke, nous avons été enfermées toute une nuit dans une prison infecte, où fourmillait la vermine. Les morsures que je portais étaient telles qu’il m’a fallu subir un traitement pendant plusieurs semaines.
“Le 10 septembre, nous avons comparu devant le juge Lemay, qui décida de respecter la loi: ‘Il n’y a ici, dit-il, aucun écrit diffamatoire et blasphématoire, et je rejette la plainte déposée contre les accusées.’”
De toute évidence, il n’était pas facile d’annoncer le Roi et le Royaume au Québec en ce temps-là. Néanmoins, comme ailleurs au Canada, les fidèles proclamateurs de la “bonne nouvelle” allaient de l’avant, car il y avait une grande œuvre à faire et ils étaient vivement désireux de l’accomplir.
LE MESSAGE DU ROYAUME “SUR LES ONDES”
Au début des années 1920, un nouveau moyen de proclamer le Royaume fit son apparition, et les Étudiants de la Bible ne tardèrent pas à le mettre à profit. Ce nouvel organe d’information, ce fut la radio, qu’ils avaient déjà utilisée dans une certaine mesure avant 1923. Smith Shuttleworth, de Brandon, par exemple, avait prononcé quelques discours bibliques à la station CKX. Mais les Étudiants de la Bible canadiens ne possédaient pas de station à eux.
Pendant l’été 1923, George Naish, de Saskatoon, avait fait la connaissance d’un avocat qui, pendant la guerre, avait été officier des transmissions. Un jour, voyant des poteaux en bois d’une vingtaine de mètres de long sur le sol, Naish demanda ce que c’était. On lui dit qu’ils provenaient d’un pylône de transmissions. Plus tard, frère Naish se dit que ces poteaux permettraient de dresser une excellente antenne émettrice de radio. Or, pourquoi ne pas organiser une station de radio qui diffuserait la vérité biblique sur les ondes?
Avec l’encouragement du bureau de la Société à Toronto, la congrégation locale se mit à réaliser son projet. À la fin de l’automne, elle avait acquis un terrain sur une hauteur, dans le quartier nord-ouest de Saskatoon. Elle fit l’acquisition, à titre de bien de récupération, des poteaux que nous venons de mentionner et d’autre matériel. C’est ainsi que les Étudiants de la Bible de Saskatoon construisirent une station émettrice. Dès le printemps 1924, cette station d’une
puissance de 250 watts, CHUC, une des premières stations religieuses au Canada, commençait à diffuser. Il n’y avait à ce moment-là qu’une autre station à Saskatoon, et environ sept autres stations seulement dans tout le pays.En quoi consistaient les programmes diffusés? La station, qui n’émettait que pendant quelques heures, diffusait des discours bibliques. On répondait aux questions sur les Écritures et l’on présentait des morceaux de musique. William Flewwelling, qui possédait une bonne voix, donnait souvent des discours et répondait aux questions. Hilda Essen chantait des cantiques demandés par les auditeurs, et des membres de la congrégation locale interprétaient des morceaux de chant choral, sous la direction de Costa Wells, Étudiant de la Bible, qui avait déjà chanté sous la baguette de S. Betts au Crystal Palace de Londres.
La réaction du public fut excellente. Les frères s’occupaient consciencieusement du courrier, envoyaient des publications bibliques aux personnes intéressées au message, ou bien les visitaient en personne. La station CHUC permit d’atteindre de nombreuses personnes qui habitaient des régions éloignées. Par exemple, une certaine Mme Graham, de McKague (à environ 185 kilomètres de Saskatoon), réagit favorablement au message du Royaume et commença à répandre celui-ci dans le territoire de la vallée de la rivière Carrot. Lorsque la réception était particulièrement bonne, CHUC était captée jusqu’aux contreforts des Rocheuses, dans l’ouest de l’Alberta, et jusqu’au nord des États-Unis, soit à des distances de 300 à 500 kilomètres. Étant donné le nombre de gens qui cherchaient la vérité, il fallait s’étendre, comme le mentionna George Naish:
“Avant longtemps, l’expansion était devenue indispensable. À ce moment-là, la fabrique de pianos Heintzman fit construire un très beau magasin dans le centre de Saskatoon. Je proposai au gérant d’utiliser une partie du magasin principal comme studio trois fois par semaine. En retour, nous étions prêts à annoncer, à l’ouverture et à la clôture des programmes, que l’émission provenait du studio CHUC, dans l’immeuble Heintzman, à Saskatoon. Le gérant hésita tout d’abord, mais dit qu’il en parlerait aux propriétaires. En l’espace de quelques semaines, nous faisions nos émissions selon une méthode alors totalement nouvelle: par télécommande. D’après l’inspecteur des stations de radio de l’époque, notre petite station CHUC avait fait œuvre de pionnier dans ce domaine.”
EXPANSION DE L’ŒUVRE RADIOPHONIQUE
En 1925, la Société Watch Tower devint propriétaire de la station CHUC, et les studios furent installés dans l’immeuble Regent, ancien cinéma qu’elle avait acheté expressément à cette fin. À Toronto, la Société exploitait la station CKCX (à partir de 1926). Parmi ses programmes
les plus remarquables, citons le discours intitulé “Le plus grand conflit de la terre est proche”, prononcé en 1926 par frère Rutherford au Pantages Theatre. La CKCX devint le centre d’un réseau national de stations qui diffusaient le message du Royaume. Margaret Lovell se rappelle que Neville Maysmith, le speaker de la station (qui avait été acteur avant de devenir Étudiant de la Bible), se servait d’un air de carillon comme indicatif de la station CKCX. Depuis lors, beaucoup d’autres stations ont adopté un indicatif musical.Étant donné l’expansion de notre œuvre radiophonique, la Société fonda en 1926 la station CHCY à Edmonton et créa une quatrième station, la CFYC, à Vancouver. En plus de ces stations de radio qui diffusaient le message du Royaume, la Société ou les congrégations locales d’Étudiants de la Bible organisaient des émissions sur les ondes des stations commerciales de différentes villes. Ce fut le cas, par exemple, de la station CJCB, à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Après une certaine émission, — il s’agissait du discours de Rutherford intitulé “Le Royaume, Espérance du Monde”, — un colonel, J. MacDonald, dit à Daniel Ferguson: “Les habitants de l’île du Cap-Breton ont pu écouter aujourd’hui le plus beau message jamais entendu dans cette région. C’était absolument merveilleux.”
UN RÉSEAU RADIOPHONIQUE INTERNATIONAL
L’année 1927 fut vraiment remarquable. Pour le congrès qui devait avoir lieu du 18 au 26 juillet, on avait choisi Toronto, en Ontario. Les assistants étaient venus de tous les États des USA, de toutes les provinces du Canada et même d’Europe. Lorsque J. Rutherford donna le discours public intitulé “Liberté pour les peuples”, il avait l’auditoire le plus nombreux qu’un homme ait jamais eu à la fois. Non seulement il y avait environ 15 000 personnes au Coliseum et dans d’autres salles du parc de l’Exposition, mais, au moyen de la télécommande, le discours fut diffusé par la station de radio CKCX, elle-même reliée à un réseau international de 53 stations. Oui, des millions de personnes entendirent le message par l’entremise du plus grand réseau radiophonique qu’il y ait eu jusque-là.
Graham McNamee, célèbre speaker du réseau américain NBC, avait été envoyé à Toronto pour présenter le conférencier. Grâce à d’autres arrangements spéciaux, le discours fut également diffusé en Australie et en Angleterre. Notons que, si le maire de Toronto souhaita aux délégués la bienvenue au congrès, les journaux de la ville gardèrent le silence sur cet événement historique, mais la Société édita son propre journal intitulé “Le Messager”, qui fut un compte rendu quotidien du congrès.
LA LUTTE POUR LA LIBERTÉ DES ONDES
Piqué au vif par l’utilisation de plus en plus efficace de la radio pour proclamer la vérité biblique, le clergé exerça des pressions sur les autorités gouvernementales. C’est ainsi que le 8 mars 1928 la Société Radio-Canada informa brusquement l’Association internationale des Étudiants de la Bible que ses permis de radiodiffusion ne seraient pas renouvelés. Au début, elle ne donna aucune raison à cette décision, mais cette attaque contre la liberté de parole souleva un tollé de protestations, et on fit aussitôt circuler une pétition pour que les stations en cause soient autorisées à continuer de diffuser. On recueillit au total 466 938 signatures demandant la levée de l’interdiction qui frappait les stations de l’Association.
P. Cardin, ministre de la Marine et des Pêcheries, un catholique, exprima l’attitude officielle du gouvernement. Prétextant qu’il y avait eu de nombreuses plaintes concernant les émissions des Étudiants de la Bible, mais dont il n’identifia pas les auteurs, il déclara: “Les auteurs de ces plaintes disent généralement que ces émissions sont devenues intolérables. Sous le couvert de discours bibliques, il paraît qu’il se fait une propagande antipatriotique et injurieuse pour toutes nos Églises. Il semble ressortir du texte de ces prédications que toutes les Églises organisées sont corrompues et alliées à des forces injustes, que la société entière est mauvaise et que tous les gouvernements sont à condamner. Le Ministère est persuadé que, dans l’intérêt du grand public, il convient de ne pas renouveler les permis aux Étudiants de la Bible.”
Ces paroles permettent d’identifier facilement l’origine de ces plaintes. Bien entendu, elles exagéraient beaucoup et elles citaient certaines déclarations hors de leur contexte. D’après le même raisonnement, pratiquement toute station de radio ou tout journal qui critique quelqu’un devrait cesser d’exister. C’est ce qui ressort des déclarations faites lors des débats au Parlement à la suite de la pétition. Un député en particulier résuma très bien la question:
“Je ne suis pas membre de l’Association des Étudiants de la Bible. (...) Mais j’aimerais poser une question: Quand avons-nous nommé un ministre de notre gouvernement aux fonctions de censeur des opinions religieuses? Tout au long de l’Histoire, certains groupements religieux en ont critiqué d’autres. Je trouve que la grande Église catholique romaine a parlé en termes parfois très durs des hérétiques; je trouve que l’Église anglicane, dans son symbole d’Athanase, condamne en termes très énergiques ceux qui ne partagent pas ce credo; et j’ai entendu des évangélistes dire aux gens en général qu’ils iraient en enfer s’ils ne croyaient pas aux doctrines qu’ils leur prêchaient. On dit que les Étudiants de la Bible condamnent d’autres groupements religieux. Pourquoi punir les Étudiants de la Bible pour la seule raison qu’ils imitent d’autres groupements
religieux? S’il faut mettre fin aux activités des Étudiants de la Bible parce qu’ils condamnent à la fois les catholiques et les protestants, je ne vois pas pourquoi on n’interdirait pas également le Sentinel [des orangistes, organisation ultra-protestante] et le Catholic Register.”Dans un rapport sur la question, La Tour de Garde déclara: “Nous avons envoyé un de nos avocats à Ottawa et, lors de ses entrevues avec le gouvernement, le seul motif qu’on ait pu trouver, c’est qu’il avait fallu couper le sermon d’un certain prédicateur pour permettre à notre station de commencer ses émissions. Mais il faut dire que notre station avait respecté son horaire et que c’est le prédicateur qui avait dépassé le sien de quinze minutes. Mais ce n’était pas une raison suffisante, bien sûr, pour refuser leur permis aux autres stations dans des régions différentes du Canada.”
Si le gouvernement canadien croyait pouvoir accomplir en douce cet acte arbitraire, il ne devait pas tarder à se détromper. Les protestations et les demandes d’explications affluèrent. De toute évidence, M. Cardin n’était pas prêt à affronter ce mouvement d’opinion. Les députés exigèrent des explications sur les mesures prises. Une explication vague et générale mentionnant “un grand nombre de protestations” a pu sembler satisfaisante pour Cardin, qui cherchait vainement à éluder la question, mais elle ne satisfaisait pas les députés. Deux députés aux opinions libérales, J. Woodsworth et A. Heaps, peu convaincus par les faibles explications du ministre de la Marine, exigèrent qu’il présente toute la correspondance et les plaintes qu’il avait reçues.
La pression des protestations continuait également en dehors de la Chambre des communes. La grande pétition portant 466 938 signatures fut déposée au Parlement. De plus, 1 500 télégrammes et des milliers de lettres furent envoyés pour déplorer la mesure prise par le gouvernement. De grandes réunions de protestation furent organisées dans diverses régions du Canada.
Entre-temps, au Parlement, les députés, qui tenaient à ce que justice se fasse, continuaient à exiger que M. Cardin présente les plaintes qui, d’après lui, l’avaient incité à refuser de renouveler les permis en question. Après un retard inexpliqué et des demandes répétées, les plaintes furent enfin présentées le 7 mai 1928.
Le débat complet de la question eut lieu à la Chambre des communes les 31 mai et 1er juin 1928. J. Woodsworth donna le ton lorsqu’il mentionna qu’après tant de semaines d’atermoiements, il avait principalement trouvé des coupures de journaux mentionnant l’annulation. Dans l’impossibilité de présenter des plaintes pour justifier l’annulation des permis, M. Cardin avait essayé de renforcer sa position plutôt chancelante en versant au dossier des articles publiés après sa mesure arbitraire.
L’un après l’autre, des députés à la Chambre des communes attaquèrent la mesure prise par le gouvernement contre le peuple de Jéhovah. Citons, entre autres, un certain M. Irvine: “Si, pour mes enfants, j’avais le choix entre ce genre de chose [du jazz] et les programmes édifiants et instructifs diffusés par les Étudiants de la Bible, je préférerais qu’on supprime en partie la diffusion sur les ondes de ces autres choses et qu’on laisse subsister les programmes des Étudiants de la Bible, même si je ne partage pas leurs opinions religieuses. En fait, à mon avis, la question religieuse ne devrait pas entrer en ligne de compte, le principe de la liberté et de la tolérance religieuses était censé avoir été réglé il y a des siècles.”
À 23 h 00, le débat durait toujours, et il reprit le lendemain, le 1er juin 1928. Cardin défendait péniblement une position absolument intenable, tandis que les autres députés le criblaient de questions auxquelles il n’avait pas de réponse. Il avait fait état, au total, de trois plaintes originaires de Vancouver, cinq d’Edmonton, six de Saskatoon et quelques-unes de Toronto (Les Témoins de Jéhovah au Canada [angl.], p. 100). Un député déclara: “Autrement dit, le Ministère a résilié les permis, et ensuite il a cherché un peu partout des arguments pour justifier son action. À mon avis, cette façon d’agir n’a rien d’équitable; ce n’est pas le genre de mesure que la Chambre devrait justifier.”
Les mesures arbitraires du gouvernement avaient donc été portées à la connaissance du public. En même temps, un témoignage fut donné (Mat. 10:18). Un groupement relativement peu nombreux avait été le point de mire de tout le pays, qui avait pris note de ses demandes parfaitement justifiées.
Les autorités, passant outre à la pétition de près de 500 000 signatures et prétendant ne faire que la volonté du public, maintinrent leur position. Les permis ne furent plus jamais octroyés. Désormais, la radiodiffusion du message du Royaume devait se faire par l’entremise d’autres stations. En 1931, 21 stations diffusaient les enregistrements des discours de frère Rutherford chaque semaine.
L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES ÉTUDIANTS DE LA BIBLE DU CANADA
L’accroissement de l’activité des serviteurs de Dieu, de même que d’autres circonstances, amenèrent la fondation de l’Association internationale des Étudiants de la Bible du Canada. Cette association déclarée sert les intérêts des Témoins de Jéhovah au Canada. C’est elle, par exemple, qui détient le titre de propriété des biens de la filiale.
Lorsque cette Association fut fondée en 1925, la famille du Béthel de Toronto comptait 12 membres. Il y avait aussi à ce moment-là,
en moyenne, 1 000 proclamateurs du Royaume, ainsi que 71 colporteurs, organisés en 70 groupes ou congrégations.DÉBUT DES LUTTES JURIDIQUES
Toute cette activité devait encore provoquer des réactions. Certains fonctionnaires et policiers, influencés par le clergé, s’ingérèrent de plus en plus dans notre œuvre d’évangélisation publique. Les arrestations commencèrent au Québec à Ste-Anne-de-Beaupré, à Westmount et à Montréal. Nous gagnâmes ces procès, de même qu’un autre à Calgary, mais ce n’était que le début d’une longue série de procès dans le cadre de la lutte pour la liberté d’expression devant les tribunaux.
Concernant le procès de Calgary, le Herald de cette ville rapporta ce qui suit: “LA VENTE SANS PERMIS DE PUBLICATIONS RELIGIEUSES EST AUTORISÉE DANS LA VILLE. La vente de publications religieuses, dans le cas où il ne s’agit pas de faire un bénéfice, n’est pas du colportage au sens de l’arrêté municipal qui obligerait un vendeur de ce genre de publications à obtenir un permis au préalable. C’est là le jugement rendu par le magistrat Sanders, du tribunal de simple police, samedi dernier dans l’affaire H. B., de la Société internationale de la Bible, qui était accusé d’une infraction à la loi.”
LE TRAVAIL DES “ÉQUIPES DES ÉCOLES”
Mentionnons qu’en 1924, le peuple de Jéhovah organisa une activité qui devait avoir un grand retentissement dans de nombreuses localités. Appelée l’activité des “équipes des écoles”, elle consistait à donner le témoignage dans une certaine région et à inviter les gens à assister à une conférence à l’école de la localité.
Habituellement, deux Étudiants de la Bible travaillaient ensemble. Cette méthode permit de s’adresser à des milliers de personnes dans tout le Canada. Les participants à cette œuvre, qui allaient d’une localité à l’autre, se trouvaient parfois dans un endroit différent chaque soir pour le discours. Le dimanche, on donnait quelquefois deux discours. Cette activité n’était donc pas pour les paresseux!
LES AUTOS-MAISONS FACILITENT L’ŒUVRE
Pour prêcher dans les campagnes, les proclamateurs du Royaume devaient souvent vivre en dehors de chez eux pendant des semaines d’affilée. Où pouvaient-ils loger dans ces circonstances? Eh bien,
certaines congrégations utilisaient une espèce d’auto-maison. C’est probablement Harry Marshall, de Portage-la-Prairie, au Manitoba, qui construisit le premier de ces véhicules. Mais à quoi ressemblaient-ils?On construisait une carrosserie comportant un coin pour la cuisine et des lits, et on fixait le tout sur le châssis d’une camionnette Chevrolet ou Ford. Cela valait mieux que des tentes que certains avaient utilisées auparavant. Ces autos-maisons sont peut-être les ancêtres des camping-cars qu’on voit couramment aujourd’hui.
L’ACCENT EST MIS SUR L’ÉVANGÉLISATION DE MAISON EN MAISON
En 1927, on mit l’accent sur les visites de maison en maison le dimanche. Certains en furent choqués, car ils considéraient le dimanche comme “le jour du Seigneur”, durant lequel il ne fallait pas travailler. Ils oubliaient, bien entendu, que le clergé ‘travaille’ lui aussi en chaire ce jour-là.
Dans certaines régions, la police harcela les serviteurs de Jéhovah, et il y eut quelques arrestations, mais l’œuvre de témoignage progressa. Fait surprenant, dans certaines congrégations d’Étudiants de la Bible, des “anciens” manifestèrent leur opposition, parce qu’ils estimaient que cette méthode manquait de dignité. Du moins, c’était le prétexte qu’ils donnaient, mais il est clair maintenant que ceux qui s’opposaient ainsi étaient ceux-là mêmes qui s’étaient déjà opposés en 1916 et dans les années suivantes. Il s’agissait maintenant de travailler dans l’œuvre du Seigneur, sinon les autres verraient qu’ils n’étaient pas disposés à faire un travail que la congrégation du peuple de Dieu en général considérait comme un privilège et une responsabilité. C’est ainsi qu’on assista à la chute de certains de ces hommes à ce moment-là.
Une autre décennie touchait à sa fin. Les groupes de chrétiens s’accroissaient constamment et l’évangélisation publique était couronnée de succès, malgré une lutte continue avec le clergé, qui utilisait toutes les méthodes possibles pour réduire au silence les proclamateurs du message du Royaume. D’excellents résultats avaient déjà été obtenus. Par exemple, les autos-maisons avaient permis d’atteindre des endroits où il n’y avait pas de congrégation d’Étudiants de la Bible. Notons que le chiffre maximum de 125 colporteurs fut atteint en 1930, soit un excellent accroissement par rapport aux 63 colporteurs actifs en 1926.
ACCROISSEMENT DE L’ACTIVITÉ PARMI LA POPULATION FRANCOPHONE
C’est dans les années 1920 que notre œuvre commença à prendre de l’ampleur parmi la population francophone du Québec et de l’Ontario. En 1927, il y avait à Montréal une congrégation française de 18 personnes. Ces proclamateurs francophones, et d’autres comme eux, annonçaient activement la “bonne nouvelle” du Royaume dans la province de Québec.
À ce moment-là, une ecclésia française de 30 personnes s’était formée à Chiswick, dans le nord de l’Ontario, la première congrégation française dans cette province.
PROCLAMATION DE LA “BONNE NOUVELLE” EN BATEAU
Vers la fin des années 1920, J. MacLennan fut envoyé à Terre-Neuve pour mieux organiser notre œuvre, et on lui fournit un bateau pour lui permettre d’atteindre la population des ports de Terre-Neuve, inaccessibles autrement. Mais comment allait-on atteindre les nombreuses criques et îles de la côte ouest du Canada? Eh bien, en 1930, Arne et Christina Barstad et Arthur Melin proclamaient le message du Royaume depuis Vancouver jusqu’en Alaska à bord du bateau Charmian. Cette même année, ils furent rejoints par Frank Franske, qui avait prêché le long des côtes de Terre-Neuve et du Labrador. Leur territoire était extraordinaire et le paysage absolument enchanteur. Les montagnes descendaient à pic dans la mer écrasant de leur masse les hameaux et les bateaux dans les étroits chenaux entre leurs flancs presque verticaux. Au rythme des marées, le niveau de la mer montait et descendait de 8 mètres à Prince Rupert et de 11 mètres en Alaska.
Pour Arthur Melin, c’était une aventure nouvelle. Il avait prêché en Alberta et, avec son cousin Elmer Melin, avait été pionnier dans la région de Pigeon Lake et de Conjuring Lake, mais ici il y avait beaucoup plus d’eau. Franske, lui, avait passé un certain temps à Terre-Neuve, mais le Pacifique, c’était autre chose! Barstad, par contre, était un marin expérimenté; ils étaient donc en bonnes mains. Pleins d’enthousiasme, ils visitaient les villages de pécheurs, les cités ouvrières, les camps de bûcherons et les trappeurs et mineurs isolés. Ils mouillaient également dans les ports de douane de l’Alaska et visitaient les villages indiens reculés. Parmi les gens qu’ils contactèrent, beaucoup réagirent favorablement, et, plus tard, à la suite de ces premiers contacts, des congrégations furent formées.
Le Charmian était doté de puissants haut-parleurs qu’on pouvait entendre à une distance de plusieurs kilomètres, ce qui était très
utile pour atteindre la population demeurant le long de la côte. Après un discours public diffusé au moyen des haut-parleurs du bateau, il était très agréable de donner le témoignage et facile de placer des publications. En une après-midi ou une soirée, ils distribuaient parfois jusqu’à 100 livres.En 1931, le Charmian fut rénové sous la direction de George Young et Frank Franske. Les Barstad purent continuer leur travail le long de la côte avec diverses équipes au cours des années suivantes. Puis, en 1940, Franske et sa femme se retrouvèrent sur le Charmian avec les Barstad, jusqu’à ce que le gouvernement mît fin à cette activité avec le bateau. Plus tard, les autorités saisirent le Charmian.
Après la Seconde Guerre mondiale, Franske parcourut le même territoire, avec son propre bateau cette fois, et obtint d’excellents résultats. Des familles indiennes, comme les Schooner, de Namu, acceptèrent la vérité. En 12 mois, Franske et James Quinn obtinrent plus de 1 500 abonnements à nos périodiques dans cette partie du champ canadien. On utilisa ainsi des bateaux pendant un certain nombre d’années pour diffuser le message du Royaume.
LES COLPORTEURS FONT PROGRESSER L’ŒUVRE
Vers le début des années 1930, les colporteurs étaient bien organisés. Certains travaillaient seuls, d’autres étaient constitués en sept “camps” ou groupes de colporteurs, répartis en Colombie-Britannique, au Manitoba, en Alberta-Saskatchewan, au Québec, dans l’est et le sud-ouest de l’Ontario, ainsi que dans les Provinces maritimes. Ces groupes concassaient eux-mêmes leur blé, préparaient leurs propres repas et échangeaient des publications contre des victuailles. Pendant les mois où le temps le permettait, ils prêchaient dans les campagnes, se déplaçant en véritables caravanes d’autos-maisons. En hiver, ils s’installaient dans une grande maison en ville, où ils pouvaient aider la congrégation locale à visiter son territoire. Parfois ces groupes se déplaçaient d’une ville à une autre au cours du même hiver.
C’est vers cette époque que les colporteurs commencèrent à être appelés pionniers. Ce nom était très approprié, car, dans certaines régions, ils firent vraiment œuvre de pionnier. Arthur Melin et David Hadland, par exemple, firent un excellent travail dans la région de Burns Lake, en Colombie-Britannique. Dans tout ce territoire, où ils travaillèrent pendant l’été 1932, il n’y avait pas un seul proclamateur du Royaume. Avec une vieille Ford, puis plus tard avec une autre voiture, ils parcoururent un immense territoire. Jéhovah fit croître la semence qu’ils avaient semée, car aujourd’hui il y a 10 congrégations dans cette région.
Naturellement, l’œuvre ne manqua pas de rencontrer des difficultés et de l’opposition. En 1932, à Hull, au Québec, trois pionniers furent arrêtés et faussement accusés de distribuer des publications séditieuses. Ils défendirent eux-mêmes leur cause devant le juge Achim, en suivant les instructions données par Brooklyn, et ils remportèrent la victoire. Ce fut une vraie bénédiction, car une condamnation dans leur cas se serait traduite par une sentence de 5 à 20 ans de prison!
C’est également en 1932 que Frank Lyster, un pionnier, fut arrêté à Sherbrooke, au Québec. Cette même année, une foule en colère attaqua les frères à Lachine, au Québec. Janet MacDonald, un des pionniers spéciaux qui y prêchaient alors, se rappelle que dans certaines localités il se formait parfois une foule de 200 à 300 personnes; elle ajoute:
“Lorsque nous nous frayions un chemin à travers la foule, certains devenaient plus agressifs que d’autres et nous donnaient des coups de pied ou de poing. Mais ce qui s’est passé à Lachine était le bouquet. Frère Demorest fut jeté au bas d’un escalier par un homme courroucé, le fils d’un conseiller municipal. Je prêchais en face, dans la même rue, quand un homme bien disposé m’informa de l’incident et me conseilla de quitter le quartier. Demorest et moi avons décidé de partir tous deux en même temps, mais nous avions du mal à passer au milieu de la foule. Lorsque nous avons atteint l’endroit où nous avions garé la voiture, elle n’y était plus. Howard (mon mari) et les deux autres frères étaient partis demander la protection de la police, protection qu’on leur refusa catégoriquement. Ils revinrent quelques minutes plus tard. Mais lorsque frère Demorest et moi avons essayé d’entrer dans la voiture, une pluie d’œufs s’est abattue sur nous. Un épicier avait poussé toute une caisse d’œufs dans la rue et incité la foule à s’en servir comme projectiles. Comme c’était en janvier, lorsqu’un œuf se cassait, il gelait aussitôt, ce qui n’a guère embelli la voiture.”
Les Témoins s’en tirèrent indemnes, à part ce qui était arrivé à frère Demorest. Plus tard, on porta plainte, et un des meneurs fut condamné à une amende et à payer les dégâts causés à l’automobile.
Dans certains cas, dans les Maritimes, la police cherchait à entraver le travail d’un groupe venu en auto-maison. À Newcastle, Dalhousie, Bathurst, Campbellton, Grand Falls et Edmundston, au Nouveau-Brunswick, les autorités s’efforçaient de prouver que les pionniers faisaient une œuvre commerciale et qu’il leur fallait un permis. Mais cela n’alla jamais plus loin qu’une convocation au poste de police, car Daniel Ferguson et Roderick Campbell s’étaient procuré, chez un fonctionnaire de la capitale, une lettre déclarant que notre œuvre n’est pas de nature commerciale. Habituellement, lorsqu’on montrait cette lettre à la police, celle-ci s’abstenait de toute autre mesure contre nous.
ARRÊTONS-NOUS AU QUÉBEC
Comme nous l’avons déjà mentionné, dans les années 1930, le Québec devait devenir un champ de bataille dans la lutte pour la liberté de culte. Et qui était responsable de ces persécutions de vrais chrétiens? S’il subsiste un doute quelconque dans votre esprit, examinez de plus près nos activités dans cette province pendant cette décennie riche en événements, et l’identité des principaux opposants au peuple de Jéhovah vous apparaîtra clairement.
Notre œuvre rencontra beaucoup d’opposition au Québec pendant l’hiver 1931. Parfois, Alfred Ouellette était arrêté par la police une ou deux fois par jour et on l’emmenait au poste pour l’interroger. La même chose arriva également à Ovila Gauthier. Souvent, les policiers disaient: “Nous avons reçu un appel du curé [disant] que vous n’aviez pas l’autorisation de faire ce travail.”
En 1932, les autorités du Québec commencèrent à nous accuser faussement de sédition, et cela dans de simples cas de différences d’opinions religieuses (voir Actes 24:1-8). La première de ces affaires fut entendue à Hull, au Québec, où Emery St-Amour et Wilfrid Spicer furent faussement accusés de distribuer des publications séditieuses. Le magistrat rendit un arrêt de non-lieu.
Pendant l’automne 1933, une caravane de 40 voitures avec 158 Témoins quitta Montréal après une assemblée et parcourut 260 kilomètres jusqu’à Québec. Le lendemain matin, à 6 h 30, chacun d’eux était à son poste, prêt à commencer la distribution rapide de trois brochures en français. En une heure et demie, 45 000 brochures furent distribuées dans toute la ville, ce qui jeta la consternation parmi les prêtres. Trente Témoins furent arrêtés et accusés faussement de ‘conspiration séditieuse’. Imaginez un peu!
Seuls six de ces Témoins finirent par passer en jugement. Le premier de ces procès fut celui de deux pionniers, George Barrett et George Brodie. Pendant leur procès de six jours devant un juge et un jury à Québec, les plaignants produisirent comme témoins deux prêtres catholiques et deux pasteurs protestants, qui déclarèrent qu’à leur avis les publications des Témoins de Jéhovah sont séditieuses. Une condamnation s’ensuivit. Les inculpés furent condamnés à 300 dollars d’amende chacun ou à cinq mois supplémentaires de prison. On interjeta appel, mais sans succès, auprès de la cour d’appel du Québec, qui jugea que toute critique de l’Église catholique par les Témoins de Jéhovah constituait un acte de sédition. Le jugement fit l’objet d’un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême du Canada, qui cassa le jugement pour un simple vice de forme, à savoir que l’acte d’accusation n’avait pas été libellé comme il faut. Par conséquent, le jugement du tribunal du Québec suivant lequel toute critique de l’Église constituait un acte de sédition ne fut pas cassé et continua à faire jurisprudence au Québec.
Aussi les Témoins de Jéhovah pouvaient-ils être condamnés pour sédition chaque fois qu’ils distribuaient une publication qui était en désaccord avec le catholicisme. C’est ce que reconnurent les autorités. Aussi, les accusations de sédition pullulèrent, aboutissant dans la majorité des cas, entre 1935 et 1940, à des condamnations.
LA SUPPRESSION DES ANCIENS ÉLUS EST UNE BÉNÉDICTION
Depuis quelque temps, la présence d’anciens élus était une source de difficultés dans les congrégations. D’après la compréhension qu’on avait à l’époque, ils étaient démocratiquement élus à leur fonction. Bien entendu, beaucoup d’entre eux étaient des hommes dévoués, attachés aux choses spirituelles, et s’avéraient une véritable bénédiction pour leurs compagnons dans la foi. D’autres, par contre, étaient de beaux parleurs ou étaient persuasifs d’une autre manière. Certains avaient peut-être une bonne instruction, occupaient un poste en vue dans la localité et jouissaient de l’estime générale, mais ils n’étaient pas toujours les mieux qualifiés pour assumer les responsabilités dans la congrégation. Fréquemment, ces élections libres donnaient lieu à des situations tendues et à des frictions entre les frères.
Lorsque la Société Watch Tower nomma les directeurs de service et qu’elle commença à encourager dans une plus large mesure l’œuvre d’évangélisation publique, certains “anciens électifs”, qui ne voulaient pas prêcher de porte en porte, se mirent à faire des difficultés. Ils ne voulaient pas participer eux-mêmes à l’œuvre d’évangélisation et ils décourageaient les autres de le faire.
S’il y eut quelques anciens et quelques pèlerins qui devinrent infidèles, il faut mentionner aussi ceux qui restèrent fidèles. À titre d’exemple, citons George Young, qui a laissé l’excellent souvenir d’un Témoin très actif, aux belles œuvres, aimable et plein de considération envers autrui. Il était connu dans tout l’Ouest sous le nom de “l’évangéliste” Young, et les théâtres étaient bondés lorsqu’il donnait ses excellents discours. Nommé pèlerin, il servit dans tout le Canada et visita même les congrégations du peuple de Dieu aux Antilles. Plus tard, frère Young fut envoyé en Amérique du Sud pour y faire progresser l’œuvre du Royaume, surtout au Brésil. Il fut même envoyé en Russie pour essayer d’y organiser l’œuvre, mais, à cause de l’opposition du gouvernement, il fut obligé de quitter ce pays. Après avoir servi à d’autres fonctions pendant des années, George Young mourut fidèle à Jéhovah en 1939.
Un coup d’œil rétrospectif sur l’époque des “anciens électifs” nous oblige donc à reconnaître que la majorité de ceux à qui incombaient des responsabilités dans les congrégations s’acquittaient
très fidèlement de leurs fonctions. Il y avait toutefois des problèmes, et certaines solutions s’imposaient.Quel soulagement et quelle bénédiction pour les fidèles lorsque le système des “anciens électifs” prit fin en 1932! La Tour de Garde montra que l’on est ancien au sens biblique lorsqu’on est spirituellement qualifié et théocratiquement nommé. Les réunions du peuple de Dieu devaient désormais se caractériser par le bon ordre, la paix et l’unité. L’action de l’esprit de Dieu était évidente. L’expansion et les progrès étaient en bonne voie.
INTERDICTION DES DISCOURS RADIODIFFUSÉS DE RUTHERFORD
En 1933, à l’instigation du clergé anglican, la commission canadienne de radiodiffusion chercha de nouveau à interdire la proclamation du message du Royaume sur les ondes. Cette fois, l’interdiction frappa tous les discours enregistrés du juge J. Rutherford. Vous remarquerez que des opinions personnelles s’étaient infiltrées dans l’avis officiel de la commission de radiodiffusion envoyé aux stations dans tout le Canada, libellé comme suit:
“Les discours d’un certain juge Rutherford, agitateur antisocial étranger, ne devront être radiodiffusés par les stations canadiennes qu’après que le texte et les enregistrements desdits discours auront été soumis à l’approbation de la commission canadienne de radiodiffusion. Signature: Hector Charlesworth, président.” (C’est nous qui soulignons.)
Mais qui pouvait bien inciter ce Monsieur Charlesworth à adopter cette attitude? Citons The Telegraph Journal de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick: “Hector Charlesworth, président de la commission de radiodiffusion, a déclaré que celle-ci avait reçu une plainte très digne d’un groupe d’ecclésiastiques anglicans de St-Jean.” (C’est nous qui soulignons.) Le rapport nommait ensuite quelques-uns de ces ecclésiastiques.
Une puissante campagne de protestation contre l’interdiction des discours radiodiffusés fut entreprise dans tout le pays. Elle commença par la distribution de 1 350 000 exemplaires d’un dépliant intitulé “Avis important à la population”, en vue de familiariser le public avec les faits. Puis on fit circuler d’un océan à l’autre une pétition qui compta 406 270 signataires et fit l’objet d’une publicité considérable dans la presse. Le Parlement fut inondé de lettres de protestation et de résolutions provenant d’organisations syndicales et autres. La pétition fut présentée au Gouverneur général, ce qui déclencha un débat au Parlement. Le Premier ministre promit d’étudier la question, mais ne fit rien.
La réponse qu’il fit à une station qui voulait aborder la question de façon équitable et en même temps préserver sa situation financière en un temps de difficultés économiques, montre avec quelle détermination ce Charlesworth était décidé à maintenir l’interdiction. Voici le rapport publié dans L’Âge d’Or (ancien titre de Réveillez-vous!):
“Une station canadienne envoya à M. Charlesworth un télégramme disant, en substance, que ‘même si nous ne sommes pas entièrement d’accord avec les discours du juge Rutherford, nous n’y avons trouvé aucune trace d’opinions antisociales ou communistes. Ses émissions sont dirigées principalement contre d’autres formes de religion et exaltent ses propres croyances, que nous qualifierions de fondamentalistes. Nous sommes d’avis que nous devrions, dans l’intérêt de la liberté de parole, accepter des émissions de toute nature, tant qu’elles ne s’attaquent pas au gouvernement démocratique. Pour le moment, la perte de ces revenus est pour nous une source de difficultés’. À l’appui de ce télégramme, la station téléphona à M. Charlesworth pour lui demander l’autorisation de continuer les émissions pendant au moins deux semaines. Mais la réponse fut un refus catégorique.”
LA VÉRITÉ EST DÉCLARÉE QUAND MÊME
Bien qu’ils fussent interdits sur les ondes, on continua quand même à entendre dans tout le Canada les discours bibliques enregistrés. Vers 1931, on avait commencé à utiliser de puissants électrophones dans l’œuvre de témoignage. Ces appareils étaient conçus pour faire entendre des disques dont on amplifiait le son au moyen de haut-parleurs. Les électrophones utilisés au Canada furent conçus et fabriqués au bureau de la filiale canadienne de la Société. Ils permettaient de faire entendre les mêmes disques des discours de frère Rutherford que ceux qu’on utilisait pour la radiodiffusion. Donc, lorsque, en 1933, à la suite des pressions exercées par des groupements religieux, on interdit à la Société de faire des émissions à la radio, elle commença à utiliser davantage les électrophones. De plus en plus, on faisait entendre des discours enregistrés dans de grandes salles de réunion.
Il y avait également un modèle de ces électrophones qui pouvait être utilisé dans une automobile et qui en faisait une voiture à haut-parleurs. Lorsque le volume était réglé au maximum, on entendait ces puissants appareils sur une distance de plusieurs kilomètres. Pour faire porter le son plus loin, on eut l’idée, au Canada, de monter les haut-parleurs sur un mât télescopique dont la hauteur pouvait atteindre 12 mètres.
Le clergé manifesta beaucoup d’opposition à notre méthode de prédication au moyen de disques, mais en général l’initiative des Témoins de Jéhovah plaisait au public. De nombreuses personnes apprirent à connaître la vérité par ce moyen, et des congrégations furent formées à la suite de discours qui incitaient à la réflexion.
Voici un rapport provenant de Colombie-Britannique: “À Langley, un homme était en train de réparer le toit de sa grange lorsqu’il entendit une voix parlant sur le sujet ‘Où sont les morts?’ Il ne voyait personne, mais entendait chaque mot du discours. De crainte qu’on ne le prenne pour fou, il ne souffla mot à personne de ce qu’il avait entendu, mais garda la chose pour lui. Le dimanche suivant, dans la matinée, quelqu’un frappa à sa porte avec la brochure intitulée Où sont les morts?, et le mystère fut éclairci. En peu de temps, une congrégation fut formée à Langley avec tous les nouveaux disciples.”
Dans les années 1930, on commença également à utiliser le phonographe portatif dans l’œuvre de témoignage. Tout d’abord, on l’utilisa pour entamer des discussions bibliques avec les personnes intéressées à la Bible. Plus tard, ces phonographes servirent dans l’œuvre de témoignage de porte en porte, et le message du Royaume fut présenté par ce moyen. À partir de 1934, dans les territoires anglophones, on utilisa des enregistrements des discours publics de frère Rutherford (d’environ quatre minutes et demie chacun), traitant de nombreux sujets. Rien qu’en 1938, la filiale envoya plus de 900 phonographes aux Témoins canadiens, ce qui porta le total des appareils utilisés à près de 2 500.
Oui, ce fut une époque d’enthousiasme dans le service du Royaume. En 1935, il y avait déjà, dans tout le Canada, plus de 2 200 proclamateurs de la “bonne nouvelle” dans 150 congrégations. Et vers la fin de 1935, on prit des dispositions pour permettre aux 16 membres de la famille du Béthel de Toronto de loger au siège de la filiale.
DIFFICULTÉS INTERNES
Notre œuvre était en pleine expansion. Pourtant, il semble que 1936 fut une année de crise pour l’organisation, avec des difficultés internes et externes. L’opposition dans le champ était à peu près générale. Près de Chéticamp, en Nouvelle-Écosse, des gens jetaient de l’eau chaude et même du babeurre sur les proclamateurs du Royaume. À Ste-Anne-des-Chênes, au Manitoba, la foule, prenant les automobiles de quelques touristes pour celles d’un groupe de Témoins, les bombarda de pierres, d’œufs et de tomates. L’air penaud, les habitants de la localité s’aperçurent de leur erreur. Au Québec, une virulente opposition continuait vis-à-vis de notre œuvre.
Apoc. 7:9, Version synodale). Imaginez un peu ce qu’il disait: “Il n’y a plus besoin de prêcher de porte en porte d’ici à Harmaguédon.” Ce point de vue, s’il était adopté, entraverait considérablement l’œuvre visant à rassembler cette “grande foule”.
Sur le plan interne, nous avions également des difficultés, dues principalement à W. Salter qui était alors directeur de la filiale. Il semble que dès 1935 il n’était plus entièrement d’accord avec les explications bibliques sur la “grande multitude”, présentées dans les publications de la Watch Tower (On apprit que Salter se croyait devenu un nouveau canal de communication pour les Témoins de Jéhovah, dont La Tour de Garde imprimerait un jour les vues, par exemple l’enseignement du ‘salut universel’. Dans une lettre au directeur d’une filiale en Europe, il disait que lui (Salter) s’attendait à être le prochain président de la Société Watch Tower. Laura French, de la famille du Béthel de Toronto, mentionne que, lors de l’étude de La Tour de Garde de la famille du Béthel le lundi soir, Salter faisait des remarques qui jetaient le trouble dans les esprits. On vota pour savoir qui devait conduire l’étude, et la majorité vota contre lui et en faveur de Frank Wainwright.
Les choses avaient atteint leur point culminant. Frère Rutherford vint à Toronto, organisa une réunion de cinq heures avec les membres de la famille du Béthel et demanda à quelques-uns d’entre eux de lire les lettres qu’ils avaient écrites pour se plaindre de Salter. Puis, Rutherford fournit des preuves en provenance non seulement du Canada, mais aussi d’Angleterre et d’Allemagne, suivant lesquelles Salter avait cherché à inciter des frères à quitter l’organisation et à se joindre à lui. Salter fut remplacé comme directeur de la filiale et on lui donna deux semaines pour partir. (Sept autres furent également priés de partir, car la plupart d’entre eux avaient pris le parti de Salter.) Rutherford fit preuve de beaucoup de patience envers Salter lors de la réunion et pendant que les preuves s’accumulaient contre lui.
Percy Chapman, qui avait servi avec zèle pendant de nombreuses années au Béthel de Londres, devint le nouveau directeur de la filiale, et la paix fut rétablie dans la famille du Béthel. Mais Salter envoya quantité de lettres et de publications à de nombreux Témoins et à ses disciples. Comme de toute évidence il ne manifestait aucun repentir, la congrégation de Toronto l’exclut en 1937.
LA RÉORGANISATION ENGENDRE UNE FORCE SPIRITUELLE ACCRUE
Les trois années suivantes virent une réorganisation intensive de l’œuvre de prédication du Royaume. Le pays fut partagé en 14 divisions,
chacune sous la responsabilité d’un serviteur de division. On insistait sur la nécessité de faire de nouvelles visites. Les remaniements effectués dans les congrégations en 1938 se traduisirent par un accroissement de la paix, de l’unité et de l’efficacité de l’œuvre.Au cours de cette période, certains remaniements furent effectués parmi le personnel du Béthel de Toronto. Leo Greenlees, par exemple, vint au Béthel de Toronto le 13 juin 1936. Il avait été pionnier pendant cinq ans en Ontario, à Montréal et dans les Maritimes. Au Béthel, frère Greenlees eut de nombreux privilèges. Il finit par devenir trésorier de la filiale canadienne et de l’Association internationale des Étudiants de la Bible du Canada. En 1964, il fut invité au Béthel de Brooklyn, où il sert maintenant comme membre du Collège central des Témoins de Jéhovah.
Le 24 août 1937, Jack Nathan, arrivant d’Angleterre, débarqua à Montréal pour se rendre au Béthel de Toronto. Au printemps 1938, il inaugura ce qu’on appelait alors le service de zone, qui ressemblait à l’activité d’un surveillant de circonscription d’aujourd’hui. Frère Nathan desservait toute la péninsule du Niagara, jusqu’à Kitchener et Guelph au nord. À l’époque, dit-il, il y avait une vingtaine de congrégations dans ce territoire, avec 700 proclamateurs environ. Depuis lors, cette région a connu une expansion considérable.
Voici plus de quarante ans que frère Nathan commença à servir au Béthel de Toronto, où il est toujours actif à la louange de Jéhovah. Lorsqu’il évoque les souvenirs de ses premières années au service de ses compagnons dans la foi au Canada, on s’aperçoit que ce fut pour lui une excellente formation qui le prépara pour le rôle important qu’il devait jouer un peu plus tard. En effet, dans les conditions difficiles qui allaient venir, il fut chargé de maintenir le contact avec ses frères et sœurs dans tout le pays, afin de les encourager et de les aider à s’organiser en vue de la prédication du Royaume.
L’ŒUVRE À TERRE-NEUVE
La filiale de la Société Watch Tower au Canada s’occupait de l’œuvre de proclamation du Royaume à Terre-Neuve jusqu’à l’été 1936, lorsqu’un changement fut apporté à cet égard. Comme la Société faisait toutes ses expéditions depuis New York et qu’elle avait un petit entrepôt à Terre-Neuve, on jugea préférable de confier à la filiale des États-Unis la direction de l’œuvre dans cette île.
En 1938, Terre-Neuve fut de nouveau placée sous la surveillance de la filiale de la Société au Canada. Cet état de choses dura jusqu’en 1945, date à laquelle une filiale distincte fut établie sur l’île. En 1949, Terre-Neuve fut incorporée à la confédération canadienne, mais la Société y maintient toujours une filiale.
LA FIN DES ANNÉES TRENTE APPROCHE
Nous approchions de la fin d’une décennie durant laquelle nous avions enregistré une belle expansion et des progrès extraordinaires au sein des congrégations. De 1931 à 1939, le nombre des proclamateurs du Royaume s’était élevé de 798 à 4 269, et celui des pionniers de 126 à 294.
Mais des nuages précurseurs de la guerre apparaissaient à l’horizon. En 1939 se déclencha une nouvelle conflagration internationale qui exacerba les sentiments patriotiques de certains éléments, lesquels ne tardèrent pas à imposer des exigences excessives à d’autres. Étant donné notre détermination à rester neutres, nous eûmes à faire face à des difficultés à propos des cérémonies nationalistes dans les écoles et sur les lieux de travail. Enfin, vers le milieu de l’année 1940, une mesure entraînant des difficultés énormes nous fut imposée.
INTERDITS UNE FOIS DE PLUS
La déclaration de la Seconde Guerre mondiale en 1939 redonna aux ennemis du peuple de Jéhovah l’occasion d’essayer de mettre fin à ses activités. Ayant échoué sur le plan juridique, surtout au Québec, nos ennemis parmi le clergé se mirent à travailler dans les coulisses pour inciter les hommes politiques à faire leurs quatre volontés.
L’été 1940 fut une époque sombre pour les nations occidentales qui soutenaient la cause des Alliés dans la guerre. Les armées d’Hitler avaient envahi la plus grande partie de l’Europe. La France avait capitulé au bout de quelques semaines. C’est dans cette atmosphère de tension que le ministre canadien de la Justice, Ernest Lapointe, un catholique de Québec, annonça à la Chambre des communes le 4 juillet 1940: “Je désire communiquer à la Chambre un arrêté ministériel déclarant illégale l’organisation des Témoins de Jéhovah.”
C’est ainsi que subitement, sans avertissement et sans avoir la possibilité de défendre leur position, les Témoins de Jéhovah et l’Association internationale des Étudiants de la Bible du Canada furent interdits le 4 juillet 1940. L’immeuble du 40 Irwin Avenue, à Toronto, et les fonds déposés à la banque au nom de l’AIEB furent confisqués par les autorités. Le 5 juillet 1940, la filiale fut mise sous scellés par la Gendarmerie royale du Canada (la Police montée).
Pour empêcher l’importation et la distribution de nos publications, le gouvernement déclara également hors la loi la Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania et la Watchtower Bible and
Tract Society of New York, Inc., mais ces mesures ne furent prises qu’un mois environ après l’interdiction de l’AIEB, ce qui heureusement nous donna le temps d’envoyer une partie de notre matériel d’imprimerie et de nos publications aux États-Unis. Malgré tout, il semblait que cette fois-ci c’était la fin des Témoins de Jéhovah au Canada.NOUS AVONS SURVÉCU À L’INTERDICTION PROVOQUÉE PAR LE CLERGÉ
L’interdiction imposée le 4 juillet 1940 déclencha immédiatement une vague de persécutions contre les Témoins de Jéhovah au Canada. Dès le lendemain, la Police montée commença à faire des perquisitions dans les foyers des Témoins et dans leurs Salles du Royaume, et à confisquer les stocks de Bibles et d’autres publications religieuses. Les bureaux de la filiale de la Société furent occupés par la police.
Après le décret d’interdiction, la persécution prit, dans certaines régions, la forme d’une véritable chasse aux sorcières. Par exemple, à Québec et à Montréal des réunions pour la célébration du Mémorial furent interrompues. Des enfants furent expulsés des écoles et même enlevés à leurs parents chrétiens. De nombreux Témoins furent poursuivis devant les tribunaux et mis en prison. Il y eut au total plus de 500 procès. Ces chrétiens étaient-ils accusés d’avoir fait le mal? Non. On les punissait tout simplement parce qu’ils étaient Témoins de Jéhovah!
L’interdiction souleva de nombreuses et violentes critiques parmi le public. Pour beaucoup de citoyens canadiens, y compris des représentants du gouvernement, la campagne menée contre ces humbles chrétiens était totalement injuste. Angus MacInnis, député de Vancouver, déclara à la Chambre des communes: “J’aimerais dire, en toute gravité, que les poursuites judiciaires et les persécutions dont sont continuellement l’objet les Témoins de Jéhovah en vertu des règlements sur la défense du Canada font honte à notre pays, au ministère de la Justice et au peuple canadien.”
En 1942, les Témoins de Jéhovah eurent enfin la possibilité de contester le bien-fondé de l’interdiction. Un comité spécial de la Chambre des communes réexamina l’interdiction et permit à Charles Morrell et Robert McNaul de répondre, au nom des Témoins de Jéhovah, aux accusations superficielles portées par le gouvernement.
Le 23 juillet 1942, le comité en question recommanda unanimement
la levée de l’interdiction. Voici quelques commentaires des membres du comité, tirés des débats officiels du Parlement:“Le ministère de la Justice n’a présenté au comité aucune preuve indiquant la nécessité, à un moment quelconque, de déclarer les Témoins de Jéhovah une organisation illégale.”
“C’est une honte pour le Dominion du Canada que des gens soient poursuivis pour leurs convictions religieuses comme ces pauvres gens le sont.” (C’est nous qui soulignons.)
Malgré cette recommandation, Louis St-Laurent, alors ministre de la Justice, refusait toujours de lever l’interdiction. (St-Laurent avait remplacé Lapointe, qui était mort en novembre 1941.) Un an plus tard, l’interdiction était toujours en vigueur. Le 21 juillet 1943, le gouvernement fut de nouveau interpellé à la Chambre des communes pour son refus d’autoriser les Témoins.
Victor Quelch, député de l’Acadie, fit cette remarque: “On se demande si les mesures prises contre les Témoins de Jéhovah ne sont pas dues principalement à leur attitude envers les catholiques, plutôt qu’au caractère subversif de leur conduite. (...) C’est là la question qu’on pose dans tout le pays. On me la pose d’un bout à l’autre du Canada.”
L’honorable G. Crerar, ministre de la Défense, nia avec véhémence cette insinuation, en disant: “Il a demandé si la politique du gouvernement en ce qui concerne les Témoins de Jéhovah était inspirée par leurs attaques contre l’Église catholique. (...) Cette assertion est dépourvue de tout fondement.” (C’est nous qui soulignons.)
Mais les archives officielles, qui depuis lors ont été ouvertes au public, prouvent que la réponse de M. Crerar était fausse. En réalité, c’est une lettre envoyée du palais du cardinal Villeneuve au ministre de la Justice Lapointe qui fut à l’origine de l’interdiction. Voici le texte de la lettre:
Archevêché de Québec
La Chancellerie
Québec, le 27 juin 1940
Cher Monsieur,
Son Éminence le Cardinal serait heureux que vous attiriez l’attention du Très Honorable Monsieur Ernest Lapointe, Ministre de la Justice, sur le premier-Québec que voici, concernant les publications de la Tour de Garde ou Témoins de Jéhovah.
Certains livres et certains fascicules adressés récemment encore par la poste, et en particulier le périodique Consolation, sont tout ce qu’il y a de plus démoralisant et de plus destructeur des forces spirituelles de la nation.
Je vous remercie par avance, cher Monsieur, de l’attention que vous voudrez bien donner à cette communication, et vous prie de me croire,
Votre très dévoué,
Paul Bernier, Chancelier
À: Monsieur le Secrétaire particulier
du Très Hon. M. Ernest Lapointe
Ministre de la Justice
OTTAWA, Ontario
La lettre ci-dessus n’était ni plus ni moins qu’une demande, de la part du cardinal, de déclarer les Témoins de Jéhovah hors la loi. Lapointe, sachant que son pouvoir dépendait du cardinal, ne tarda pas à obliger celui-ci. L’étape suivante de ce scénario riche en démarches secrètes et en intrigues est constituée par la lettre suivante envoyée une semaine plus tard par le secrétaire particulier de Lapointe au chancelier du cardinal Villeneuve:
PERSONNELLE
le 4 juillet 1940
Monseigneur Paul Bernier
Chancelier de l’Archidiocèse
Palais Cardinalice
QUÉBEC
Monsieur le Chancelier,
Je me suis fait un devoir, sur réception de votre lettre du 27 juin de me rendre au désir de Son Éminence le Cardinal et d’attirer l’attention du Ministre sur vos représentations ainsi que sur l’article éditorial publié par L’Action Catholique, au sujet de la Tour de Garde, Témoins de Jéhovah et Consolation.
Monsieur Lapointe m’a autorisé à vous communiquer, par téléphone, le renseignement confidentiel que l’organisation dite des Témoins de Jéhovah serait déclarée illégale, aujourd’hui même, avec prière d’en faire part à Son Éminence le Cardinal.
La présente est pour confirmer ce que je viens de vous dire au téléphone.
Je comprends que Son Éminence le Cardinal sera dûment informé de l’arrêté ministériel relatif aux Témoins de Jéhovah.
Agréez, Monsieur le Chancelier, avec mes remerciements, mes civilités empressées.
La lettre était signée par le secrétaire particulier de Lapointe. Entre le moment de la demande du cardinal et celui de l’interdiction, il ne s’était écoulé que sept jours. Au palais cardinalice, la joie était
grande. Le 8 juillet 1940, le chancelier du cardinal écrivit au secrétaire particulier de Lapointe la lettre suivante:Votre empressement à bien vouloir attirer l’attention du Très Honorable Monsieur Lapointe sur l’objet de ma lettre du 27 juin dernier m’oblige infiniment.
Je n’ai pas besoin d’ajouter, — puisque déjà son Éminence aura Elle-même écrit à Monsieur Lapointe pour lui dire sa satisfaction de l’arrêté ministériel en question, — combien une aussi prompte et aussi heureuse solution mérite nos félicitations et nos remerciements.
Veuillez recevoir, Monsieur le Secrétaire, l’expression réitérée de ma gratitude et de ma haute considération.
Paul Bernier, prêtre.
Alors que l’honorable G. Crerar avait, au Parlement, publiquement et avec véhémence nié toute ingérence de la part de l’Église catholique, les archives du gouvernement prouvent qu’en réalité l’interdiction des Témoins de Jéhovah avait été tramée au palais cardinalice de Québec.
Cependant, malgré le pouvoir du cardinal et celui du ministre de la Justice originaire du Québec, certains députés, de même que d’autres Canadiens épris de justice, firent pression sur le gouvernement, pression qui aboutit à la levée de l’interdiction le 14 octobre 1943, alors qu’on était encore en pleine guerre. Une telle volte-face du gouvernement pendant cette période cruciale de l’histoire était en réalité l’aveu que l’interdiction était parfaitement injustifiée.
Il fallut des mois de luttes ardues, d’innombrables pétitions, lettres et mémoires, sans compter un procès, pour inciter le récalcitrant ministre de la Justice, St-Laurent, à lever l’interdiction frappant l’Association internationale des Étudiants de la Bible (le 13 juin 1944) et la Société Watch Tower (le 22 mai 1945). Enfin, nous étions prêts pour l’expansion d’après-guerre.
LES PROBLÈMES DU TEMPS DE GUERRE APRÈS LA LEVÉE DE L’INTERDICTION
La levée de l’interdiction faisait de nouveau des Témoins de Jéhovah une organisation libre et en droit d’exercer ses activités religieuses. Mais le pays était toujours en guerre et de nombreux problèmes juridiques continuaient à se poser au peuple de Jéhovah. Citons entre autres l’exemption de la conscription pour les ministres des Témoins de Jéhovah; la détention des Témoins dans des camps du gouvernement en tant qu’objecteurs de conscience; enfin, le droit
pour les écoliers chrétiens de refuser de saluer le drapeau. Presque au même moment où l’interdiction fut levée, le jeune pionnier Glen How, de Toronto, fut autorisé à pratiquer le droit dans la province de l’Ontario, et il participa activement aux nombreuses luttes juridiques qui s’ensuivirent.Le service militaire obligatoire avait été instauré au Canada en 1940. La loi prévoyait l’exemption pour “un ministre d’une dénomination religieuse”. Mais tant que l’interdiction était en vigueur, aucun des serviteurs de Jéhovah n’avait pu se prévaloir de cette exemption, car l’organisation religieuse des Témoins de Jéhovah était considérée alors comme étant hors la loi. La levée de l’interdiction changea cet état de choses. À Toronto, un bureau fut ouvert sous l’appellation Les Témoins de Jéhovah du Canada. Il y avait désormais une organisation dûment déclarée qui se ferait le porte-parole du peuple de Jéhovah.
LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE
En novembre 1943, un mémoire fut présenté au ministre du Travail demandant l’exemption des ministres à plein temps des Témoins qui servaient à des fonctions spéciales. Le gouvernement refusa cette exemption. Bien qu’il y eût 15 000 assistants au Mémorial cette année-là au Canada, les autorités ne reconnaissaient pas un seul ministre Témoin de Jéhovah.
La question fut débattue devant les tribunaux. La première cause importante fut la défense d’Earl Kitchener Stewart, dont le procès eut lieu en 1943. On fit appel du jugement du tribunal de Vancouver auprès de la cour d’appel de Colombie-Britannique. Celle-ci ne tint aucun compte de l’excellent travail que frère Stewart avait accompli depuis 1938 en tant que proclamateur à plein temps du Royaume. Il fut débouté de son appel et condamné.
Nullement intimidé, le peuple de Jéhovah s’apprêtait à essayer encore. Le gouvernement cherchait à appeler sous les drapeaux Leo Greenlees, du bureau de la filiale de Toronto (actuellement membre du Collège central), qui était ministre à plein temps depuis 1931. Au lieu d’attendre que les autorités le traduisent en justice, une action en jugement déclaratoire fut intentée sous le titre Greenlees contre le Procureur général du Canada. Le procès exigeait une déclaration disant que Leo Greenlees était un ministre et que, par conséquent, il n’était pas sujet à la conscription. C’était une action courageuse qui jeta l’étonnement parmi l’opposition. La guerre durait toujours, et tout ce qui touchait aux choses militaires était en quelque sorte sacré. Et pourtant, voici une organisation dont l’interdiction venait tout juste d’être levée et qui, au lieu de se tenir bien tranquille, demandait sans crainte qu’on lui fasse justice et qu’on
la traite avec équité. Tout le monde savait que les Témoins de Jéhovah avaient fait leur réapparition.Le juge Hogg, de la Cour suprême de l’Ontario, entendit entièrement la défense dans l’affaire Greenlees. L. Greenlees, Percy Chapman et Hayden Covington firent leur déposition. Malgré ce puissant témoignage, le juge rendit une ordonnance de non-lieu pour motif de raisonnement faible et spécieux. On interjeta appel auprès de la cour d’appel de l’Ontario, qui prononça également un jugement évasif, refusant essentiellement de s’attaquer vraiment à la question. Ensuite, on fit une demande en permission d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada, mais celle-ci refusa d’entendre l’appel pour une question de procédure, prétextant que l’affaire n’avait pas trait à un litige pécuniaire.
Il ne restait plus qu’un seul recours, c’était de faire appel au Conseil privé à Londres. Une requête en appel fut déposée à Londres et devait être entendue en octobre 1946, mais juste avant cette date, le gouvernement avait révoqué la loi sur la conscription. Il n’y avait donc plus de loi à débattre et l’affaire se termina sans qu’il y ait de jugement décisif. Frère Greenlees, du moins, avait été protégé.
LIBÉRÉS DES CAMPS
Un certain nombre de Témoins de Jéhovah avaient été classés comme objecteurs de conscience et forcés de travailler dans des camps de la forêt canadienne. Cette situation dura pendant quatre ans, jusqu’au 15 juillet 1946. À un certain moment, il y avait 283 Témoins dans ces camps. Il était facile de se faire libérer en versant à titre symbolique un certain montant à la Croix-Rouge, mais la plupart des frères jugeaient ce geste inadmissible. D’après le ministère du Travail, il s’agissait de faire accomplir à ces hommes des services nécessaires, mais en réalité on voulait simplement empêcher les prédicateurs à plein temps des Témoins de Jéhovah d’être libres de déclarer la “bonne nouvelle”.
Pendant l’été 1946, tous les objecteurs de conscience canadiens avaient été libérés, sauf 73 Témoins de Jéhovah. Un mémoire fut préparé, afin de dénoncer la position arbitraire et contradictoire que le Ministère avait adoptée en gardant ces chrétiens emprisonnés, alors que tous les autres objecteurs de conscience avaient été libérés. Des exemplaires de ce mémoire furent envoyés à des députés bien disposés envers nous. Certains d’entre eux étaient outrés d’apprendre ce que faisait le gouvernement. Ils se mirent à assaillir le ministère du Travail de questions gênantes à la Chambre des communes.
Le 10 juillet 1946, le député John Diefenbaker (plus tard Premier ministre du Canada) demanda: “Combien y a-t-il de Témoins de Jéhovah qui sont encore détenus dans des camps de concentration?”
Le Ministère fut incapable de résister à ce genre de pressions. Le 15 juillet 1946, tous les camps de travail furent fermés. Ces jeunes proclamateurs du Royaume étaient donc libres de participer à l’expansion chrétienne d’après-guerre.LA QUESTION DU SALUT AU DRAPEAU
La question du salut au drapeau évolua de façon parallèle au Canada et aux États-Unis. La publicité faite aux États-Unis gagna le Canada et, à partir de 1940, un certain nombre de commissions scolaires dans tout le pays instituèrent la cérémonie obligatoire du salut au drapeau.
Bon nombre de procès furent intentés, contestant le pouvoir des commissions scolaires d’imposer la cérémonie du salut au drapeau et de l’hymne national. Un de ces procès fut celui de Ruman contre Lethbridge, en Alberta. Le tribunal jugea que la commission scolaire avait le pouvoir de forcer un élève à participer à ces cérémonies, mais l’assemblée législative provinciale, manifestant un respect très louable pour la liberté, changea la loi scolaire de façon à permettre aux enfants des Témoins de Jéhovah de fréquenter l’école sans être inquiétés.
Mais c’est à Hamilton, en Ontario, où un procès interminable traîna depuis 1940 jusqu’en 1945, que la question devait être tranchée. Vingt-sept enfants furent expulsés des écoles de Hamilton pour avoir refusé de saluer le drapeau et de chanter l’hymne national. Pour que les enfants en question puissent poursuivre leurs études, il fallut ouvrir une École du Royaume privée.
Une action en justice fut intentée, demandant au tribunal d’ordonner que les enfants soient réadmis à l’école sans être obligés de participer aux cérémonies en cause. Le procès eut lieu à Hamilton les 30 et 31 mars 1944. Le juge, M. Hope, un militaire très patriote, prononça son jugement contre les Témoins de Jéhovah en déclarant que la commission scolaire avait non seulement le pouvoir d’exiger les cérémonies en question, mais aussi avait le “devoir catégorique d’exercer ces pouvoirs”. En somme, ce jugement exigeait que toutes les autres commissions scolaires de la province expulsent les enfants des Témoins de Jéhovah s’ils ne participaient pas au salut au drapeau et au chant de l’hymne national.
On interjeta appel auprès de la cour d’appel de l’Ontario, où la plaidoirie eut lieu en mars 1945. La guerre était encore en cours, la ferveur patriotique était à son apogée et les Témoins de Jéhovah étaient en train de se réorganiser après l’interdiction. À l’ouverture de la plaidoirie, le tribunal était plutôt hostile. Il fallut adopter une position ferme, car les trois juges bombardèrent les frères de questions
sur les Témoins de Jéhovah et leurs croyances. Mais leur hostilité initiale s’adoucit et les juges firent preuve d’une attitude très équitable. Par la suite, ils se prononcèrent unanimement en faveur du peuple de Jéhovah, permettant ainsi à nos enfants de fréquenter l’école sans être obligés de participer à des cérémonies contraires à leur conscience.Ce jugement fut un choc terrible pour la commission scolaire de Hamilton et ses avocats, qui avaient attaqué vigoureusement les Témoins de Jéhovah. Ils essayèrent de faire appel auprès de la Cour suprême du Canada, mais le tribunal rejeta la demande en permission d’appel. Par conséquent, le jugement favorable de la cour d’appel de l’Ontario fut le jugement définitif. Depuis plus de 30 ans, cette excellente décision s’est avérée très utile pour récuser les “cocardiers” qui, de temps en temps, ont essayé de remettre la question sur le tapis.
LA LUTTE POUR LA LIBERTÉ AU QUÉBEC
En 1944, avec la levée de l’interdiction et à l’approche de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le moment était venu de redoubler d’activité dans la prédication du Royaume au Québec. Le premier ministre de la province était Maurice Duplessis, homme politique rusé et dépourvu de scrupules. Le clergé catholique et lui s’entendaient comme larrons en foire. Duplessis a été décrit par un historien comme “un démagogue décidé à maintenir la province dans une sécurité confortable, dans un état arriéré et corrompu”.
Il y avait alors moins de 300 Témoins dans tout le Québec. Dès la reprise de la prédication dans la région de Montréal, on commença à les accuser, en vertu d’arrêtés municipaux, “d’importuner le public”. À la fin de 1944, il y avait une quarantaine de procès sous ce chef d’accusation. Le nombre de procès augmenta rapidement en 1945 et, lorsqu’une foule de catholiques attaqua les Témoins à Châteauguay et à Lachine, en septembre 1945, l’affaire capta l’attention du pays tout entier. Mais ce petit groupe de chrétiens intrépides résista à ces attaques. — Jér. 1:19.
À la fin de 1945, il y avait déjà 400 procès, mais ce n’était pas encore fini. Vers la fin de 1946, il y avait plus de 800 procès en instance devant les tribunaux de Montréal, Verdun, Outremont, Lachine, Québec, Sherbrooke et d’autres villes. Pour le peuple de Jéhovah, ces procès, de même que les arrestations constantes, représentaient un harcèlement très pénible. En effet, il faut voir le côté humain de la situation et comprendre qu’il n’était pas facile de supporter les arrestations, les tensions, les retards forcés, les humiliations, les pertes d’emplois et les ennuis continuels qui en résultaient.
“LA HAINE ARDENTE DU QUÉBEC”
Il fallait faire quelque chose pour soulager les pressions considérables dont les fidèles Témoins du Québec étaient l’objet. Une assemblée spéciale fut organisée à Montréal les 2 et 3 novembre 1946. N. Knorr, alors président de la Société Watch Tower, et H. Covington, conseiller juridique de la Société, étaient venus de Brooklyn. Le discours de clôture de frère Knorr était intitulé “Qu’allons-nous faire?”
Il y avait de l’électricité dans l’air lorsque, devant un auditoire enthousiaste, frère Knorr répondit à cette question en faisant publiquement, pour la première fois, la lecture de ce qui est maintenant un document historique intitulé “La haine ardente du Québec pour Dieu, pour Christ et pour la liberté, est un sujet de honte pour tout le Canada”. C’était un exposé fulgurant! En termes graves et mesurés, Knorr proclama, à la façon d’un message de condamnation, l’accusation de Jéhovah contre l’administration corrompue de la province de Québec. Il s’agissait d’un exposé véridique et énergique concernant des faits qui n’ont jamais été contestés.
Frère Knorr annonça que, le 15 novembre 1946, — seulement 12 jours plus tard, — la distribution gratuite de ce tract allait commencer dans tout le Canada et allait durer 16 jours. C’était un appel à l’action!
DUPLESSIS ANNONCE UNE “GUERRE SANS MERCI”
Très rapidement le tract “La haine ardente du Québec” fut distribué dans tout le pays, y compris le Québec. Désormais, le combat juridique allait devenir sérieux. Duplessis annonça publiquement “une guerre sans merci aux Témoins de Jéhovah”. Au lieu de 800 procès, nous ne devions pas tarder à en avoir 1 700. Duplessis dépoussiéra l’ancienne loi sur la sédition et, avant longtemps, il y avait 100 poursuites sous ce chef d’accusation. Une fois de plus, le pays tout entier observait la lutte engagée au Québec.
Le 4 décembre 1946, Duplessis, plein de rage, lança une attaque juridique qui, tel un boomerang, allait retomber sur lui et le frapper durement. Il annula injustement le permis de vendre des boissons alcooliques dans le restaurant appartenant à un Témoin de Jéhovah, Frank Roncarelli. En retirant son gagne-pain à cet homme, il souleva contre lui les milieux d’affaires dans tout le Canada. Il était évident pour tous qu’un dictateur dépourvu de scrupules se trouvait à la tête du Québec. Un grand meeting de protestation fut organisé par des personnalités très en vue de Montréal.
Alors que le pays était absolument outré de cette mesure arbitraire de Duplessis, un deuxième boomerang fut lancé par le juge
suppléant Jean Mercier, un catholique de Québec. Le 17 décembre 1946, John Maynard How, pionnier spécial, comparut devant Mercier, sous l’accusation d’avoir troublé la paix. Il s’agissait d’une accusation en vertu d’un simple arrêté municipal, mais le juge Mercier perdit toute maîtrise de soi. Les manchettes proclamaient: “Un juge, se déchaînant contre la secte de Jéhovah, déclare que ses membres méritent la prison à perpétuité”. Un article expliquait: “Mercier a déclaré que la police de Québec avait reçu l’ordre d’arrêter à vue tout Témoin de Jéhovah connu ou présumé tel et a pris l’engagement, en ce qui concerne son tribunal, d’éliminer sans relâche tous les sympathisants.”L’auteur de ces déclarations était un juge que l’on croyait juste et impartial. Le comportement d’hommes comme Duplessis et Mercier prouvait que les accusations publiées dans le tract “La haine ardente du Québec” étaient vraies, et même en dessous de la réalité. Citons quelques titres d’éditoriaux qui illustrent bien la réaction de la presse:
Retour de l’âge des ténèbres au Québec (The Toronto Star)
Quel juge! (The Ottawa Journal)
Retour de l’Inquisition (The Globe and Mail, Toronto)
Cela sent le fascisme (The Gazette, Glace Bay)
Au lieu de battre en retraite, les Témoins de Jéhovah publièrent un deuxième tract intitulé “Québec, vous avez manqué à votre peuple!” Cette réponse aux fausses accusations de Duplessis fut distribuée en janvier 1946. Cette fois, la distribution eut lieu de nuit pour éviter les arrestations continuelles du peuple de Dieu par la police du Québec.
Parallèlement à ces événements, une lutte juridique d’envergure se déroulait à Québec même. Les quelques pionniers de cette ville: Laurier Saumur, John Maynard How, Gerald Barry et Russell Herbert Headworth, s’étaient vu intenter une série de procès et avaient dû comparaître maintes et maintes fois devant le tribunal du juge suppléant Mercier, à la suite de quoi ils furent tour à tour emprisonnés et relâchés. Les journaux parlèrent d’une véritable “bataille juridique”. Toute cette activité défrayait la chronique, et les événements du Québec étaient mentionnés chaque jour dans les journaux de tout le pays. De nombreuses personnes sincères admiraient le courage des témoins chrétiens de Jéhovah.
En février 1947, quatre des pionniers spéciaux de Québec, — dont trois étaient en liberté sous caution, — se rendirent à Ithaca, dans l’État de New York, comme étudiants de la neuvième classe de Galaad, l’École biblique de la Watchtower. Pendant leur séjour à Galaad, on interjeta appel de l’affaire concernant Laurier Saumur et Gerald Barry auprès de la Cour suprême du Canada, mais celle-ci refusa l’audience pour des questions de procédure. C’est pourquoi
Laurier Saumur dut quitter l’École de Galaad en juin, avant la remise des diplômes, pour finir de purger sa peine de prison à Québec. Ce non-lieu prononcé par la Cour suprême nous obligea encore à avoir affaire aux tribunaux du Québec, où il y avait alors plus de 1 700 procès en instance.Gerald Barry, dont l’affaire était également en instance devant la Cour suprême, mourut en chrétien fidèle en mai 1947. Pionnier depuis 1908, il servait au Québec depuis 1924. Il était vraiment comme ceux dont l’apôtre Paul disait que “le monde n’était pas digne d’eux”. — Héb. 11:38.
POURQUOI NE PAS PARTICIPER À LA LUTTE POUR LA LIBERTÉ
Vous vous rendez compte à présent du courage et de la détermination dont fit preuve le peuple de Jéhovah dans la province de Québec. Il semble donc que ce soit le moment de vous parler de deux sœurs charnelles et spirituelles, qui avaient près de vingt ans. Ayant entendu parler de la persécution de leurs compagnons dans la foi au Québec, — des attaques par la foule en colère, des coups, des peines de prison, — elles se dirent: “Nous sommes jeunes, en pleine force et en parfaite santé; pour nous, un territoire comme celui-ci serait idéal, car nous voulons participer à la lutte pour la liberté en compagnie de nos frères qui s’y trouvent déjà.”
C’est ainsi que le 1er mai 1946, ces deux jeunes filles, des pionniers, ravies de pouvoir servir au Québec, arrivèrent à Montréal. L’une d’elles, Victoria Dougaluk, devait plus tard écrire ce qui suit:
“Il ne fallut pas longtemps pour que nous passions par les mêmes épreuves que celles dont nous avions entendu parler. Ma sœur fut arrêtée et régulièrement traduite devant un tribunal pour enfants, et moi, je me retrouvais sans cesse devant le juge jusqu’à ce qu’un jour il me dit que j’étais le plus grand fléau qui fût jamais venu dans cette ville. Nous eûmes beaucoup d’occasions de donner le témoignage, non seulement devant les tribunaux, mais aussi aux détenus. Un grand lien d’amour naquit entre les frères qui connurent la prison. Je me souviens particulièrement d’un cas: Plusieurs d’entre nous avaient été arrêtés en même temps. À mesure que des cautions étaient fournies, les plus âgés ou ceux qui avaient de la famille étaient libérés. Finalement, nous n’étions plus que deux. Six jours passèrent, sans que nous sachions quand viendrait notre tour. Enfin, une nouvelle caution fut fournie, mais pour une personne seulement. La sœur de langue française qui était avec moi s’écria: ‘Les deux ou aucune!’ Elle renonça ainsi à sa libération immédiate pour rester avec moi. Je lui en étais si reconnaissante qu’il n’y avait pas de mots pour l’exprimer. En fin de compte, les Témoins de Jéhovah
furent très respectés à cause de leur lutte pour la liberté, car toutes les tentatives visant à nous décourager échouèrent. Les efforts de nos ennemis en vue de briser notre zèle nous rendirent plus résolus encore à poursuivre notre œuvre et à trouver les brebis dans cette région.”ENCORE DES ACCUSATIONS DE SÉDITION
Avec l’aide de l’esprit de Jéhovah, et avec un amour, une foi une fidélité et une détermination comme ceux-ci, le peuple de Jéhovah affronta l’ennemi au Québec, ennemi qui n’avait pas abandonné la partie. Piqué au vif par les faits dévoilés dans le tract “La haine ardente du Québec”, Duplessis rechercha d’autres armes pour nous menacer et nous opprimer. En plus des nombreux procès relevant d’arrêtés municipaux, il reprit les anciennes accusations de diffamation séditieuse. Plus de 100 accusations de ce genre furent portées contre 50 Témoins, et des procès furent intentés à Sherbrooke, Amos, Montréal et St-Joseph-de-Beauce. Comme pièces à conviction, l’accusation avait les deux tracts “La haine ardente du Québec” et “Québec, vous avez manqué à votre peuple!”
Le premier procès pour sédition fut celui d’Aimé Boucher, homme de petite taille, sincère et doux, qui exploitait une ferme avec ses bœufs dans la région montagneuse au sud du Québec. Frère Boucher était pauvre en biens de ce monde, mais riche en amour et en foi. Son procès eut lieu à St-Joseph-de-Beauce en novembre 1947, devant le juge Alfred Savard, ancien associé de l’étude d’avocats dont faisait partie Lapointe, le ministre de la Justice, alors décédé, qui avait décrété l’interdiction en 1940. Le juge Savard se révéla extrêmement hostile et plein de préjugés quand il s’adressa au jury. Bien entendu une condamnation s’ensuivit.
La cour d’appel du Québec ayant confirmé la condamnation, on interjeta appel auprès de la Cour suprême du Canada. Celle-ci commença par ordonner que l’affaire soit référée à Québec pour un nouveau procès, mais, fait sans précédent, une nouvelle audience fut accordée, ce qui prouve que Jéhovah était avec nous. La cour réforma son jugement après la deuxième audience et ordonna un acquittement total. Comme ils n’incitaient pas à la violence, les tracts des Témoins de Jéhovah ne pouvaient pas être de nature séditieuse. Par conséquent, toutes les accusations de sédition portées par Duplessis devaient faire l’objet d’un non-lieu. Pas une seule accusation ne fut maintenue. Jéhovah avait justifié son peuple!
Le jugement dans l’affaire Boucher fut probablement la victoire juridique la plus importante que le peuple de Jéhovah ait jamais remportée au Canada. Il rompit l’échine aux adversaires politico-religieux de la liberté des Témoins de Jéhovah et de tous les autres
Canadiens. De plus, il modernisa la loi canadienne, annulant toutes les définitions antérieures de la sédition. Il fallut changer tous les livres de droit! Le doyen Bowker de la Faculté de Droit de l’université de l’Alberta, déclara: “Un jugement comme celui de l’affaire Boucher contre la Couronne vaut plus qu’une douzaine de déclarations sur le droit à la liberté de parole.”DÉFAITE DE LA CENSURE POLICIÈRE
Tous les procès pour sédition avaient donc fait l’objet d’un non-lieu. Très bien, mais il restait toujours une pile de plus de 1 600 accusations en vertu d’arrêtés municipaux. Qu’allait-il se passer avec celles-ci? Ces procès étaient dus aux efforts des autorités du Québec qui voulaient continuer à exiger que toutes les informations soient soumises à la censure de la police. Comme exemple typique, citons l’arrêté 184 de la ville de Québec, qui déclarait: “Il est interdit de distribuer dans les rues de Québec tout livre, pamphlet, brochure, circulaire, tract, sans en avoir obtenu l’autorisation écrite préalable du chef de police.”
Pour avoir raison de cet arrêté sur la censure, un procès appelé à faire jurisprudence fut intenté à Québec en 1947, demandant que l’arrêté soit déclaré illégal. Au tribunal, trois ecclésiastiques, — un prêtre catholique, un pasteur anglican et un rabbin, — comparurent comme témoins pour la ville de Québec. Ils s’efforcèrent de persuader le juge de prononcer un jugement contre les Témoins de Jéhovah, prouvant une fois de plus l’union de la politique et des principales religions contre les véritables serviteurs de Dieu.
Dans cette affaire, dénommée Saumur contre Québec, on interjeta également appel auprès de la Cour suprême du Canada, qui en débattit pendant sept jours. Le 6 octobre 1953, la cour, composée de neuf juges, se prononça en faveur des Témoins de Jéhovah par cinq voix contre quatre. La victoire dans cette affaire mit fin aux centaines de procès en vertu des arrêtés municipaux qui étaient encore en instance devant les tribunaux du Québec. Le jugement de l’affaire Saumur est également reconnu au Canada comme un jalon dans l’histoire du droit et un bienfait pour tout le peuple canadien.
Un chroniqueur fut tellement impressionné par la portée de ce jugement qu’il écrivit ce qui suit dans le Telegram de Toronto:
“L’ÉGALITÉ DES DROITS POUR TOUS
“On devrait faire un énorme feu de joie sur la colline du Parlement pour célébrer le jugement prononcé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Saumur; un feu de joie digne d’une grande occasion. Peu de jugements dans l’histoire de la justice canadienne ont été plus importants. Peu de tribunaux ont rendu un plus grand service au
Canada. Et aucun autre n’a imposé une dette plus importante aux Canadiens qui reconnaissent la valeur de leur patrimoine de liberté. (...) Cette délivrance ne saurait être célébrée par les feux de joie qu’elle mérite.”Il est intéressant de noter qu’à l’époque où cette affaire fut jugée la filiale du Canada avait demandé à tous les frères de prier Jéhovah à propos de l’issue du litige. Tant de choses dépendaient d’un jugement favorable dans cette affaire (I Tim. 2:1, 2)! Le résultat indique que Celui qui ‘entend la prière’ avait prêté une oreille favorable (Ps. 65:2). Certes, “la supplication d’un juste, quand elle est à l’œuvre, a beaucoup de force”. — Jacq. 5:16.
LA DERNIÈRE BATAILLE DE DUPLESSIS
Jusque-là, les Témoins de Jéhovah s’étaient opposés victorieusement à toutes les lois dont Duplessis s’était servi contre eux, mais celui-ci ne s’avouait pas encore vaincu. En janvier 1954, il fit adopter par l’Assemblée législative du Québec une nouvelle loi qui, prétendait-il, mettrait fin aux activités des Témoins de Jéhovah. Cette loi, connue sous l’appellation de loi 38, entra en vigueur le 28 janvier 1954, à 17 heures. Mais dès le lendemain matin, à 9 heures, l’avocat des Témoins de Jéhovah attendait l’ouverture des portes du tribunal pour déposer une requête qui contestait la validité de la nouvelle loi et demandait une ordonnance qui en empêcherait l’application.
L’affaire de la loi 38 traîna en longueur pendant 10 ans, mais le procès proprement dit fut extrêmement intéressant. F. Franz (actuellement le quatrième président de la Société Watch Tower), qui était venu à Québec à titre de témoin expert, fit une déposition merveilleuse en faveur de Jéhovah et de son peuple.
L’avocat des Témoins de Jéhovah fit comparaître un témoin particulièrement rébarbatif: Maurice Duplessis. Celui-ci était outré d’être obligé de comparaître à la suite d’une citation des Témoins de Jéhovah. Pendant deux heures et demie, Glen How assura le contre-interrogatoire de ce petit homme arrogant et hargneux, à la grande irritation de celui-ci.
Plus tard, la Cour suprême du Canada refusa de se prononcer sur la validité de la loi pour une question de procédure, à savoir que les Témoins de Jéhovah avaient intenté un procès avant que la loi 38 ait jamais été appliquée à leur endroit. Mais si jamais les autorités devaient appliquer cette loi, la question de procédure invoquée par la Cour suprême n’existerait plus. La loi 38 est donc inefficace et n’a jamais été appliquée depuis 1954. Duplessis avait livré sa dernière bataille.
En 1959, Duplessis connut une fois de plus la honte. Pour la première fois dans l’histoire de l’Empire britannique, un premier ministre se vit forcé de payer personnellement des dommages-intérêts à un citoyen pour une action qu’il avait ordonnée dans le cadre de ses fonctions officielles. En effet, la Cour suprême du Canada le condamna à des dommages-intérêts et aux dépens, soit à payer environ 50 000 dollars à frère Frank Roncarelli à qui il avait retiré le permis de servir de l’alcool dans son restaurant. Peu après ce dernier échec, Duplessis mourut.
Il est certain qu’il aurait pu s’éviter beaucoup de tracas s’il avait pris à cœur cet excellent conseil de Gamaliel, docteur de la Loi: “Ne vous occupez pas de ces hommes, mais laissez-les aller; (...) autrement, on vous trouvera peut-être en train de combattre contre Dieu.” — Actes 5:38, 39.
DES EXPRESSIONS DE RECONNAISSANCE
De nombreux chroniqueurs judiciaires ont rendu publiquement hommage à l’excellente contribution des Témoins de Jéhovah pour l’établissement du droit et de la liberté au Canada. Frank Scott, ancien doyen de la Faculté de Droit de l’Université McGill, déclara concernant les procès des Témoins: “Nous devrions être reconnaissants envers ceux qui, dans notre pays, sont victimes de l’oppression de l’État et qui défendent leurs droits. Leur victoire est une victoire pour nous tous.” Il ajouta: “Cinq de ces victimes dont l’affaire fut portée devant la Cour suprême du Canada au cours des dix dernières années, et qui ont tellement contribué à l’éclaircissement de notre jurisprudence, étaient des Témoins de Jéhovah.”
Dans un autre article de la Revue de la Faculté de Droit (université de Toronto), un autre commentateur décrivait les Témoins de Jéhovah comme étant “le groupe qui a le plus contribué à renforcer les privilèges de la citoyenneté”. Ivan Rand, ancien juge de la Cour suprême du Canada, parlant de quelques-unes de nos causes, observa que “les loups combattent en bandes, mais le lion se bat seul”.
Il ressort de ces déclarations de personnalités faisant autorité en la matière que les Témoins de Jéhovah, une minorité qui a dû combattre contre plus fort qu’elle, ont, par leur courage, contribué de façon considérable à la liberté des Canadiens. Leur victoire est une victoire pour la liberté de toute la population du Canada. La liberté de culte, de presse, de parole et de réunion a été protégée grâce aux procès qui mirent en cause les Témoins de Jéhovah.
Oui, les Témoins de Jéhovah sont heureux de voir que leurs comparutions publiques devant les tribunaux ont servi de témoignage, et d’avoir pu contribuer ainsi à ‘la défense et à l’affermissement légal de la bonne nouvelle’ au Canada (Marc 13:9; Phil. 1:7). Mais les Témoins sont particulièrement reconnaissants envers Jéhovah, le grand Législateur, qui soutient toujours son peuple, ainsi que le déclara jadis le roi Ézéchias: “Soyez courageux et forts. (...) Avec lui [le roi d’Assyrie] il y a un bras de chair, mais avec nous il y a Jéhovah, notre Dieu, pour nous aider et pour combattre nos batailles.” — II Chron. 32:7, 8.
LE DÉBUT DES ANNÉES 1960
Toutes ces batailles juridiques terminées, les chrétiens canadiens entrèrent avec enthousiasme dans les années 1960. En avril 1960, Clayton Morrell, qui, au cours des années, avait été pionnier, surveillant de circonscription et membre de la famille du Béthel de Toronto, fut nommé surveillant de la filiale. Frère Morrell manifestait un excellent état d’esprit et était d’un abord très facile. C’était également un excellent organisateur, qui s’apprêtait à poursuivre le bon travail accompli jusqu’alors. La famille du Béthel comptait à ce moment-là 44 membres.
Dans tout le pays, il y avait six districts, 61 circonscriptions et 805 congrégations. En 1960, le Canada enregistra un maximum de 38 382 proclamateurs actifs du Royaume, soit une proportion d’un Témoin pour 465 habitants.
En juin 1960, il y avait eu suffisamment de jugements en notre faveur pour permettre de recommencer l’œuvre de témoignage de porte en porte avec la Bible et les offres de publications au Québec, province qui, désormais, était identique au reste du Canada à cet égard. La première assemblée de district tenue entièrement en français eut lieu cet été-là à Verdun. Ce fut un jalon sur la voie du développement des activités chrétiennes au Québec, avec plus de 3 000 assistants, dont environ un millier de sympathisants. Quel changement! Le combat juridique au Québec était pratiquement achevé. L’influence des prêtres et l’opposition étaient en baisse. Le nombre de proclamateurs francophones dans la province dépassait celui des Témoins anglophones. À Montréal, la ville la plus importante, l’accroissement avait été tel qu’en 1959 il y avait sept Salles du Royaume et 22 congrégations. Dans toute la province, on construisait plusieurs autres salles. Même la ville de Québec avait une Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah!
Le 1er août 1960, la première congrégation italienne fut formée à Toronto. Elle ne comptait que 40 proclamateurs, mais l’expansion promettait d’être rapide. Aujourd’hui, il y a 33 congrégations de langue italienne au Canada, avec plus de 2 000 proclamateurs. Quelle joie également d’avoir vu la création, jusqu’à présent, de 14 congrégations espagnoles et portugaises, de 12 congrégations grecques, d’une congrégation chinoise et d’une congrégation coréenne!
En 1960, tout était prêt pour une décennie d’activité intense. Ce fut essentiellement une période de paix et d’édification spirituelle.
L’ÉCOLE DU MINISTÈRE DU ROYAUME
Le 1er janvier 1961 eut lieu un événement important au Canada: le début de la première École du ministère du Royaume à la filiale de Toronto. À la fin du mois d’août de cette même année, 151 surveillants et pionniers spéciaux avaient suivi le cours en question. Ils ne tarissaient pas d’éloges sur ce qu’ils avaient appris. Certains disaient même qu’ils avaient effectivement changé leur personnalité pendant ce cours de quatre semaines. En 1971, l’École du ministère du Royaume au Canada avait tenu 152 classes, avec un total de 3 370 assistants. Un grand nombre de surveillants et de pionniers spéciaux avaient donc bénéficié de cette excellente formation, qui allait mieux les équiper pour s’acquitter des responsabilités dans leur congrégation locale au cours des années 1970.
Dans les années ultérieures, les cours révisés de l’École du ministère du Royaume ont contribué à la formation de tous les anciens des congrégations canadiennes; en 1977, 5 980 d’entre eux ont assisté aux derniers cours. Il est certain que, depuis son inauguration en 1961, l’École du ministère du Royaume a aidé de nombreux frères à continuer à servir dans les congrégations et dans le champ.
LA QUESTION DES TRANSFUSIONS SANGUINES
Au cours des années, l’attitude adoptée par les Témoins de Jéhovah au Canada à propos du caractère sacré du sang s’est traduite par une publicité défavorable et une animosité considérable (Actes 15:28, 29). Cette hostilité du public à notre refus des transfusions sanguines atteignit son point culminant en 1961. C’est pourquoi le moment semble approprié ici de parler en détail de cette question.
Les journaux avaient publié des manchettes incendiaires et utilisé des termes trompeurs en ce qui concerne la prétendue efficacité des transfusions sanguines pour préserver la santé et la vie. Depuis les années 1950, notre position concernant le sang avait suscité beaucoup de réactions défavorables parmi le public. L’hostilité que les Témoins de Jéhovah rencontraient aux portes dans la prédication du Royaume était comparable à celle qu’avaient connue leurs frères aux États-Unis pendant les années 1940, lorsque beaucoup de gens cherchaient à les provoquer à propos de leur attitude envers le salut au drapeau et la guerre. Au Canada, l’attitude raisonnable et respectueuse des gens fit place à la passion, à des condamnations et même à des menaces.
Pour montrer comment les journaux excitèrent le public, tout en s’abstenant de présenter les deux aspects de la question, nous citerons un cas datant de 1956. À Hamilton, une jeune fille de 17 ans (ayant donc l’âge auquel, d’après la loi en Ontario, on peut prendre ses propres décisions sur une question ayant trait à la santé et aux soins médicaux) refusa une transfusion sanguine ordonnée par les médecins qui l’avaient soignée à l’hôpital général de cette ville pour une affection congénitale. Dès sa naissance, certains avaient cru qu’elle ne vivrait pas longtemps, mais elle avait malgré tout atteint ses 17 ans. Elle prit donc une décision qu’elle jugeait sensée, celle de continuer son traitement sans violer ses principes chrétiens.
À partir de ce simple exercice d’un des droits fondamentaux de la personne, que se passa-t-il? À la une du Star de Toronto du 17 février 1956, on put lire cette manchette en énormes caractères de six centimètres de haut, aussi grosse que celles qui annonçaient une déclaration de guerre ou une autre catastrophe mondiale: “UNE JEUNE FILLE DE 17 ANS SE MEURT — EST-CE INÉVITABLE?” Et en dessous: “Un Témoin de Jéhovah refuse une transfusion”. Indiquant que cette jeune personne allait mourir si elle refusait une transfusion sanguine, un sous-titre du même article parlait d’elle comme d’une “jeune fille condamnée”. Que ce journal souhaitait exciter ses lecteurs contre nous, c’est ce que montrait clairement le premier paragraphe de l’article, qui disait que la décision de la malade “ne manquera pas de déclencher une nouvelle vague d’indignation publique dans cette ville”.
Pourquoi le Star était-il si sûr que cette jeune personne allait mourir et parlait-il d’une “mort certaine” si elle n’acceptait pas de transfusion? Parce que les médecins de l’hôpital le laissaient entendre. Ils avaient dit au reporter du journal que, même avec une transfusion, “la jeune fille ne vivra pas plus de deux ans”. Avec des remarques de ce genre, associées à une terminologie incorrecte (parlant par exemple du sang “donateur de vie”), il n’en fallait pas plus pour indisposer le public contre nous. L’article continuait en disant que la jeune fille “s’affaiblissait de jour en jour”.
En réalité, que se passa-t-il? La jeune fille ne reçut pas de transfusion et elle quitta l’hôpital en bonne santé. Les médecins appelèrent-ils alors les journaux pour leur dire: “Nous avons une bonne nouvelle pour vous. La jeune fille est rétablie. Nous voulons que tout le monde le sache.” Eh bien, non! Ils ne soufflèrent pas mot lorsqu’elle quitta l’hôpital. En toute justice, auraient-ils dû appeler la presse? Oui, quand on se souvient comment les journaux avaient eu connaissance de son cas.
Si la nouvelle du rétablissement de cette jeune personne et de son départ de l’hôpital fut mentionnée dans les journaux, c’est uniquement parce qu’un journaliste curieux, qui voulait se renseigner sur son état de santé, apprit qu’elle avait pu rentrer chez elle. Le
Telegram de Toronto eut le mérite de publier un article dans lequel figurait une photo de la jeune fille, toute souriante, avec cette légende: ‘Elle respire la santé.’ De fait, elle est toujours en vie. Depuis ces événements, elle s’est mariée et a eu des enfants.Si nous vous avons parlé en détail de ce cas ayant trait à la transfusion sanguine, c’est qu’il est typique. Habituellement, la presse commence par publier de grosses manchettes et par faire de sombres prédictions. Puis, l’indignation et l’hostilité gagnent le public. Ensuite, après que des spécialistes en médecine et en jurisprudence se sont donné la peine d’examiner les faits sans préjugés, une attitude plus rationnelle se fait jour. Enfin, un article très anodin paraît peut-être sur une des dernières pages d’un journal pour dire que le malade, rétabli, a pu quitter l’hôpital. Il y a eu des exceptions, bien entendu, mais cette succession d’événements s’est répétée maintes et maintes fois.
RETOURNEMENT DE LA SITUATION
Parmi les gens réfléchis, quelque chose allait toutefois produire un retournement de la situation. Quoi donc? La publication à plusieurs reprises de faits qui montraient le revers de la médaille en ce qui concerne les transfusions sanguines. Par exemple, le numéro d’octobre 1960 du Canadien Bar Journal (Revue du Barreau canadien) publia un article très fouillé et bien documenté sur les aspects juridique, médical et religieux de la question des transfusions sanguines. Canadian Doctor reproduisit cet article dans un supplément d’environ 24 pages de son numéro de décembre 1960. Cet article fut lu par des hommes de loi et des médecins, c’est-à-dire des gens susceptibles d’influer favorablement sur la situation.
Dans le numéro du 26 août 1961 du Maclean’s, revue diffusée dans tout le Canada, parut un article intitulé “Trois transfusions sanguines sur quatre sont plus susceptibles de faire du tort que de guérir”. Cet article était rédigé par un médecin, avec la collaboration de Sidney Katz, journaliste spécialiste des questions médicales. Cet article dévoilait les abus de transfusions inutiles à un public qui, à la suite d’un véritable “lavage de cerveau”, était porté à croire que les transfusions sanguines sont toujours bienfaisantes, ne sont jamais nocives et ne comportent même jamais de risques.
Le numéro du 27 mai 1961 du Canadian Medical Association Journal contenait un article intéressant de deux médecins, Max Minuck et Ronald Lambie. Intitulé “L’anesthésie et la chirurgie dans le cas des Témoins de Jéhovah”, il mit fin, d’une façon générale, à l’opinion chère à de nombreux médecins et suivant laquelle les Témoins sont des gens fanatiques, qu’il est difficile de les soigner et que les problèmes résultant des cas de transfusion sanguine sont la faute de ‘ces gens naïfs’. Dans le premier paragraphe, les auteurs
montraient qui étaient vraiment les responsables des crises d’hystérie dans les hôpitaux lorsque se posait la question d’une transfusion sanguine. Leurs discussions concernant ces cas, disaient-ils, “ont fait ressortir qu’il existe, à un degré considérable, un état de confusion, de préjugés irrationnels, d’intolérance et d’ignorance, non seulement en ce qui concerne les croyances des Témoins, mais aussi quant aux responsabilités juridiques et éthiques relatives aux soins médicaux dont ils sont l’objet”. (C’est nous qui soulignons.) Plus loin dans cet article, les docteurs Minuck et Lambie ajoutaient que, dans d’autres cas où le médecin doit faire face à des conditions qui sont loin d’être idéales, on aborde le problème avec calme, objectivité et patience, et le médecin fait de son mieux dans ces conditions. Puis ils ajoutèrent:“Mais dans le cas des Témoins de Jéhovah, l’équipe chirurgicale cède très souvent à l’émotion et se montre embarrassée et déraisonnable, et cela parce que le problème que présente le malade, au lieu d’être physique, est d’ordre religieux. Les Témoins de Jéhovah ne sont pas le seul groupement religieux qui soit astreint à refuser, pour des motifs religieux, certaines pratiques médicales généralement admises. D’autres groupements, les catholiques par exemple, doivent refuser certaines formes de traitements médicaux, et nous acceptons leur point de vue. De même, les croyances des Témoins de Jéhovah doivent être respectées et tolérées.”
Ce raisonnement fait plus honneur au corps médical que l’attitude d’un médecin qui promet au malade de respecter sa volonté, mais qui ensuite “lui fait une transfusion en cachette”, prétendant que “ce que le malade ignore ne peut lui faire du mal”. Non seulement ce genre d’attitude est contraire au code de déontologie, mais elle est malhonnête et témoigne d’un manque de respect pour les droits d’autrui. D’après certains auteurs, les médecins se trompent dans leur diagnostic dans une proportion pouvant atteindre 45 pour cent des cas; il leur siérait donc d’être plus modestes. Citons le jugement objectif du docteur Arthur Kelly (alors secrétaire de l’Association médicale canadienne):
“L’omniscience est une qualité très rare en médecine, et les affirmations de naguère sont modifiées et remplacées par les nouvelles connaissances d’aujourd’hui. Évitons donc, dans notre fierté, d’aller jusqu’à l’arrogance et d’exiger que notre malade soumette sa volonté à la nôtre. Je pense qu’il est préférable que certaines personnes meurent avant leur heure, plutôt que de saper ce qui, en fin de compte, est pour elles un droit et un devoir, la responsabilité de leur propre santé.”
Ces dernières années, les relations entre médecins et malades n’ont cessé de s’améliorer dans les cas relevant de la question des transfusions sanguines. De nombreux chirurgiens ont eu le courage d’exercer leur art tout en respectant les opinions religieuses sincères
des Témoins. Peu après 1970, des frères de Toronto visitèrent le principaux hôpitaux de cette ville pour établir de meilleures relations avec les administrateurs et les directeurs de ces établissements Ces frères furent accueillis avec beaucoup de respect, de même que les renseignements tirés de revues médicales sur la possibilité d’opérer sans transfusions. La brochure de la Société Watch Tower intitulée Le sang, la médecine et la loi de Dieu s’avéra très utile pour convaincre ces hommes, de même que de nombreux médecins. Il est intéressant de noter que certains médecins nous demandent maintenant de leur fournir des renseignements supplémentaires tirés de revues médicales.Aujourd’hui, le public ne semble s’émouvoir que dans le cas de tout jeunes enfants à qui le médecin veut faire une transfusion de sang parce qu’il le juge nécessaire. D’autre part, les faits démontrent que les Témoins de Jéhovah n’avaient pas eu tort dans leur attitude. Malgré les sombres prédictions de certains médecins, ces enfants ont généralement survécu. Par contre, dans plusieurs cas, les tribunaux ordonnèrent l’administration d’une transfusion à des enfants. Dans douze de ces cas, on rendit les enfants morts à leurs parents éplorés.
Les articles publiés dans les revues juridiques, médicales et autres, de même que dans les publications de la Société Watch Tower, ont donné de bons résultats. En 1960 et en 1963, on a également pu faire appel, avec succès, auprès de la Cour suprême de l’Ontario pour confirmer aux Témoins de Jéhovah le droit de décider des soins médicaux qu’on pouvait leur donner, à eux-mêmes et à leurs enfants.
UNE MISE AU POINT
En 1970, le corps médical demanda au gouvernement du Manitoba de lui conférer le pouvoir de faire d’office des transfusions sanguines aux enfants des Témoins de Jéhovah. On nous donna l’occasion de comparaître devant un comité législatif pour démontrer les dangers de ce projet de loi, du point de vue de la famille et du bon exercice de la médecine. Deux membres de ce comité avaient récemment perdu quelqu’un de leur famille après une transfusion sanguine. Frère Glen How parla trois heures devant un comité législatif attentif et plein de respect, après quoi le projet de loi en question fut retiré. Ce fut l’occasion d’un bon témoignage et d’une publicité très favorable.
À la suite d’un accident de voiture, en mars 1976, un médecin légiste rapporta par erreur qu’une sœur était morte parce qu’elle n’avait pas reçu de transfusion sanguine, mais cela permit d’entamer le dialogue avec le médecin légiste de l’Ontario, homme droit et impartial. Après cela, frère Glen How reçut l’autorisation de s’adresser à tous les médecins légistes de l’Ontario réunis. Il fut bien accueilli,
et un texte imprimé fut remis à tous les assistants. Tout cela a désamorcé ce genre de situation où une fausse idée est présentée au public et où les Témoins de Jéhovah sont à la merci des préjugés d’un médecin légiste et des recommandations défavorables résultant de son enquête. Il règne maintenant un climat de plus grande objectivité.De même, à la suite d’un article de journal suivant lequel le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario avait l’intention d’adopter de nouveaux principes à propos des Témoins de Jéhovah, une longue déclaration fut faite devant le Collège en notre nom. Elle demandait que l’on continue à respecter les droits du malade et soulignait la nécessité pour le médecin de traiter ‘l’homme total’ et de s’informer de la possibilité de choisir un traitement efficace sans transfusion sanguine. Cette déclaration semble avoir calmé les esprits. Néanmoins, une vigilance continue semble s’imposer à cet égard au Canada.
UNE PUBLICITÉ FAVORABLE À L’ÉCHELLE NATIONALE
En 1977, une émission d’une demi-heure du programme “Access”, diffusé sur le réseau de télévision anglais de Radio-Canada, fut principalement consacrée aux informations trompeuses relatives à la question des transfusions sanguines. Des millions de téléspectateurs dans tout le Canada purent voir trois personnes, bien vivantes, qui, d’après les prédictions auraient dû être “mortes”. Leurs parents ou elles-mêmes expliquèrent ce qui les avait incités à agir ainsi pour se maintenir en vie tout en gardant une bonne conscience chrétienne.
On interrogea ensuite deux médecins, dont le docteur C. Baker, de Toronto. Lorsqu’on lui demanda combien d’opérations à cœur ouvert il avait faites sans apport sanguin, le docteur Baker répondit:
“Jusqu’ici, nous en avons fait 37 en tout (...).”
“Sans transfusion sanguine?”
“C’est exact.”
“Est-ce que c’est moins bien comme traitement?”
“C’est mieux comme traitement (...). Les infirmières du service des soins intensifs nous disent souvent: ‘Pourquoi ne faites-vous pas toutes vos opérations sans transfusion sanguine? Elles réussissent si bien.’”
“Il ne s’agit donc pas d’un mode d’opération spécial pour les Témoins de Jéhovah, mais d’une méthode applicable à n’importe quel patient?”
“C’est un mode d’opération que nous adoptons maintenant le plus possible pour d’autres personnes aussi, surtout à la suite de l’expérience que nous avons acquise avec les Témoins de Jéhovah. Nous
avons appris beaucoup de choses, notamment qu’un opéré à qui on n’a pas donné du sang se rétablit mieux.”On interrogea également le docteur Denton Cooley, célèbre chirurgien de l’Institut de cardiologie du Texas, aux États-Unis. Il dit qu’en 20 ans il avait fait plus de 600 opérations à cœur ouvert sans transfusions sanguines.
Le public fut impressionné, cela va sans dire. De nombreux Témoins mentionnent que certaines personnes ont complètement changé leur point de vue après avoir vu le programme. Certaines écrivirent même à Radio-Canada pour lui exprimer leur reconnaissance d’avoir contribué à supprimer des préjugés au moyen de ce programme si équitable. Le réalisateur du programme déclara plus tard qu’en raison de “l’avalanche de lettres reçues à la suite de notre programme sur les Témoins de Jéhovah”, il était dans l’impossibilité de répondre à toutes, et il ajouta: “Je dirais que votre programme compte parmi les plus grands succès de la saison.”
Tout récemment, la brochure Les Témoins de Jéhovah et la question du sang (1977) fut distribuée dans tout le pays. Des exemplaires en furent remis à tous les médecins administrateurs d’hôpitaux, avocats, juges et infirmières. Cet appel raisonnable suscita des réactions favorables. De nombreux médecins, administrateurs et avocats demandèrent aux Témoins qui les visitaient de rester plus longtemps pour discuter plus en détail du contenu de la brochure. Il semble que la distribution de cette publication nous donnera un appui encore plus ferme dans notre lutte continue pour le respect du caractère sacré du sang.
On pourrait s’étendre davantage sur ce sujet, mais nous nous bornerons à terminer cette partie de l’histoire du vrai culte au Canada en exprimant notre reconnaissance aux nombreux Témoins, y compris les anciens, les parents et les autres membres de la famille des malades, qui ont adopté une attitude ferme en dépit de nombreux obstacles pour obéir à la loi divine sur le sang. Souvent, des personnes gravement malades ou même mourantes ont dû résister aux sarcasmes et aux pressions pendant des heures, ou endurer les insultes et les menaces des infirmières, des médecins, des juges, etc. De nombreuses heures de veille ont été nécessaires pour réconforter et soutenir ceux qui avaient adopté cette attitude ou pour faire d’innombrables appels téléphoniques, afin de trouver un médecin favorablement disposé qui accepte de prendre en charge une personne gravement malade. D’autres frères dans la foi ont accepté de loger, de nourrir et de s’occuper des parents du malade. Nous n’oublions pas non plus la foi des parents qui ont vécu des heures terribles après qu’on leur eut pris leur enfant de force pour lui faire une transfusion sanguine. Il faudrait tout un livre pour décrire tout cela.
Il ne serait pas juste non plus d’oublier les manifestations de bonté, de sollicitude et d’amour de la part de nombreux médecins, Actes 15:28, 29.
infirmières et juges dans les cas de transfusion sanguine au Canada. Leur compassion ne passera pas inaperçue. Et quoi qu’il arrive, les Témoins de Jéhovah au Canada continueront à demander à leur Père céleste de les aider dans leur détermination de ‘s’abstenir du sang’. —UNE ÉPOQUE D’AFFERMISSEMENT
Reprenons maintenant notre récit dans les années 1960. En 1961 eut lieu au Canada l’assemblée de district “Les adorateurs unis”, avec ses instructions précieuses. À l’assemblée de Vancouver, il y eut 28 952 assistants aux sessions en anglais et 606 baptisés. Pendant cette assemblée, Les Saintes Écritures — Traduction du monde nouveau furent présentées en anglais, à la grande joie des congressistes. À l’assemblée en français qui eut lieu à Ottawa, on enregistra 2 242 assistants et 37 baptisés.
En mars 1961, notre cher frère Clayton Morrell mourut, ce qui entraîna encore un changement au Béthel. Eugene Rosam, qui était alors instructeur à l’École du ministère du Royaume, fut nommé surveillant de la filiale, fonction qu’il devait remplir pendant quatre ans environ.
Dans ses efforts pour continuer à affermir les congrégations, frère Rosam réunit tous les surveillants de circonscription et de district dans sept villes du Canada. Un septième district fut formé. On mit également sur pied un programme ayant pour but d’augmenter l’activité des proclamateurs du Royaume de façon à leur permettre d’acquérir plus d’expérience, de faire plus de progrès et de mieux développer leurs capacités. Les résultats furent bons et, avec le temps, on constata que l’organisation devenait plus forte au Canada.
Au cours des années, certains frères qui assumaient des responsabilités dans nos assemblées n’étaient pas des surveillants dans leur congrégation ou avaient cessé de l’être. Cette situation fut changée. Tous ceux qui servirent dans ces fonctions aux 11 assemblées de district “Les ministres courageux” organisées en 1962 (assistance totale: 44 711 personnes) et à toutes les assemblées de circonscription et autres assemblées ultérieures devaient être des surveillants dans leur congrégation locale. Il convenait donc de ne confier les postes de surveillance qu’à des hommes qui remplissaient les conditions requises par les Écritures.
LA RELIGION “QUI S’ACCROÎT LE PLUS RAPIDEMENT”
Grâce à Jéhovah, nos efforts furent couronnés de succès. C’est lui qui donnait l’accroissement. Nous le savions, mais d’autres le remarquaient
aussi. Par exemple, le Star de Windsor publia un article de Maurice Jefferies, d’Ottawa, sur les données du recensement au Canada (effectué en 1961). Sous le titre “Les Témoins de Jéhovah connaissent l’accroissement le plus rapide”, l’article précisait: “NOTE SUR LE RECENSEMENT: Le dernier rapport sur les confessions religieuses montre que les Témoins de Jéhovah constituent la religion dont le nombre des membres s’accroît le plus vite au Canada. Il a doublé en dix ans, passant de 34 596 à 68 018.”Ce chiffre élevé résultait de la méthode adoptée par les agents recenseurs pour compter les “membres d’une Église”. Comme pour les autres groupements religieux, ils comptaient aussi les enfants et ceux qui étudiaient la Bible avec les Témoins de Jéhovah. Néanmoins, il était évident que Jéhovah bénissait notre œuvre.
Bien entendu, nous avions toujours des ennemis religieux. En 1963, des poursuites furent intentées à trois prêtres catholiques récalcitrants qui refusaient d’accepter les jugements de la Cour suprême assurant la liberté de parole et de culte au Québec. Un de ces prêtres fut condamné pour voies de fait, et les deux autres affaires furent renvoyées en appel.
LA VISITE DES TERRITOIRES ÉLOIGNÉS
Nous avions connu un bel accroissement et un excellent développement spirituel mais, vers 1965, nous avions toujours “beaucoup de travail dans l’œuvre du Seigneur”. (I Cor. 15:58.) En 1964, on fit des efforts pour atteindre certains habitants des coins les plus reculés de notre territoire. Nous avons envoyé de nombreuses lettres et 2 930 imprimés aux Esquimaux dans le Grand Nord, ce qui donna des résultats encourageants. Il fut possible également de visiter en avion certains villages indiens isolés dans le nord du Manitoba. On s’efforça aussi d’atteindre la population des possessions françaises au large de la côte est du Canada, les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon. Certains chrétiens qui s’y rendaient en touristes purent y donner un témoignage occasionnel, apportant ainsi de la joie à des personnes bien disposées. Ils continuèrent à leur écrire, afin de maintenir leur intérêt pour la vérité.
Cette œuvre dans les territoires éloignés continue toujours. Tantôt en avion, tantôt en canoë, des frères ont visité ces régions septentrionales ces dernières années. Certains ont mis leur avion à la disposition de pionniers pour prêcher dans ces territoires, et les résultats ont été exceptionnels. Des centaines et des centaines de publications ont été distribuées, et des études bibliques ont été conduites par correspondance. Zélés et décidés, les frères ont donné le témoignage aux Indiens, aux Esquimaux, aux trappeurs et aux autres habitants de ces régions.
Après de nombreuses tentatives pour établir notre œuvre à Saint-Pierre-et-Miquelon, en 1975 la filiale française de la Société a pu y envoyer un couple de pionniers spéciaux. Ceux-ci ont travaillé diligemment et fidèlement dans un territoire difficile, mais Jéhovah les a bénis. En comptant ce couple, il y a maintenant cinq proclamateurs du Royaume, et les réunions s’y tiennent régulièrement.
À propos des régions éloignées, pendant l’année de service 1965 il fut décidé de transférer le Territoire du Yukon, qui fait pourtant partie du Canada, sous la surveillance de la filiale de la Société en Alaska. Les voies d’accès et la situation géographique du Yukon justifient cette décision, le bureau de l’Alaska étant mieux à même de s’occuper de l’œuvre de prédication du Royaume dans ce territoire.
Au début de 1965, pour raison de santé, Eugene Rosam dut quitter le Béthel de Toronto pour servir à nouveau les congrégations à l’extérieur. Leo Greenlees fut rappelé de Brooklyn pour s’occuper de la filiale. Il assuma ses fonctions en mars 1965, mais en octobre de la même année, Kenneth Little revint de Brooklyn, où il avait suivi une formation spéciale, pour devenir le nouveau surveillant de filiale pour le Canada.
EXCELLENTS PROGRÈS AU QUÉBEC
Ceux qui étaient prêts à faire des sacrifices pour donner le témoignage dans les territoires éloignés manifestaient un très bon état d’esprit. Mais on avait aussi besoin de proclamateurs ailleurs, et les chrétiens canadiens n’hésitèrent pas à répondre à l’appel. En 1968, de nombreux proclamateurs et des familles entières répondirent à un appel lancé dans Notre ministère du Royaume (édition canadienne) et par les surveillants de district, appel qui demandait que des frères s’installent au Québec pour aider à y proclamer la “bonne nouvelle” en français.
Depuis plusieurs années, la Société organisait de temps en temps à Montréal un cours de français à l’intention des pionniers spéciaux affectés au Québec. Nos frères avaient conçu un manuel unique en son genre pour apprendre en très peu de temps à s’exprimer en français. Ce manuel se concentrait tout particulièrement sur les expressions dont un Témoin a besoin dans son œuvre d’évangélisation et pour participer aux réunions. Il racontait différentes journées de la vie d’une personne et donnait le vocabulaire nécessaire pour vivre ces journées. L’instructeur réalisait avec les élèves de petites scènes qui illustraient les incidents de la vie quotidienne et il leur demandait de s’exprimer en français. Cette méthode permettait de mettre davantage l’accent sur la langue orale que sur la langue écrite, et d’apprendre aux élèves à penser en français. Chaque jour,
huit heures étaient consacrées à l’étude de la langue, et la durée des cours variait entre quatre et sept semaines. Plus de mille personnes apprirent ainsi les rudiments du français en vue de leur important travail à accomplir au Québec. On comptait dans leurs rangs de nombreux Témoins qui s’étaient installés spécialement dans cette province pour y annoncer la “bonne nouvelle”.Cet excellent esprit d’entraide mérite d’être souligné. L’Annuaire 1970 (angl.) disait: “Nous nous réjouissons particulièrement des progrès de l’œuvre dans la province francophone de Québec.” En effet, il y avait désormais beaucoup plus de Témoins pour y travailler. Et cela, avec quels résultats? Dans l’ensemble, la population réagissait favorablement. Citons l’exemple de quelqu’un qui lut le livre La vérité qui conduit à la vie éternelle en français en trois heures et qui, sa lecture terminée, déclara que c’était bien la vérité.
L’ASSEMBLÉE “PAIX SUR LA TERRE”
À la fin des années 1960, nous avons eu l’occasion d’assister à un festin spirituel exceptionnel, l’assemblée internationale “Paix sur la terre” au terrain de l’Exposition nationale du Pacifique, à Vancouver. Avec ses 65 609 assistants, ce congrès établissait un nouveau record pour le Canada. L’Annuaire 1970 (angl.) rapporta:
“Quelqu’un adressa une lettre au Sun, journal de Vancouver, qui en publia les lignes suivantes: ‘J’habite Vancouver depuis plus de quarante ans et je demeure non loin du terrain de l’Exposition. Je tiens à féliciter les Témoins de Jéhovah pour leur assemblée internationale. Cet endroit n’a encore jamais accueilli une foule aussi propre et aussi pleine d’égards.’ (...)
“À Vancouver, il y avait des délégués de trente pays. Un cameraman qui filmait la foule et les nombreuses activités du stade pour la télévision déclara: ‘Ce qui m’a le plus frappé, c’est que je n’ai pas été bousculé une seule fois dans cette foule de plus de 50 000 personnes!”
LES PUBLICATIONS CHRÉTIENNES SONT APPRÉCIÉES
Au cours des années, de nombreuses personnes ont exprimé leur vive reconnaissance pour nos publications basées sur la Bible. Certaines de celles-ci, par exemple le livre La vérité qui conduit à la vie éternelle, ont beaucoup contribué aux bons résultats de l’œuvre de prédication au Canada. Citons le livre L’homme est-il le produit de l’évolution ou de la création? Ce livre a eu un effet considérable au Canada. Un an après sa parution, plus de 64 000 exemplaires
avaient été envoyés aux congrégations au Canada. Ce livre intéressait vraiment le public. Certains surveillants de circonscription ou pionniers en plaçaient parfois deux ou même trois à la même porte! Un prêtre catholique et deux jeunes hommes vinrent à la filiale de Toronto pour s’en procurer quelques exemplaires. Voyant le livre exposé, le prêtre s’écria: “Voilà le livre en question!” Il paraît qu’un évêque d’Afrique du Sud en visite lui avait vivement conseillé de se procurer cette publication qui prête à réflexion.Mentionnons également les remarques suivantes faites vers la fin des années 1960 par le rédacteur en chef d’un journal de Trenton, en Ontario. Au sujet de nos publications qui lui parviennent, il déclara:
“Parmi la pléthore intéressante de publications, certaines me viennent régulièrement de la Société Watchtower, mieux connue sous le nom de Témoins de Jéhovah. D’après les critères humains, cette organisation commande le respect. Ses périodiques sont bien écrits, et leurs articles sont appuyés par des recherches sérieuses. Abstraction faite de leurs théories religieuses particulières, avec lesquelles tout le monde n’est pas d’accord, ces publications traitent de tous les aspects de la vie et du monde que Dieu nous a donnés. Les Témoins de Jéhovah défendent les principes bibliques et inculquent à leurs adhérents des notions d’honneur, de pureté, de civisme et de bonne conduite qu’un monde déchiré par les déformations d’une prétendue liberté ferait bien de lire.
“Les idées présentées dans ces écrits sur les mœurs et la morale sont inattaquables. Il existe évidemment d’autres bonnes publications, et nous sommes heureux que les idées nouvelles et anciennes que l’on nous présente sous forme imprimée soient saines pour la plupart. Cependant, les publications des Témoins de Jéhovah sont de loin supérieures aux autres, car non seulement les questions débattues sont abordées de façon saine, mais elles sont traitées en profondeur. Les arguments avancés en faveur des règles de conduite recommandées sont toujours solides. Il y a là matière à réflexion pour les auteurs qui ont moins de succès sous ce rapport. De nos jours, on rejette les règles arbitraires. Voilà au moins des écrits qui nous fournissent de bonnes raisons de suivre telle ou telle ligne de conduite. Ils sont encourageants et réconfortants dans un monde obsédé par la sexualité et qui en a souillé ses publications.”
L’EXPANSION DANS LES ANNÉES 1970
Au seuil des années 1970, et réfléchissant aux 90 années précédentes au cours desquelles la lumière a brillé au Canada, nous étions comblés de joie, mais aussi dans l’expectative. Quels seraient les résultats de la prédication du Royaume pendant tout un siècle? L’expansion devait continuer au cours des années 1970.
Pendant l’année de service 1970, le nombre des proclamateurs atteignit sept maximums, dont six consécutivement. En décembre 1969, le Canada avait dépassé les 45 000 proclamateurs pour la première fois. Le maximum pour l’année de service fut de 46 808 proclamateurs en mai 1970, chiffre très encourageant.
Et au cours des années suivantes? Eh bien, ce qui s’est passé depuis 1970 nous prouve que Jéhovah achèvera son œuvre avec succès dans la génération actuelle. Notez l’accroissement que révèlent les chiffres du tableau suivant:
L’accroissement est évident, n’est-ce pas? Oui, et un excellent indice des possibilités d’accroissement qui existent encore nous est donné par l’assistance au Mémorial. En 1978, le nombre des assistants au Mémorial était presque deux fois plus élevé que celui des proclamateurs au Canada.
Où trouvons-nous toutes ces personnes? Principalement parmi les petites gens au cœur humble qui réagissent favorablement aux enseignements de la Parole de Dieu. Bon nombre de ces personnes ont été déçues par les fausses religions qui déprécient la Bible et ses principes justes. Elles reconnaissent que la chrétienté n’offre chaque semaine qu’un rituel religieux vide de sens, mais pas la moindre nourriture spirituelle ni aucune espérance. Dans un rapport sur le Canada, l’Annuaire 1971 en donnait un bon exemple:
“Une femme a entendu à la radio qu’une assemblée de circonscription était prévue à quelque cent vingt kilomètres de chez elle. Elle n’avait jamais eu de contact avec les Témoins de Jéhovah auparavant, mais cela ne l’a pas empêchée de faire le voyage en autocar pour se rendre à l’assemblée. Là, elle s’est procuré un exemplaire du livre Vérité et une Bible, et a rencontré un pionnier qui a accepté de la visiter. Lorsque le frère pionnier s’est présenté pour commencer l’étude biblique, il a appris que le maître de maison avait distribué vingt-six Bibles à des voisins qui, comme lui, n’étaient pas satisfaits de l’Église. Après la première étude biblique, l’homme a cessé de fumer; après la seconde, il a détruit toutes les images qui se trouvaient dans la maison et s’est abonné aux périodiques La Tour de
Garde et Réveillez-vous! Après la troisième étude, il a demandé ce qu’il fallait faire pour assister aux réunions de la congrégation, alors que la Salle du Royaume se trouvait à quarante kilomètres de chez lui. Et moins de cinq mois plus tard, cet homme, sa femme et leur fils aîné, âgé de quinze ans, ont débuté dans le service du champ. Ils ont déjà réussi à intéresser à la vérité un autre couple et ses douze enfants, qui étudient et assistent aux réunions de la congrégation bien qu’ils habitent à soixante-quinze kilomètres de la salle. Le premier couple a offert du bois pour la construction d’une Salle du Royaume dans les environs et il progresse dans la voie de la vérité.”LORSQUE LA TÉLÉVISION HONORE DIEU
Ces dernières années, la télévision nous a donné plusieurs fois la possibilité de diffuser la “bonne nouvelle” au Canada. Considérez par exemple ce qui s’est passé en 1966, comme le relatait l’Annuaire 1967 (angl.): “Le grand événement de cette année fut la merveilleuse série d’assemblées ‘Fils de Dieu, fils de la liberté’, qui apporta aux Témoins de Jéhovah d’abondantes joies et bénédictions. Fait remarquable, un réseau de quarante-sept stations de télévision affiliées à la Société Radio-Canada diffusa à travers le pays une excellente émission sur les Témoins de Jéhovah. Un autre réseau de onze stations diffusa un programme analogue d’une demi-heure. Les Canadiens eurent ainsi l’occasion de mieux connaître notre organisation.”
Nous avons mentionné plus haut la diffusion, récemment, d’un programme de télévision très favorable sur la question des transfusions sanguines. Mais en plus de cela, pour honorer Jéhovah d’une autre manière encore, nous nous sommes servis de la télévision par câble. Les sociétés de télévision par câble qui assurent le service d’antenne dans diverses localités sont tenues par la loi d’exploiter aussi une station par câble et de présenter des programmes préparés localement. Il y a cinq ans environ, après que nous avons diffusé certains programmes pour annoncer une assemblée de district, la direction d’une station de télévision par câble à Toronto fut tellement impressionnée par leur qualité qu’elle nous en demanda d’autres.
Ainsi fut inaugurée une série de programmes dont la diffusion continue encore. Il y a eu jusqu’à 54 stations qui les retransmettaient dans tout le Canada. Jusqu’à présent, environ 200 programmes ont été réalisés, sur des thèmes comme “L’éducation des enfants procure de la joie”, “L’alcoolisme — un fléau international”, “Le rôle de la femme dans la religion”, “Notre merveilleux univers” et “Les différences entre les races — ont-elles de l’importance?” La plupart de ces programmes ont été réalisés en anglais, mais certains l’ont été en français et en italien. Ces programmes en couleurs d’une demi-heure comportent des diapositives et des séquences de films pour
illustrer la discussion du genre “table ronde”. De nombreuses stations diffusent ces programmes chaque semaine.Ces présentations nous permettent d’atteindre des personnes qui demeurent dans des immeubles dont l’accès est interdit. D’autres, qui hésiteraient à parler aux Témoins de Jéhovah sous l’œil de leurs voisins, regardent les programmes dans l’intimité de leur foyer. Aussi, lorsque nous prêchons dans ces endroits-là, certaines personnes nous ouvrent leur porte parce que nous avons pu leur ouvrir l’esprit. Il y a des gens qui reconnaissent que nos programmes les ont incités à réfléchir. De plus, un grand nombre de non-croyants mariés à des Témoins et qui, auparavant, n’écoutaient pas leur conjoint, regardent maintenant régulièrement ces programmes, ce qui leur permet d’apprendre quelles sont vraiment les croyances des Témoins de Jéhovah. Certains d’entre eux ont changé d’attitude envers leur conjoint et ne l’empêchent plus d’assister aux réunions et aux assemblées ni d’enseigner les vérités bibliques à leurs enfants.
EXPANSION DE LA FILIALE
L’expansion de l’activité consistant à prêcher le Royaume et à faire des disciples au Canada nous a obligés à agrandir les installations de la filiale. C’est donc avec grande joie que nous avons reçu du Collège central des Témoins de Jéhovah l’autorisation de construire une annexe à notre imprimerie, comportant un étage sur rez-de-chaussée, et une nouvelle Salle du Royaume, sur le flanc nord du Béthel de Toronto. C’était là une preuve tangible de l’expansion qui résultait de la bénédiction de Jéhovah. L’imprimerie en particulier manquait d’espace. Les travaux commencèrent en novembre 1974 et furent achevés en juin 1975. Le 28 juin, plus de 2 000 personnes vinrent visiter l’immeuble. Le lendemain, frère N. Knorr prononça le discours d’inauguration.
La nouvelle Salle du Royaume, avec ses couleurs chaudes et son estrade réalisée avec beaucoup de goût, sert de lieu de réunion pour trois congrégations de langues anglaise, italienne et espagnole. Et c’est vraiment avec plaisir que nous avons vu s’agrandir l’imprimerie de 1 500 mètres carrés, ce qui semblait énorme à l’époque. Mais au bout d’un an, nous utilisions déjà tout cet espace, et il nous en aurait fallu davantage. Au Béthel même, nous commencions à nous sentir à l’étroit. Que faire alors?
Le manque d’espace, la pollution croissante par le bruit et les gaz d’échappement de l’autoroute à 14 voies qui longe notre terrain, tout militait en faveur d’un déménagement. Du reste, il nous était impossible d’agrandir nos locaux à notre adresse actuelle. Une fois de plus, nous nous sommes réjouis lorsque en février 1977 nous avons reçu l’autorisation de déménager les bureaux de la filiale de la Société à Toronto.
Immédiatement, les recherches commencèrent. Après six mois de recherches et plusieurs autres mois de pourparlers, nous avons trouvé une propriété, en pleine campagne, dans une nouvelle commune du nom de Halton Hills, en Ontario. Nous avons fait notre demande de permis de construire en novembre 1977.
Nous vivions tous dans l’attente des événements. De nombreux travailleurs bénévoles attendaient impatiemment le commencement des travaux. Les gros travaux de construction devaient être confiés à des entrepreneurs professionnels, mais les travaux intérieurs et de finition allaient être réalisés avec l’aide du peuple de Jéhovah.
Sans vouloir attacher trop d’importance à des constructions matérielles, il va sans dire que les nouvelles installations qui abriteront la filiale nous rappelleront à tous la bonté de Jéhovah. En effet, c’est grâce à lui qu’a été obtenu le grand accroissement du nombre des proclamateurs du Royaume au Canada, et c’est cette croissance qui a nécessité la construction de locaux plus spacieux.
UNE COLLABORATION ÉTROITE ET FIDÈLE
Il y a aujourd’hui au Canada 66 surveillants de circonscription. Sept anciens remplissent les fonctions de surveillant de district. Pendant l’année de service 1978, il y avait 1 671 pionniers ordinaires et 286 pionniers spéciaux.
Le moment semble approprié ici de vous parler un peu des travailleurs à plein temps à la filiale de la Société au Canada. La famille du Béthel de Toronto se compose actuellement de 105 hommes et femmes. Leur moyenne d’âge est de 37 ans, car il y a beaucoup de jeunes. Ils ont passé en moyenne 14 ans dans le service à plein temps. Mais pour avoir une idée plus complète de l’âge et de la maturité de ce groupe, considérez ceci: Il y a deux membres de plus de 80 ans, quatre de plus de 70 ans et 11 de plus de 60 ans. Jack Nathan a passé 54 ans dans diverses branches du service à plein temps. Laura French a à son actif 51 ans de service, Janet MacRae 48 ans et Ralph Brodie 45 ans. Vingt-sept autres ont passé au moins 20 ans dans le service à plein temps. Sept membres de la famille du Béthel au Canada disent être des disciples oints de Jésus Christ. De toute évidence, il existe, chez cette famille de travailleurs à plein temps, une stabilité spirituelle remarquable.
Dans tout le pays, de nombreux proclamateurs de congrégation dévoués continuent à proclamer la “bonne nouvelle” avec zèle. Quel merveilleux privilège pour nous tous de collaborer fidèlement dans le service, pour l’honneur de notre Père céleste!
LES ASSEMBLÉES INTERNATIONALES “LA FOI VICTORIEUSE”
“La foi victorieuse”. Quel titre approprié pour les assemblées internationales de 1978! Près de 100 années d’activité chrétienne au Canada nous avaient abondamment prouvé que Jéhovah nous avait bénis en nous donnant une foi capable de vaincre le monde. Et pour en donner une preuve visible, quel meilleur endroit que Montréal, dans la province de Québec? Imaginez un peu le chemin parcouru: Au temps de la haine ardente, nous nous heurtions à une opposition officielle décidée à nous anéantir. Aujourd’hui, nous bénéficions de la coopération exemplaire des autorités municipales et provinciales. Il fut un temps où il n’y avait qu’une poignée de Témoins dans cette ville. Aujourd’hui, nous y tenons un congrès international de 80 008 personnes. Les temps ont vraiment changé.
Quelle joie de voir le célèbre Stade olympique plein de congressistes anglophones, le Vélodrome bondé de délégués francophones, et les autres bâtiments du Parc olympique abriter un grand nombre d’autres Témoins! Des sessions eurent lieu en sept langues.
Bien entendu, le programme était excellent. Mais ce qui restera surtout gravé dans notre mémoire, c’est l’activité du vendredi matin au cours de laquelle les congressistes visitèrent les Montréalais chez eux. Partout, on voyait des Témoins de Jéhovah prêcher de maison en maison ou au coin des rues, offrant les publications spécialement préparées pour la circonstance et invitant les passants à assister au congrès. Les journaux disaient vrai lorsqu’ils mentionnaient qu’il y avait des Témoins partout. Un speaker de la radio conseilla aux gens d’écouter les Témoins et d’accepter leurs publications. Il ajouta: ‘Si vous acceptez leurs publications, n’allez pas croire que vous leur faites une faveur. Ce sont eux qui vous en font une en vous apportant ces renseignements.’ Il y eut une réaction extraordinaire de la part des Montréalais, qui s’avérèrent accueillants et attentifs. Beaucoup de personnes d’un certain âge ont dû mesurer mentalement le chemin parcouru depuis quelques années. Alors qu’ils se faisaient attaquer par des foules en colère et mettre en prison, les Témoins de Jéhovah étaient maintenant les bienvenus dans cette ville où ils pouvaient pratiquer leur culte en toute liberté. La foi chrétienne avait triomphé des pires obstacles!
Les Témoins allaient-ils profiter indûment de ce changement de circonstances? Non. La police de Montréal, par exemple, fit remarquer que les Témoins étaient le groupe ‘le plus discipliné’ qu’elle ait jamais vu. Cette discipline se remarquait dans la bonne organisation
du camp de caravanes et de tentes de 45 hectares que nos frères avaient aménagé non loin du Stade olympique et où 15 000 congressistes logèrent pendant les cinq jours.C’est ainsi qu’un grand témoignage fut donné dans cette ville. La télévision et la radio consacrèrent plus de 25 heures au congrès qui fit aussi l’objet d’environ 500 articles dans les journaux.
D’autres congrès internationaux eurent lieu à Winnipeg, au Manitoba, à Vancouver, en Colombie-Britannique, et à Edmonton, en Alberta. L’assistance totale pour les quatre congrès était de 140 590 personnes. Il y eut 1 226 nouveaux chrétiens qui se firent baptiser pour symboliser l’offrande de leur personne à Dieu.
JÉHOVAH BÉNIT L’ENDURANCE DANS LES ŒUVRES JUSTES
La faible lueur spirituelle qui était apparue au Canada au début des années 1880 est devenue aujourd’hui aussi brillante que la lumière en plein midi. Il n’y avait alors qu’un ou deux proclamateurs, mais ils sont aujourd’hui près de 65 000 à prêcher avec zèle la “bonne nouvelle”. Par exemple, entre le début de l’interdiction de l’œuvre en 1940 et l’année 1977, le nombre des Témoins actifs a augmenté de plus de 902 pour cent!
Mais il est une chose bien plus importante que les statistiques: la condition spirituelle des chrétiens canadiens. Ils ont enduré des difficultés, survécu à des interdictions et supporté l’hostilité publique. Ils ne recevaient guère d’appui lorsqu’ils défendaient la liberté de parole. Mais aujourd’hui, les gens bien informés admettent que ce sont les Témoins de Jéhovah qui ont brisé l’emprise de la dictature du clergé au Québec et que leur lutte sur le plan juridique a eu pour effet de sauvegarder les libertés de tous les Canadiens. Comme ce fut le cas pour les premiers chrétiens, les Témoins de Jéhovah au Canada poursuivent leur œuvre avec confiance, malgré les objections du monde, forts dans la foi et sachant que “la main de Jéhovah” est avec eux. — Actes 11:21.
Dans ce récit, il n’a pas été possible, bien entendu, de mentionner tous ceux qui ont consacré leurs forces et leur vie à l’œuvre de prédication du Royaume au Canada. Le temps nous manquerait si nous voulions citer tant d’exemples d’abnégation et de dévouement. En plus de tous les travailleurs qu’il y a encore au Canada, 755 Canadiens ont été envoyés à l’étranger comme missionnaires dont 198 servent toujours à l’étranger, et 130 sont dans le service à plein
temps au Canada. En tant que missionnaires, ils ont eu de grands privilèges.Les actes des Témoins de Jéhovah du Canada au cours des 100 dernières années constituent vraiment un récit réjouissant, abondant en exemples de foi. Mais que nous réserve l’avenir? Les perspectives sont excellentes. Il y avait au Canada 120 060 assistants au Mémorial en 1978. Il semble donc évident que, grâce à la bénédiction de Jéhovah, les rangs des proclamateurs du Royaume continueront à grossir dans notre pays. — I Cor. 3:6-9.
Nous pouvons donc dire avec joie que l’œuvre de témoignage est en train de s’accomplir au Canada avant la fin du présent système de choses. Nous continuons à faire des disciples, en obéissance aux paroles de Jésus (Mat. 24:14; 28:19, 20). Les chrétiens canadiens ont fait briller leur lumière, et des dizaines de milliers de personnes ont réagi favorablement. — Mat. 5:14-16.
Souhaitons que, lorsqu’on écrira le dernier chapitre de la proclamation de la “bonne nouvelle” sur toute la terre, Jéhovah puisse juger que les travailleurs de la partie du champ appelée aujourd’hui le Canada auront bien servi et méritent ainsi son approbation et sa faveur! En tant que proclamateurs du Royaume, nous pouvons déjà attester la véracité de ces paroles: “La bénédiction de Jéhovah — voilà ce qui enrichit, et il n’ajoute aucune douleur avec elle.” — Prov. 10:22.
[Tableau, page 165]
Année Max. procl. Cong. Ass. au Mémorial
1970 46 808 788 93 503
1971 49 204 790 97 518
1972 50 166 797 100 755
1973 52 773 863 104 707
1974 58 452 919 110 847
1975 60 759 979 114 744
1976 62 880 1 011 120 533
1977 63 090 1 033 120 958
1978 61 836 1 035 120 060
[Carte, page 77]
(Voir la publication)
CANADA
TERRITOIRES DU NORD-OUEST
Inuvik
Mackenzi (fleuve)
YUKON
COLOMBIE-BRITANNIQUE
Vancouver
Victoria
Océan Pacifique
ALBERTA
Calgary
SASKATCHEWAN
Saskatoon
Régina
MANITOBA
Winnipeg
Baie d’Hudson
ONTARIO
OTTAWA
New Liskeard
Hamilton
Toronto
QUÉBEC
Québec
Montréal
TERRE-NEUVE
NOUVELLE-ÉCOSSE
Truro
Halifax
Océan Atlantique
[Illustration, page 171]
Au début, on annonça la “bonne nouvelle”
— par auto-maison
— par bateau
— par “cambuse”