Portugal
Portugal
“Où la terre finit et où la mer commence.” C’est ainsi qu’on a décrit le Portugal, le plus occidental des pays d’Europe. Celui-ci doit son nom à la ville de Porto, qui fut tout d’abord un centre commercial romain sur l’embouchure du Douro. C’était un Portus Cale ou port d’escale pour les navires.
Ce pays situé à l’extrémité occidentale de la péninsule Ibérique compte neuf millions et demi d’habitants qui parlent le portugais, langue romane qui ressemble à l’espagnol par sa structure et son vocabulaire, mais qui en diffère totalement par sa phonétique et sa prononciation.
S’il n’occupe pas même un cinquième de la superficie de l’Espagne, sa voisine de l’est et du nord, le Portugal n’en offre pas moins aux regards des paysages d’une rare diversité.Dans la campagne méridionale se dressent de magnifiques vergers, des plantations d’amandiers, de figuiers et de caroubiers. En se dirigeant vers le nord, on traverse les champs de blé et les riches pâturages du Ribatejo, région d’élevage, puis des vignes et des oliviers, ainsi que des pins parasols et des eucalyptus. Au centre du pays, la neige habille parfois la chaîne montagneuse de la province de Beira, ajoutant une touche de beauté au pays. Quant au nord, il se distingue par les vignes aménagées en terrasses pittoresques qui couvrent la vallée encaissée du Douro, berceau du mondialement célèbre porto.
LA BONNE NOUVELLE ATTEINT LE PORTUGAL
Le Portugal doit sa renommée mondiale à ses marins. La nation eut ses heures de gloire au XVe siècle, lorsque ses navigateurs et ses explorateurs découvrirent le Brésil, des îles telles que Madère, les Açores, le Cap-Vert, São Tomé, une bonne partie de l’Afrique ainsi que l’une des routes des Indes. En revanche, le Portugal dut attendre 1925 pour découvrir la signification de Matthieu 24:14. Cette année-là, George Young, un Canadien qui servait au Brésil, se rendit au Portugal pour faire progresser les intérêts du Royaume. Il prit des dispositions pour que J. Rutherford, président de la Société Watch Tower, vienne prononcer le 13 mai 1925 à Lisbonne le discours public intitulé “Comment vivre éternellement sur la terre”.
En dépit de l’hostilité des prêtres catholiques, cette conférence fut un grand succès. Plus de deux mille personnes remplirent le gymnase d’un lycée, tandis que
deux mille autres furent renvoyées faute de place. Francisco Ullan, témoin oculaire de l’événement, raconte: “Le clergé tenta vainement d’interrompre cette réunion. Il y eut bien quelques hurlements et quelques chaises brisées, mais, fort heureusement, frère Rutherford réussit à dominer la situation.”À la fin du discours, on invita tous ceux qui s’intéressaient au message à communiquer leur adresse aux placeurs. Plusieurs assistants agirent ainsi, y compris Francisco Ullan et Angel de Castro. Oui, ils acceptèrent la vérité et furent au nombre des premiers serviteurs de Jéhovah fidèles dans ce pays. Cette réunion mémorable marqua le début de l’œuvre du Royaume au Portugal.
Les événements qui se succédèrent rapidement démontrèrent à l’évidence que Jéhovah dirigeait son peuple par son esprit. Effectivement, la même année, La Tour de Garde fut éditée en portugais à Lisbonne. Le premier numéro parut en septembre 1925. Il portait en première page le nom de George Young, directeur de la publication. À la fin de l’année, on ouvrit un bureau au 95, Rua Santa Justa, à Lisbonne, pour s’occuper des abonnements et de la correspondance. Cette même année, La Tour de Garde était déjà très connue. En effet, on enregistra des abonnements pour des lieux aussi éloignés que les Açores.
SOUS LA RÉPUBLIQUE
Comment tout cela pouvait-il se produire dans un pays catholique, traditionnellement conservateur entre tous? C’est que la situation politique était particulièrement propice à la liberté. L’assassinat du roi Charles Ier et du prince héritier Luís Filipe, qui eut lieu le 1er février 1908, porta un rude coup à la monarchie. Enfin, le
5 octobre 1910, une révolution républicaine mit fin au règne de Manuel II, abolissant la monarchie portugaise pour instaurer la liberté d’expression et de la presse.Le pouvoir de l’Église commença à faiblir, tandis que les gens exprimaient ouvertement leur opposition au clergé. Ainsi, le peuple manifesta dans les rues de Lisbonne pour demander au gouvernement de suspendre l’ambassadeur portugais à la Cité du Vatican. Les journaux reproduisaient les discours empreints d’anticléricalisme des dirigeants républicains. L’armée n’eut plus le droit de prendre part aux observances religieuses, et les jours des “saints” ne furent plus chômés. Par ailleurs, les serments religieux perdirent leur valeur juridique. Le gouvernement supprima l’instruction religieuse dans les écoles et l’enseignement de la théologie dans les universités. En avril 1911, la Loi de la Séparation définit les statuts de l’Église catholique romaine abaissée. Les pères de la République considéraient le trône et l’Église comme des institutions de peu de valeur.
À cette époque, un petit groupe de Lisbonnins s’intéressaient à la vérité. Toutefois, il fallut attendre 1926 pour que l’on tienne régulièrement des réunions d’étude de la Bible. À partir d’avril 1926, La Tour de Garde eut Virgílio Ferguson pour directeur de la publication. En effet, George Young n’était resté que très peu de temps pour organiser l’œuvre. Frère Ferguson vint donc, en compagnie de sa femme, s’occuper des intérêts du Royaume au Portugal.
Le discours spécial prononcé en mai 1926 à l’Alexandra Palace de Londres par J. Rutherford fut largement diffusé à Lisbonne. Ce discours comprenait une résolution intitulée “Un témoignage aux dirigeants du monde”, résolution qui fut traduite en portugais,
imprimée sous la forme d’un grand tract et diffusée gratuitement.SOUS UN TOUT AUTRE GOUVERNEMENT
Le 28 mai 1926, sans un seul coup de feu, un putsch met fin à la République avec l’appui des factions conservatrices et de la hiérarchie catholique. Cet événement entraîne l’instauration d’une dictature militaire nommée O Estado Novo (L’État nouveau). Le docteur António de Oliveira Salazar, ministre des Finances, est la personnalité dominante du nouveau régime. En 1932, il deviendra président du Conseil (premier ministre).
L’établissement, en 1926, de la dictature de l’État nouveau entrava considérablement la liberté d’expression. À partir de novembre 1926, chaque numéro de La Tour de Garde fut soumis à la censure du gouvernement. D’ailleurs, la couverture portait la mention suivante: “Approuvé par le Comité de censure.”
Voici ce qu’on lisait dans le premier récit de l’Annuaire, paru en 1927: “Au Portugal, l’œuvre est dirigée de Lisbonne, par la filiale de la Société. On compte à présent 450 abonnés à l’édition portugaise de LA TOUR DE GARDE. Au cours de l’année, 764 livres et brochures ont été placés. Quantité de gens ont écrit pour poser des questions sur la vérité, et l’on a donné suite à leurs lettres. Voici ce qu’a déclaré frère Ferguson, directeur local:
“‘Je pense qu’un grand témoignage doit encore être présenté aux gens de ce pays, et tout porte à croire qu’ils vont maintenant prêter attention au message de la vérité et qu’un nombre croissant s’y intéressera.’” Il ne se trompait pas!
Ces paroles mêmes étaient précisément en train de
s’accomplir sur l’île Flores, dans l’archipel des Açores. À cette époque, en effet, mourut un lecteur de La Tour de Garde. En nettoyant son bureau, son fils et sa fille découvrirent d’anciens numéros de ce périodique. Le fils, Abílio Carlos Flores, s’y intéressa tout particulièrement. Il raconte: “La Tour de Garde expliquait la Bible avec tant de clarté que j’écrivis immédiatement à Virgílio Ferguson pour m’abonner.” Les graines de vérité portèrent du fruit, car jusqu’à sa mort, qui survint en 1974, frère Flores fut un serviteur actif de Jéhovah.En mai 1927, La Tour de Garde était imprimée en portugais à Berne, en Suisse, et diffusée sous le contrôle étouffant de la censure. L’État nouveau surveillait la presse de plus en plus près et restreignait les libertés du peuple. Toutefois, cela n’empêcha pas notre œuvre de progresser. En 1927, les frères distribuèrent en tout 3 920 livres et brochures, ainsi que 61 000 exemplaires de La Tour de Garde.
LES PREMIERS BAPTÊMES
L’été 1927 vit se produire un événement très réjouissant. Il s’agissait de la première cérémonie de baptême. Parmi les quatorze frères baptisés figuraient deux Espagnols, savoir Francisco Ullan et Angel de Castro. Brûlant de zèle pour leur foi toute nouvelle, ceux-ci se rendirent dans leur pays natal afin d’y répandre le message du Royaume. Le 15 août 1927, ils arrivèrent dans leurs villages respectifs. Francisco Ullan ne tarda pas à déclencher l’opposition du clergé espagnol, et, au bout de quinze jours, on le somma de quitter le pays. De son côté, Angel de Castro fut traité à peu près de la même manière. Il déclencha un véritable tumulte en distribuant des tracts bibliques. Frère Castro envoya
un tract au prêtre du village. Ce dernier répondit à celui qui le lui avait apporté: “Dites-lui ceci: La seule chose que je regrette, c’est que l’Inquisition espagnole n’existe plus, autrement je l’aurais liquidé.”UNE AIDE VENUE DE L’ÉTRANGER
Le 4 janvier 1929, João Feliciano revint des États-Unis au Portugal, dans l’intention d’y propager la bonne nouvelle qu’il avait apprise. Il prit contact avec frère Ferguson pour organiser des classes d’étude biblique dans un autre quartier de Lisbonne. Cet homme, qui distribuait des publications bibliques de maison en maison avec beaucoup de zèle, a aidé de nombreuses personnes. On le surnommait d’ailleurs “l’homme à la corbeille”, parce qu’il utilisait une grande corbeille à fruits pour transporter les publications. Il resta un fidèle serviteur de Jéhovah jusqu’en 1961, date de sa mort.
En novembre 1931, on adopta le nom de “Témoins de Jéhovah”. La brochure Luz e Verdade (Lumière et vérité) fut l’objet d’une diffusion phénoménale. On en distribua 260 000 exemplaires. Cette brochure reproduisait intégralement le discours de frère Rutherford intitulé “Le Royaume, espérance du monde”.
LE PREMIER COLPORTEUR
À cette époque-là, Manuel da Silva Jordão, qui était colporteur, voyageait d’un bout à l’autre du pays, rendant visite à tous les abonnés et prêchant la bonne nouvelle. Puisque bon nombre d’abonnés qui habitaient le nord du pays avaient manifesté de l’intérêt pour le message, il se rendit à Braga. Un jour, dans la rue, un homme courut à sa rencontre et lui dit: “Bonjour, monsieur. Je suis très heureux de vous rencontrer. Je suis venu vous voir pour que vous m’aidiez à connaître la Bible.” Frère Jordão lui demanda
s’il possédait quelques notions de base sur le sujet. “En effet, répondit-il; je suis abonné à La Tour de Garde et je corresponds avec un certain Virgílio Ferguson, de Lisbonne. D’ailleurs, depuis que vous êtes arrivé en ville, je n’ai pas cessé de vous chercher.”Chez cet homme bien disposé de Braga, un petit groupe de sept personnes en moyenne commença à étudier la Bible. Dans cette ville surnommée “le Vatican du Portugal”, l’opposition de l’Église catholique ne tarda pas à faire son apparition. Le clergé le dénonça à la police, qui vint le réveiller à minuit pour le jeter en prison.
Lorsqu’il eut été relâché, le lendemain, un prêtre de la ville demanda au greffier principal du tribunal d’organiser un débat avec lui sur la plus grande place publique. Tous deux pensaient démontrer ainsi que Jordão n’était qu’un faux chrétien dépourvu d’érudition. Une cinquantaine de personnes s’assemblèrent pour ce “débat impromptu”. Le prêtre arriva et une discussion animée s’engagea au sujet de l’identité des chrétiens et de leur œuvre. À la fin, le greffier se tourna vers le prêtre et lui lança: “Je croyais que vous étiez venu défendre l’Église catholique, mais vous n’avez pas même été capable de montrer un seul texte de la Sainte Bible!” Ceux qui étaient témoins de l’événement racontent que le prêtre, embarrassé, ne s’est pas attardé.
FERMETURE DE LA FILIALE
Vers la fin de 1933, frère et sœur Ferguson quittèrent le Portugal, et la publication de la brochure Luz e Verdade fut suspendue. Il fut désormais impossible d’entrer en contact avec la filiale pour résoudre les problèmes pratiques. Celle-ci fut fermée, et plus aucune nourriture spirituelle n’était produite à l’intérieur du pays. Fait significatif, le Portugal adopta la même année une nouvelle constitution. Celle-ci élargissait les pouvoirs de l’État, lui donnait une autorité absolue et lui permettait de contrôler totalement la presse.
Puis, en mai 1940, le Portugal signa un concordat avec le Vatican, concordat qui octroyait à l’Église catholique romaine de nombreux avantages. Ainsi, on rétablit l’instruction religieuse dans les écoles publiques, et les biens que l’Église possédait avant 1910 lui furent restitués.
DES JOURS DIFFICILES S’ANNONCENT
Ce fut maintenant au tour de notre colporteur, Manuel da Silva Jordão, de s’occuper de l’œuvre. Au cours de la période critique qui s’ensuivit, celui-ci s’arrangea pour entretenir des relations avec quelques frères d’Espagne. Par ailleurs, Herbert Gabler rendit plusieurs fois visite aux frères du Portugal. Vers 1938, frère O. Roselli, citoyen américain, visita le Portugal et encouragea les frères à prêcher de maison en maison en se servant de ce qu’on appelait alors la carte de témoignage. Mais avec le temps, la prédication organisée s’arrêta, cédant la place à une période d’inactivité.
UN NOUVEAU DÉPART
En 1940, Angel de Castro rendit visite à un ami lisbonnin, avec lequel il parlait souvent de la Bible. Eliseu Garrido, le fils de cet ami, qui avait alors environ quatorze ans, commença à s’intéresser à ces conversations. Frère Castro lui donna plusieurs vieux numéros de La Tour de Garde pour qu’il les lise. Plus tard, il lui montra un livre manuscrit qu’il avait lui-même rédigé en compilant des textes bibliques relatifs à diverses doctrines. Cet ouvrage de référence de trois cents pages plut beaucoup au jeune garçon, qui se mit à le recopier. En même temps, Eliseu lut aussi le livre qui reproduisait les images du Photo-Drame de la Création. Tout cela laissa sur son esprit une empreinte indélébile. Dès qu’il eut fini de recopier le livre de frère Castro, il lui demanda: “N’y a-t-il pas à Lisbonne d’autres personnes qui croient à tout cela?”
Quelques jours plus tard, Manuel da Silva Jordão se rendit chez lui pour l’aider davantage. Frère Jordão présenta Eliseu à Joaquim Carvalho, un marchand de chaussures chez qui les Étudiants de la Bible avaient coutume de se réunir.
Joaquim Carvalho avait connu la vérité au début des années trente. Toutes les publications qui étaient disponibles lorsque la filiale fut fermée, en 1933, avaient été stockées dans son magasin de chaussures.
Les études devinrent de plus en plus fréquentes. Toutefois, les assistants avaient tendance à s’écarter des publications pour avancer leurs interprétations personnelles. Finalement, le jeune Garrido leur dit sans ambages: “Pourquoi ne pas s’en tenir au texte des périodiques au lieu de rajouter d’autres idées? Après tout, la Société ne nous procure-t-elle pas tout ce dont nous avons besoin? Nous avons déjà pu constater que nous pouvions avoir une entière confiance dans l’organisation. À mon avis, nous devrions nous contenter de poser les questions, de prendre les textes bibliques cités et de lire ensuite chacun des paragraphes de l’article, et non pas seulement ceux qui nous plaisent.”
Pendant cette période de réveil, les frères commencèrent à se servir du Photo-Drame de la Création. Étant donné que Joaquim Carvalho entretenait des relations étroites avec certains groupuscules protestants, les adventistes en particulier, ceux-ci apprirent l’existence du Photo-Drame et demandèrent aux frères de venir le projeter à leur lieu de réunion. Quelques-uns désiraient aussi se servir de nos publications pour étudier la Bible. Un groupe adventiste est même allé jusqu’à enlever la première page des livres de la Société, page qui portait le nom de l’éditeur, pour y apposer l’horaire et l’adresse de ses propres réunions!
Il devint évident que Joaquim Carvalho désirait rester lié aux dirigeants de ces groupes protestants. Leurs fréquentes rencontres révélèrent que ceux-ci caressaient résolument l’espoir de fusionner avec les Étudiants de la Bible. Quand cela devint manifeste, ces
derniers comprirent qu’ils devaient se séparer plus distinctement des autres s’ils voulaient jouir de la bénédiction de Jéhovah. Aussi rompirent-ils tout lien avec eux.LA PRÉDICATION PREND DE L’IMPORTANCE
Jusque-là, la prédication était essentiellement une distribution de tracts. Toutefois, en 1944, les frères éprouvaient le désir sincère de se dépenser davantage dans le ministère. Ils ressentaient le besoin de suivre de plus près les publications traitant de l’organisation de l’œuvre. Grâce à leur correspondance avec les frères du Brésil, ils recevaient régulièrement l’Informateur, qui stimula encore l’intérêt qu’ils portaient au service du champ.
Aussi les frères comprirent-ils qu’il était temps d’aller de maison en maison pour présenter à chaque personne la carte de témoignage imprimée. Lorsque leur interlocuteur avait fini de lire la carte, ils lui proposaient des publications.
Ainsi, le dimanche, les frères prirent l’habitude d’aller prêcher la bonne nouvelle deux par deux à l’aide de la carte de témoignage. Toutefois, ils ne remplissaient pas encore de rapports sur leur ministère.
À cette époque-là, notre petit groupe se réjouit grandement d’apprendre qu’on pouvait également se servir du matériel de sonorisation, du phonographe en particulier. Des frères du Brésil envoyèrent un phonographe et dix enregistrements en portugais aux frères du Portugal. Ceux-ci étaient ravis de cette nouvelle méthode pour présenter le témoignage. Les disques exposaient la vérité sur des sujets tels que le purgatoire, l’âme, les clés du Royaume, etc.
Tout le groupe décida courageusement de commencer à se servir de ce matériel. Eliseu Garrido se rappelle encore l’une de ses premières sorties: “Nous nous sommes rendus dans un petit patio entouré d’une poignée de logements, dans un quartier de Lisbonne appelé Campollide, raconte-t-il. Arrivés là, nous avons monté le phonographe et invité les habitants à venir écouter un message biblique intéressant dans le patio. Une trentaine de personnes se rassemblèrent et prêtèrent une oreille attentive. À la fin, nous avons eu le plaisir de leur proposer des publications bibliques.”
LA PRÉDICATION ENCOURAGE LES FRÈRES À SE FRÉQUENTER
À partir de cette époque, les frères éprouvèrent de plus en plus le besoin de se fréquenter étroitement. Une quinzaine de personnes bien disposées assistèrent bientôt à l’étude biblique du dimanche. Pour faire face à cet accroissement, les frères décidèrent de louer une petite pièce qui servirait exclusivement de lieu de réunion. Au cours des réunions, on étudiait principalement La Tour de Garde. Petit à petit, les frères comprirent qu’il leur fallait se rapprocher de l’organisation mondiale que constitue le peuple de Jéhovah.
Le mois d’octobre 1946 fut marqué par une décision historique. Joaquim Carvalho et Eliseu Garrido conclurent en effet qu’il était temps d’entrer en contact avec le siège de la Société, à Brooklyn. Dans leur lettre, ils demandèrent à la Société d’envoyer un missionnaire au Portugal.
D’AUTRES GRAINES DE VÉRITÉ COMMENCENT À GERMER
À l’insu des Étudiants de la Bible qui habitaient Lisbonne, l’œuvre progressait également dans d’autres régions. D’ailleurs, à Almada, ville qui se situe juste de l’autre côté du Tage, Delmira Mariana dos Santos Figueiredo avait été particulièrement ébranlée par le décès de son fils de seize ans. Voici ce dont elle se souvient: “Je passais toute la journée au cimetière, à penser à mon fils, à me demander où il se trouvait et pourquoi Dieu avait permis sa mort. C’est alors que je me suis rappelé ce que mon père m’avait enseigné au sujet de la Bible. En effet, il avait fait la connaissance de Virgílio Ferguson en 1927, et il avait assisté aux réunions.”
Un jour, en rentrant du cimetière, Delmira chercha les vieux livres que son père avait conservés. Elle s’aperçut bien vite qu’elle venait de découvrir la vérité qui émane de la Parole de Dieu, et, en 1945, elle écrivit à Brooklyn. Quand elle reçut la réponse, des larmes de joie ruisselaient sur ses joues. Elle était enfin entrée en contact avec le peuple de Dieu.
La lettre avait été écrite par John Perry, membre de la famille du Béthel de Brooklyn, qui était né aux Açores. Celui-ci lui conseilla d’acheter une Bible, si elle n’en possédait pas, et de lire les textes dont il lui indiquait les références, textes relatifs à l’espérance de la résurrection et au nouveau système juste promis par
Dieu. Par l’entremise de John Perry, la Société commença à envoyer de petits colis de livres et de brochures à Delmira, en l’invitant à les distribuer gratuitement. Et c’est ce qu’elle fit. Pour territoire principal, elle choisit le cimetière, parce que c’est là qu’elle s’était mise à penser à Dieu. Ses amis et ses voisins crurent que la mort de son fils lui avait fait perdre la tête. En effet, plusieurs fois par semaine, elle se rendait toute seule au cimetière pour essayer de communiquer aux personnes endeuillées l’espoir de la résurrection. Les gens se mirent à la surnommer “la folle”, mais cela ne refroidit pas le moins du monde son zèle pour la prédication de la bonne nouvelle. Au contraire, plus elle prêchait, plus sa foi devenait forte.“Un jour, au cimetière, raconte Delmira, j’ai remarqué une femme qui s’était agenouillée devant une tombe plusieurs jours de suite. J’ai commencé à lui parler, et j’ai appris qu’elle pleurait la mort de sa fille âgée de vingt-deux ans. En entendant parler de la résurrection et du paradis que Dieu se propose d’établir, cette femme, nommée Deolinda Pinto Costa, était tellement désireuse d’en savoir plus qu’elle m’invita à venir chez elle pour entreprendre une étude biblique hebdomadaire. Peu après, nous nous rendions toutes les deux au cimetière, non plus pour pleurer, mais pour communiquer à autrui notre espérance merveilleuse.”
L’amour de la vérité poussa également ces femmes zélées à organiser une étude de la Bible pour les gens qui s’intéressaient au message. Ainsi, tous les mercredis après-midi, une demi-douzaine de femmes ou davantage encore se rassemblaient chez Deolinda Pinto Costa pour étudier la Bible à l’aide des publications de la Société. Grâce à la correspondance qu’elles entretenaient avec John Perry, de Brooklyn, ces femmes
bien disposées surent qu’un noyau de frères se réunissait à Lisbonne.Parallèlement, les frères de Lisbonne apprirent que des personnes d’Almada s’intéressaient à la vérité. Les uns et les autres s’arrangèrent donc pour se rencontrer. Quand cela se fit, les frères furent fort surpris de trouver un groupe de huit personnes, toutes des femmes, qui tenaient une étude biblique hebdomadaire. On organisa aussitôt un programme de réunions régulières chez Deolinda, réunions auxquelles les frères de Lisbonne assisteraient. Quelle joie de voir les sœurs qui formèrent le groupe d’Almada garder leur intégrité et prêcher activement le Royaume, aujourd’hui encore!
LA VÉRITÉ SE PROPAGE VERS LE NORD
Des événements dignes d’intérêt se produisirent
aussi dans le Trás-os-Montes, la province la plus reculée du Portugal. En novembre 1945, Purificação de Jesus Barbosa, une femme qui avait connu la vérité aux États-Unis, retourna dans son pays natal pour prêcher la bonne nouvelle à sa famille. Son village, nommé Lousa, se situe à plus de 400 kilomètres de Lisbonne. Bien que la plupart des gens de sa parenté aient rejeté la vérité et lui aient témoigné du mépris, sa cousine et son cousin, quoique jeunes, manifestèrent de l’intérêt pour son message. Purificação fit don d’une Bible et de plusieurs brochures à Maria Cordeiro, qui avait vingt-deux ans. Quant à son jeune cousin de treize ans, António Manuel Cordeiro, il était ravi d’avoir une Bible entre les mains pour la première fois de sa vie. Il se rappelle encore la première conversation qu’il eut avec sa cousine au sujet de la Bible. Laissons-le nous la raconter:“Elle m’a lu le premier chapitre de la Genèse, puis elle m’a montré le nom du Dieu qui avait créé notre belle terre et tout ce qui s’y trouve. C’était la première fois que j’entendais parler du nom de Dieu, Jéhovah. À partir de ce jour-là, j’ai commencé à cultiver une reconnaissance et un amour profonds pour mon Grand Créateur.”
Tous les jours, pendant plus d’un an, le frère et la sœur étaient impatients de rentrer des champs. Dès que leur père sortait pour jouer et pour boire, ils s’esquivaient afin d’aller augmenter leur connaissance de la Bible en compagnie de leur cousine. Grâce à leurs conversations et à la lecture des livres Jéhovah, Salut et Enfants, ils purent apprendre nombre de vérités fondamentales de la Parole de Dieu. Quand un peu plus d’une année se fut écoulée, leur cousine s’en retourna aux États-Unis. Toutefois, ses efforts avaient été bénis, car elle laissait derrière elle son cousin, sa
cousine et une autre femme qui s’intéressaient maintenant à la vérité.UNE PRISE DE POSITION
Maria et António Cordeiro, qui étaient totalement isolés, ne tardèrent pas à voir leur intégrité mise à l’épreuve. Ils cessèrent tous deux de fréquenter l’Église catholique. Quand le prêtre rendit visite à leurs parents, il se moqua d’António et de Maria parce que ceux-ci refusaient d’embrasser la croix. Lors des fêtes religieuses, pour éviter les problèmes, tous deux quittaient la maison de bon matin, se réfugiaient dans les bois et passaient toute la journée à lire la Bible et les publications de la Société.
Deux ans plus tard, le jeune garçon, alors âgé de quinze ans, tomba malade et fut admis dans un hôpital catholique. Avant son opération, il refusa de se confesser et de recevoir la “bénédiction”, à la fureur du prêtre et des religieuses. Quand le père d’António vint le chercher pour le ramener à la maison, on lui fit part de l’attitude de son fils. Arrivé chez lui, il ordonna à António d’aller à confesse et de demander pardon pour tous ses “actes méchants”. Sous la contrainte, António y alla. Mais, une fois seul à seul avec le prêtre, il expliqua que, s’il avait refusé, c’était parce que, d’après la Bible, Dieu est l’unique personne qui a le pouvoir de pardonner les péchés, par l’entremise de Jésus Christ. Ce n’était pas là la confession attendue! Au contraire, devant le prêtre, notre adolescent défendit brillamment sa foi fondée sur les Écritures.
Le jeune António savait qu’il était tenu de rester sous le toit familial jusqu’à sa majorité. Dès lors, comme ses parents le souhaitaient, il allait travailler tous les jours dans les champs. Cependant, le soir, il étudiait la Bible avec sa sœur. De plus, il saisissait toutes les occasions pour parler à autrui des choses passionnantes qu’il Jacq. 1:4.
apprenait. Il est profondément encourageant de constater que ‘l’endurance a fait œuvre complète’ chez lui. En effet, des années plus tard, il figurera au nombre des premiers pionniers ordinaires du pays. Par la suite, António se mariera et servira comme surveillant de circonscription pendant de nombreuses années. Aujourd’hui encore, il fait œuvre de pionnier. —L’APPRENTISSAGE DE L’ORGANISATION
Sans l’ombre d’un doute, le moment était venu de mieux organiser l’œuvre du Royaume. En réponse à la lettre de frères Carvalho et Garrido, la Société envoya deux de ses représentants au Portugal en mai 1947. Le 5 mai, frères F. Franz et H. Covington furent accueillis à l’aéroport de Lisbonne par un groupe de huit frères radieux. Pour les quelques chrétiens voués à Jéhovah qui lui étaient restés fidèles pendant des années, c’était un événement inoubliable. Ils furent enchantés d’entendre frère Franz prononcer un discours en portugais sur le thème “Instructions sur l’organisation de l’œuvre”. Lors de cette visite, on nomma provisoirement quatre serviteurs pour s’occuper de la première congrégation de Lisbonne.
Au cours de cette visite, frères Covington, Franz, Carvalho et Garrido tentèrent d’obtenir la reconnaissance légale de l’œuvre et l’autorisation de faire venir des missionnaires au Portugal. Toutefois, leur requête fut catégoriquement rejetée.
La même année fut marquée d’un autre jalon: il s’agissait de la première visite des frères Knorr et Henschel au Portugal, le 13 décembre. Ils étaient accompagnés de John Cooke, diplômé de la huitième classe de Galaad, l’École biblique de la Société Watchtower; ce frère devait servir en Espagne et au Portugal. À cause du mauvais temps, leur avion avait pris un retard considérable, de sorte que leur visite, qui
était censée durer deux jours, fut réduite à quelques heures. Ils arrivèrent en effet à minuit et repartirent à huit heures et quart, après avoir passé toute la nuit à répondre aux questions qui leur furent posées et à parler des progrès de l’œuvre du Royaume.Il devint tout à fait évident que le petit groupe de Témoins portugais n’était pas totalement uni. Parmi ceux qui étaient présents à cette réunion, quelques-uns trahirent leur obstination en critiquant l’organisation et jusqu’à la vérité. En raison de ce mauvais état d’esprit, on n’enregistrait que de médiocres progrès. Seul le groupe de sœurs d’Almada constituait un sujet d’espoir.
Cependant, les frères se virent administrer la discipline dont ils avaient besoin, et l’œuvre progressa. Ils reçurent du Brésil un plus grand nombre d’exemplaires de l’Informateur, ainsi que la brochure Instructions sur l’organisation de l’œuvre, ce qui leur fut très utile. Avant l’arrivée de frère Cooke, le groupe de Lisbonne envoya à Brooklyn son premier rapport de service portant sur quatre proclamateurs. On leur avait donné des consignes pour qu’ils commencent à prêcher méthodiquement de porte en porte. Dans la première rue où ils donnèrent le témoignage de cette façon, ils placèrent 400 brochures, ce qui leur permit d’entreprendre de nombreuses études bibliques.
LE COMMENCEMENT DE L’ŒUVRE MISSIONNAIRE
Lorsque, venant d’Espagne, frère Cooke arriva à Lisbonne en août 1948, pour la seconde fois, il fut accueilli par un groupe de proclamateurs désireux d’apprendre les méthodes théocratiques de prédication. Néanmoins, un ou deux vieux routiers se faisaient tirer l’oreille pour s’aligner sur les instructions de l’organisation. La première réunion de notre missionnaire fut assez folklorique. Frère Cooke raconte: “J’ai
présenté mon premier discours au groupe d’Almada en espagnol, et il fut traduit en portugais par Eliseu Garrido. À la fin de la réunion, frère Carvalho, qui était président, se leva devant l’auditoire et, d’un air cagot, tendit les mains pour bénir la congrégation. Au fil des années, Carvalho avait gardé nombre de coutumes et d’idées propres à Babylone la Grande, et l’on ne savait pas trop comment le prendre.”Le 27 septembre 1948, on procéda à la première cérémonie de baptême après l’arrivée de frère Cooke. Huit personnes furent baptisées, dont Eliseu Garrido. Sur ce nombre, on comptait six sœurs, toutes d’Almada. En revanche, le groupe de Lisbonne semblait “réservé aux hommes”. Les sœurs n’y étaient pas les bienvenues. De plus, en raison des nouvelles méthodes d’organisation de l’œuvre, quelques-uns des frères les plus anciens de Lisbonne ne soutenaient pas le nouveau
missionnaire avec un enthousiasme délirant. Le nombre d’assistants aux réunions diminua. En revanche, les sœurs d’Almada, elles, étaient tout à fait disposées à prendre part au ministère de maison en maison. Frère Cooke rapporte ce qui suit:“Je n’oublierai jamais l’une de mes premières sorties dans le ministère du champ en compagnie des sœurs d’Almada. En effet, elles se dirigèrent toutes les six vers une seule et même porte. Imaginez-vous six femmes devant une porte pendant que l’une d’entre elles prononce un sermon! Mais heureusement, peu à peu les choses commencèrent à prendre tournure et à progresser.”
L’arrivée d’un missionnaire s’avéra une bénédiction. Celui-ci aida les frères à laisser de côté leurs opinions personnelles et à s’aligner sur les instructions de la Société. On organisa l’École du ministère théocratique et la réunion de service. Delmira Mariana dos Santos Figueiredo raconte: “Après l’arrivée de frère Cooke nous nous sommes mis à étudier La Tour de Garde par questions et réponses. Jusque-là, c’était un frère qui lisait l’article, tandis que nous, nous écoutions.”
L’heure était aussi venue de ranger nos cartes de témoignage imprimées pour préparer de brefs sermons afin de les présenter de porte en porte. Frère Cooke aida également les frères à proposer La Tour de Garde et des tracts au cours de cette activité.
LA PREMIÈRE SALLE DU ROYAUME
À la suite de l’arrivée du missionnaire, on avait loué une petite pièce sur la Praça Ilha do Faial pour y tenir les réunions. À mesure que l’œuvre prospérait, il devint évident que nous aurions besoin de locaux plus vastes.
En 1949, on tint la réunion du Mémorial dans une maison d’Almada. Les frères étaient émerveillés de voir 116 personnes y assister. Puisque tous ne pouvaient
s’entasser dans la salle de séjour, les assistants en excédent allèrent se blottir les uns contre les autres dans la pièce voisine. Quant à l’orateur, il se tint dans l’embrasure de la porte et s’adressa aux deux auditoires en même temps. Peu après, le groupe de Lisbonne dénicha un bel appartement au rez-de-chaussée du 20, Rua Passos Manuel, pour y tenir ses réunions. Cet appartement fut donc, officieusement, la première Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah au Portugal. Pendant de nombreuses années, ce fut aussi le centre du culte pur.Afin de ne pas attirer l’attention des autres locataires, les frères ne chantaient pas dans leur salle de Lisbonne. Toutefois, quand ils franchissaient le fleuve pour rendre visite au groupe d’Almada, groupe qui se réunissait dans une demeure privée, ils ne se privaient pas de chanter à tue-tête.
PRISE DE CONTACT
De leur côté, les personnes isolées de Lousa, dans le Trás-os-Montes, avaient alors reçu l’adresse des frères de Lisbonne par la cousine des États-Unis. Maria Cordeiro, qui avait été battue à plusieurs reprises par les membres de sa famille, violemment hostiles à la vérité, écrivit: “Pourriez-vous nous envoyer quelqu’un pour nous aider et nous encourager?” John Cooke entreprit un voyage de 400 kilomètres pour ce faire. En fait, ce fut un épisode inoubliable qu’il nous relate en ces termes:
“Depuis la gare la plus proche, je dus gravir la montagne pendant trois heures pour atteindre le village de Lousa. Cette région s’appelle Trás-os-Montes, c’est-à-dire ‘derrière les montagnes’. Je me suis aperçu qu’elle portait bien son nom. Pour s’y rendre, pas de route, seulement des chemins cahoteux; pas de cars, pas de voitures, pas de médecin, pas de pharmacie ni de poste de police, pas même un seul téléphone. Les maisons étaient bâties en pierre, couvertes de tuiles grossières et dépourvues de cheminée. Les gens faisaient du feu à même le sol pour cuire leur nourriture, et la fumée s’échappait comme elle pouvait par les interstices du toit ou par la porte. Ils étaient très superstitieux, complètement annihilés par l’Église catholique.
“Il m’était très difficile de rendre visite à Maria Cordeiro ou à son frère António, en raison de l’opposition de leur famille. Je me suis donc arrangé pour loger chez la mère du Témoin des États-Unis qui avait introduit la vérité dans la région. Malgré tout, nous avons pu nous réunir quelques fois pour discuter de choses encourageantes. Pendant mon séjour, j’ai commencé à prêcher de maison en maison. Le prêtre ne tarda pas à prévenir ses ouailles contre moi. J’étais en
train de faire une nouvelle visite lorsque des voisins vinrent m’avertir qu’on parlait de mettre le feu à la demeure où je logeais. La famille chez qui je me trouvais confirma la nouvelle et me conjura de passer la nuit chez elle, parce qu’il était trop dangereux de rentrer à la maison dans l’obscurité. Le lendemain matin, la ville, en proie à une tension profonde, fourmillait de rumeurs.“Alors que j’étais encore chez ces gens bien disposés, le regedor (administrateur) de la ville vint me voir pour se renseigner sur mes activités. Lorsque je lui eus donné une courte explication, il repartit, satisfait. Puis ce fut le tour du prêtre. Toutefois, celui-ci n’entra pas dans la maison; aussi sommes-nous sortis dans la rue pour discuter. Avant que je m’en sois rendu compte, une grande foule s’était rassemblée pour écouter la conversation. Bien que jeune, le prêtre n’était pas fanatique. J’ai donc pu discuter avec lui sur un ton calme et amical. Pour se tirer de certaines questions doctrinales embarrassantes, il faisait souvent des citations latines, dans l’espoir d’impressionner son auditoire par son ‘grand savoir’. Il dut toutefois reconnaître qu’il ne possédait pas la Bible, et il m’a demandé si je pourrais lui en procurer une, sur quoi il a pris congé. Cet épisode apaisa les esprits. Ensuite, j’ai prononcé un discours impromptu et distribué de nombreux tracts, terminant ainsi pacifiquement mon séjour.”
L’ŒUVRE PROGRESSE EN DÉPIT DU SPIRITISME
On entreprit d’étudier la Bible avec une veuve qui écrivait des poèmes en français sous l’influence des démons. Elle se croyait inspirée par Victor Hugo, célèbre écrivain français défunt. Une étude détaillée de la résurrection l’aida à comprendre la vérité. Elle abandonna donc le spiritisme et se fit baptiser. Une
autre étude biblique fut conduite avec une femme spirite qui figurait parmi les plus célèbres médiums de Lisbonne. Cette femme dut mener un rude combat mental pour repousser l’influence des démons, mais elle finit par se faire baptiser à son tour.Sans doute à cause de ces deux cas, plusieurs spirites d’entre les plus éminents vinrent un jour à la Salle du Royaume dans le but d’engager un débat. Le missionnaire expliqua que les Témoins de Jéhovah ne s’intéressent pas aux débats publics. Les directeurs de ces groupes insistèrent, alléguant que la discussion serait privée et qu’ils souhaitaient avant tout connaître notre opinion sur certaines questions d’ordre religieux. Ils acceptèrent de se réunir à la Salle du Royaume et de baser la discussion sur la Bible.
Le soir prévu arriva: Une cinquantaine de personnes, appartenant au même groupe spirite, se présentèrent. Le porte-parole de chaque partie prit place sur l’estrade. La première question posée par le représentant des spirites était basée sur Matthieu 10:28. Il demanda: “Comment les Témoins de Jéhovah peuvent-ils croire que l’âme meurt, alors que la Bible dit expressément qu’elle ne meurt pas?” Sur un ton neutre, frère Cooke répondit que rien n’était plus facile. Si son interlocuteur avait seulement lu la fin du même verset, expliqua-t-il, il aurait remarqué qu’il est question de ‘craindre celui qui peut détruire et l’âme et le corps dans la Géhenne’. Sa réponse désarçonna totalement ce groupe d’intellectuels. Voyant qu’ils ne pouvaient soutenir une discussion fondée uniquement sur la Bible, ils demandèrent à frère Cooke de résumer nos croyances par un discours biblique. Un excellent témoignage s’ensuivit.
COMMENCEMENT DE L’ŒUVRE AUX AÇORES
Entre-temps, des événements importants se produisaient
aux Açores. À l’exception de Santa Maria, les neuf îles qui composent cet archipel sont des constructions volcaniques. Grâce aux sources chaudes, à l’abondance des précipitations et aux étés ensoleillés, il s’y trouve une végétation luxuriante, et en particulier une multitude d’arbres fruitiers: orangers, abricotiers, citronniers, bananiers et figuiers. En outre, les insulaires peuvent se procurer du poisson à volonté.Aux Açores, l’Église catholique régente la vie des gens depuis des siècles. De plus, tout le monde se connaît. C’est dans ce contexte-là que plusieurs hommes épris de justice ont démontré qu’ils aimaient sincèrement la Bible. En effet, de nombreuses années avant que la bonne nouvelle n’atteigne l’archipel, un incident marquant se produisit en 1902, sur l’île du Pico.
Six Açoréens pieux organisèrent les funérailles d’un garçon de cinq ans. Ils conduisirent la cérémonie en l’absence du prêtre catholique et chantèrent un cantique évangélique; leur audace leur attira les foudres du prêtre, qui les poursuivit en justice, les accusant d’offenser non seulement la religion du pays, mais encore Dieu en personne! Le procès fut porté devant la cour d’appel des Açores en 1903, puis parvint à la Cour suprême de Lisbonne, qui rendit une fin de non-recevoir par manque de preuves.
Avant que l’affaire soit portée devant les tribunaux, l’un de ces six hommes, nommé João Alves Pereira (John Perry), avait émigré aux États-Unis. Là, il entra en contact avec le peuple de Jéhovah et, comme nous l’avons déjà dit, il devint membre de la famille du Béthel de Brooklyn; il y resta d’ailleurs jusqu’à sa mort, qui survint en 1965. Au nombre des premières publications qu’il envoya à ses parents et amis figuraient les livres La Harpe de Dieu et Des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais.
Par la suite, les fils de deux autres hommes qui avaient assisté à ces funérailles en 1902 émigrèrent également aux États-Unis et connurent tous deux la vérité. L’un d’eux, nommé Isaac Ávila Fontes, envoya des publications à son père, José Silveira Fontes, qui les étudia tout seul et se mit à communiquer la bonne nouvelle à autrui. Enfin, en 1940, Aníbal Nunes, fils d’un autre homme qui avait participé à cet enterrement, fut contacté par les Témoins.
Remplis de zèle et résolus à aider leurs compatriotes, Aníbal et sa femme quittèrent les États-Unis en 1947 pour rentrer sur l’île du Pico. Parmi les premières personnes auxquelles ils parlèrent de la vérité se trouvait Maria Ávila Leal. Pendant qu’Aníbal lui donnait le témoignage, les cloches de l’église sonnèrent trois coups. En bonne catholique, elle expliqua qu’il lui fallait absolument réciter l’Avé Maria.
Frère Nunes lui demanda si elle savait qui était le Créateur de la terre. “Bien sûr, répondit-elle, c’est Dieu!” “En êtes-vous sûre?”, l’interrogea-t-il. Quand elle eut répondu par l’affirmative, il lui posa la question suivante: “Alors, où était sa mère quand il a fait la terre?” Aussitôt elle répondit: “Mais Dieu n’a pas de mère!” “Dans ce cas, déclara-t-il, que voulez-vous dire quand vous parlez de ‘Sainte Marie, mère de Dieu’? Pensez-vous à Dieu ou à Jésus, son Fils?” D’un seul coup, elle comprit toute l’énormité de la doctrine fallacieuse de la trinité. Elle conclut sur-le-champ que Jésus n’est pas Dieu, mais que Marie était, selon la chair, la mère de Jésus, qui, lui, n’est que le Fils de Dieu.
Une dizaine de jours seulement après son arrivée, frère Nunes avait persuadé beaucoup de gens d’écouter la vérité. Il organisa donc une réunion publique chez son frère. Quatre-vingt-deux personnes y assistèrent.
Beaucoup durent se tenir dehors, près de la porte ou des fenêtres, pour entendre le discours qui fut prononcé le soir, à la lueur d’une bougie. En raison de ce discours, mais aussi parce que Maria Ávila Leal avait cessé d’aller à l’église, la localité, qui ne comprenait que quelques centaines de familles, fut saisie d’une incroyable agitation. Les villages de l’île, dont la superficie est de 461 kilomètres carrés, n’étaient reliés que par des chemins pour les charrettes. Pourtant, la nouvelle que l’Église avait perdu l’un de ses membres les plus zélés se répandit comme une traînée de poudre.Le prêtre, rempli d’amertume, tenta désespérément d’insuffler la crainte au cœur de la jeune Maria. Il proféra toutes sortes de calomnies à son encontre. Ses voisins s’en prirent à elle, en se moquant d’elle et en l’insultant. Mais ce fut peine perdue. En effet, la vérité
issue de la Parole de Dieu était tombée sur un sol excellent. Maria devint donc une proclamatrice particulièrement intrépide et zélée, et elle servit pendant quelques années comme pionnier spécial.En 1949, le frère de Maria, qui avait vingt-trois ans, tenta de la dissuader de suivre sa nouvelle religion. Un jour, elle lui donna la brochure intitulée La religion récolte la tempête. Bien que rempli de préjugés au point de ne pas vouloir la toucher, il finit tout de même par l’accepter. De peur d’être surpris avec une publication des Témoins, il l’emporta dans une grotte, sur une colline voisine. Là, il la lut d’un bout à l’autre. Le message de la brochure eut un effet immédiat sur Manuel Ávila Leal. Il cessa de fréquenter l’Église catholique et assista aux réunions des Témoins. Il se rappelle encore très nettement avec quelle force le message de la brochure fit mouche. Il déclare:
“Ce sont les puissantes vérités bibliques, exposées avec tant de clarté et de hardiesse à l’encontre des fausses religions dans cette brochure inoubliable, qui m’ont convaincu de la vérité qui provient de la Parole de Dieu.”
À peu près à la même époque, José Silveira Fontes, l’un des six hommes qui avaient été traînés devant les tribunaux en 1902 pour avoir procédé à des funérailles sans le concours d’un prêtre, alla s’installer à São Miguel. C’est là la plus grande des neuf îles qui forment l’archipel. Il s’agissait autrefois de deux volcans séparés, qui ont vomi tant de lave et de cendres qu’ils ont fini par se rejoindre. Sur cette île couverte d’orchidées et de théiers, il parla à ses semblables de ce qu’il avait appris dans La Tour de Garde. Sa prédication occasionnelle à Ponta Delgada, chef-lieu de l’île, fit connaître la vérité aux quatre premiers Témoins autochtones. Maria Rosa et Maria Leite, deux sœurs qui faisaient partie de ce
groupe, proclament toujours avec zèle le nom de Jéhovah.Sur une autre île appelée Graciosa, un docker vit un tract tomber de la poche d’un de ses collègues. Il le ramassa et demanda la permission de le lire. L’autre ouvrier la lui accorda de bon cœur, en lui expliquant qu’un passager lui avait remis le tract en question, mais qu’il ne savait pas lire. Notre docker, nommé Manuel Moniz Bettencourt, lut ce tract, qui s’intitulait “Le monde nouveau”. Il écrivit à la Société pour en demander d’autres et se mit à les distribuer dans toute l’île, de sorte que les graines de vérité furent également disséminées dans l’île Graciosa. C’est ainsi qu’un nouveau Témoin commença à remplir son ministère.
L’ARRIVÉE DE NOUVEAUX MISSIONNAIRES
L’année 1950 marqua le début d’une ère nouvelle pour l’œuvre aux Açores. En effet, cette année-là, Paul Baker et Kenneth Williams, diplômés de Galaad, arrivèrent sur l’île du Pico. Dans cette île d’obédience catholique, conservatrice s’il en fut, l’œuvre se mit à progresser. Toutefois, sous la pression du clergé, le gouvernement expulsa les missionnaires. Malgré cela, ceux-ci avaient accompli un excellent travail, de sorte qu’on enregistra un maximum de vingt et un proclamateurs. À la suite d’une nouvelle demande, Paul Baker obtint un visa. Mais la police ne tarda pas à venir l’appréhender à sa pension, parce qu’il avait été accusé de prendre part à des activités communistes. On l’escorta jusqu’au premier bateau en partance pour Lisbonne, où il passa une semaine en prison. Sur quoi on retira ces accusations forgées de toutes pièces et on lui ordonna de quitter le pays.
Pendant ce temps, l’œuvre faisait des progrès réguliers au Portugal. Après avoir passé trois ans tout seul sur la péninsule Ibérique, John Cooke se réjouit de voir
Mervyn Passlow et Bernard Backhouse, deux autres missionnaires, le rejoindre en 1951.LA VISITE DE F. FRANZ EN 1951
À Lisbonne, c’est dans une activité fiévreuse qu’on attendait la nouvelle visite de frère F. Franz. Au terme d’une semaine chargée, une assemblée d’un jour se tint sous de grands arbres qui faisaient office de parasols. On compta quatre-vingt-dix assistants, et onze personnes furent baptisées. À l’aurore de l’œuvre au Portugal, les visites fréquentes des membres du Collège central ont aidé nos frères à se sentir pleinement intégrés dans l’organisation.
Le dernier soir de son séjour au Portugal, frère Franz prononça un discours d’adieu captivant à la maison des missionnaires, sur le thème “Le baptême de feu”. Après la réunion, plus de personnes que d’ordinaire circulèrent autour de la maison. Certains voisins durent s’en plaindre, car le lendemain, de bon matin, un agent de la police secrète se présenta pour faire son enquête. Il sembla repartir satisfait. Pourtant, ce n’était pas la dernière fois que les missionnaires allaient avoir affaire à la police secrète. Toutefois, ils en dégagèrent une leçon précieuse. Ils savaient que désormais ils ne pourraient plus vaquer trop ouvertement à leurs activités.
Frère Cooke quitta Lisbonne avec frère Franz pour rendre visite aux congrégations d’Espagne, puis pour assister à l’assemblée internationale qui devait se tenir en Angleterre. Le visa de frère Backhouse arriva à expiration, et les autorités portugaises refusèrent de le renouveler. Aussi dut-il bientôt partir pour l’Espagne. De son côté, frère Cooke tomba malade et ne put rejoindre son territoire. Le seul missionnaire qui restait dans le pays pour s’occuper de l’œuvre était donc frère Passlow, qui, lui aussi, était gravement malade. Plus
tard, alors qu’il était encore relativement jeune, il mourut, après avoir consacré toute sa vie à servir Jéhovah avec dévouement, en Australie et au Portugal.PURIFICATION INTERNE
De graves problèmes s’annonçaient. Certains se laissèrent aller à la critique et à la médisance. Deux frères, en particulier, n’approuvaient pas du tout la façon dont l’œuvre était dirigée. L’un d’eux, un certain Santos, horloger de son état, se mit à vendre des images de John Cooke gravées des mots O Nosso Pastor (notre berger). Par sa forte personnalité, cet homme a fini par décider quelques frères anciens à le suivre.
Santos ne comprenait pas pourquoi il n’avait pas été nommé serviteur. Aussi écrivit-il de longues lettres à Brooklyn. On peut se faire une idée de son état d’esprit à travers ces paroles, tirées d’une de ses lettres: “Rendez-vous compte, dit-il, j’ai même donné une pendule aux missionnaires pour qu’ils la placent dans la Salle du Royaume, et pourtant, ils ne m’ont pas nommé serviteur.”
Il commença à exposer de plus en plus souvent ses doléances à Joaquim Carvalho, qui n’assistait plus aux réunions depuis plusieurs mois. Tous deux insinuèrent que les missionnaires, qui n’étaient pas portugais, ne faisaient pas honneur à la langue et ne comprenaient pas la situation locale aussi clairement qu’eux. Ainsi, ils semèrent le mécontentement. Comment la majorité des proclamateurs réagirent-ils? De moins en moins de frères assistèrent aux réunions. Certains se coupèrent même de l’organisation et se mirent à tenir leurs réunions séparément. Toutefois, le fidèle missionnaire persévérait, persuadé que Jéhovah dirigeait les événements.
Ses prières ne restèrent pas sans réponse. En effet, frères Knorr et Henschel se rendirent au Portugal, et
frère Cooke, pour sa part, revint en bonne santé en février 1952. On rassembla les mécontents, les serviteurs et les missionnaires pour une réunion mémorable. Les insatisfaits et les serviteurs avaient concocté de longues déclarations dactylographiées. Mais, d’un seul geste, frère Knorr écarta tous les documents et dit: “Je ne veux pas de paperasses. Vos frères sont là, devant vous. Si donc vous avez quelque chose contre eux, dites-le.” Cette manière tout à la fois directe, simple et biblique d’aborder le problème déconcerta complètement les fauteurs de troubles. Pendant un bon moment, ils balbutièrent sans pouvoir formuler aucun grief précis.Frère Knorr reprit la parole: “Eh bien, déclara-t-il, cela fait une heure que je suis là, et tout ce dont vous vous êtes plaints, c’est que cette sœur (celle qui jouait le rôle d’interprète) a souri d’une déclaration que vous avez faite au cours d’une réunion.” Alors plusieurs mentionnèrent quelques offenses précises dont ils pensaient avoir été victimes. Il devint évident que frères Santos et Carvalho, les principaux mécontents, avaient mauvais esprit. Aussi furent-ils repris. Bien entendu, tous ceux qui étaient présents furent exhortés franchement à laisser de côté leurs différends personnels et à aller de l’avant, en se consacrant pleinement à la seule œuvre qui revêt vraiment de l’importance, celle qui consiste à prêcher la bonne nouvelle.
L’après-midi, lors d’une réunion à Almada, frère Knorr donna des conseils fermes aux 122 assistants. Il définit la bonne attitude que tous devaient adopter vis-à-vis de l’organisation de Jéhovah. Frère Cooke fut alors nommé surveillant de l’unique congrégation composée de deux groupes.
Les réactions ne se firent pas attendre. Frère Santos refusa de reconnaître cette nomination et décréta que le
groupe d’étude était le sien, parce qu’il se réunissait chez lui, déclarant que, si certains désiraient suivre l’organisation, ils étaient libres d’agir ainsi. Par ailleurs, il demanda également qu’on lui rende sa pendule. Quand frère Cooke tenta d’assister à l’étude de livre conduite par frère Carvalho, on ne lui permit pas d’entrer. Toutefois, ces deux groupes indépendants cessèrent bien vite de fonctionner, et, par la suite, Santos et Carvalho furent exclus.Manifestement, Satan essayait de torpiller l’organisation théocratique au Portugal. Mais il n’y parvint pas. Après la visite de frère Knorr, la situation s’améliora rapidement. À la fin de l’année de service, 62 proclamateurs remettaient un rapport, on avait atteint un nouveau maximum de 207 assistants au Mémorial et de nouvelles personnes s’intéressaient au message.
La situation fut ainsi résumée par un rapport de l’Annuaire 1954 (angl.): “Une épuration radicale s’est produite en 1952 chez les Témoins de Jéhovah. Le rapport annuel sur ce pays souligne la nécessité de garder pure l’organisation du monde nouveau. En effet, un bel accroissement en est résulté (...). Les congrégations ne devraient jamais craindre de perdre les proclamateurs qui ne se conforment pas à la Parole de Dieu et aux excellents principes qu’Il nous enseigne constamment. Il ne faut jamais oublier que Jéhovah prend soin de son organisation.”
FRÈRE COOKE SE VOIT OBLIGÉ DE PARTIR
Les deux congrégations du Portugal croissaient en nombre et en maturité. Au mois de janvier, Eliseu Garrido élut domicile à Porto, ouvrant ainsi la porte au service du Royaume dans la deuxième ville du Portugal. Malheureusement, un événement imprévu allait se produire. Les autorités refusèrent de renouveler le visa
de frère Cooke. Son œuvre missionnaire au Portugal s’achevait donc. Adieu le Portugal! Direction l’Angola! À présent, frère Cooke sert fidèlement dans la filiale d’Afrique du Sud.À MADÈRE
L’œuvre du Royaume commençait aussi à Madère. Le terme portugais madeira signifie “bois”. Lorsque cette île montagneuse fut découverte, vers 1420, elle était inhabitée et couverte d’une épaisse forêt, d’où son nom. Les quelque 257 000 personnes qui la peuplent à présent occupent les villes et les villages nichés à l’orée des ravins ou sur les basses pentes. Frère Freitas, pionnier de New York, passa quelques mois sur cette île. Apparemment, c’est lui qui y introduisit la prédication de la bonne nouvelle. Ses efforts furent bénis, car bientôt quatre proclamateurs remettaient un rapport d’activité. En 1954, 21 personnes assistèrent à la première célébration du Mémorial.
FRÈRE CORDEIRO ANNONCE LA BONNE NOUVELLE
Entre-temps, au Portugal, António Manuel Cordeiro, notre jeune garçon du Trás-os-Montes, était devenu l’un des premiers pionniers auxiliaires du pays. Il s’était installé à Lisbonne, où il consacrait son temps à la fréquentation des frères et au service du champ. Sa cousine revint des États-Unis, accompagnée cette fois de son fils. António raconte:
“En été 1954, le fils de ma cousine et moi-même avons décidé de prêcher la bonne nouvelle dans un territoire isolé pendant six mois. Nous nous sommes rendus dans des dizaines de villages des districts éloignés de Bragance et de Guarda pour présenter le témoignage, et nous avons été arrêtés à Sandim parce qu’un prêtre avait porté plainte contre nous. On nous a
donc emmenés à Guarda pour nous jeter dans un cachot où nous avons passé la nuit. Après un interrogatoire interminable, on a relevé nos empreintes digitales et on nous a libérés. Comme moyen de locomotion, nous n’avions que la marche à pied, et, à l’occasion, il nous arrivait aussi de monter dans un char à bœufs. Nous portions nos vivres dans un ballot, et nous achetions du pain et du fromage en cours de route. De temps à autre, nous nous offrions un bon repas dans une pensão (pension).”Arrivés à Seixo de Carrazeda de Ansiães, ils s’aperçurent qu’il n’y avait pas la moindre pensão, mais fort heureusement, l’une des premières familles à qui António donna le témoignage leur offrit le gîte et le couvert pendant qu’ils prêchaient à toutes les familles de
la localité. Arrivés tardivement dans un autre village, ils n’eurent d’autre ressource que de dormir dans le foin, près d’un âne. En se rappelant leurs pérégrinations, António déclare: “Nous ne nous sentions ni découragés ni mécontents pour autant. Bien au contraire, le privilège que nous avions de communiquer la bonne nouvelle à ces gens-là nous remplissait de joie.”DES NUAGES NOIRS À L’HORIZON
En novembre 1954, Eric Britten, diplômé de Galaad, arriva du Brésil avec Christine, sa femme, pour s’occuper de la filiale. À l’époque, nous avions pris l’habitude d’organiser régulièrement des “pique-niques” dans les bois, près de la plage. Plus tard, nous avons appelé notre lieu de rendez-vous O Salao do Reino Verde (la Salle du Royaume verte). Ces réunions s’avérèrent une source de profond réconfort spirituel. En mai 1955, une journée spéciale “pique-nique” fut prévue aux environs de Cova de Vapor. Les frères louèrent un bac pour franchir le Tage et se diriger vers la plage. Mais ils ne tardèrent pas à découvrir qu’ils étaient accompagnés par des visiteurs qu’ils n’avaient pas invités. Effectivement, deux policiers en civil les suivirent toute la journée. Ce jour-là, on enregistra une assistance record: 230 personnes participèrent au “pique-nique”.
Le lendemain matin, des agents de la police secrète se rendirent au domicile de certains frères pour leur poser des questions comme celles-ci: À quel genre d’organisation appartenez-vous? Qui sont les orateurs? Certains sont-ils étrangers? Est-il vrai que vous vous êtes réunis hier sur la plage? Organisez-vous souvent ce genre de pique-nique? Ce fut l’un des premiers incidents qui démontra que la police avait l’œil sur les Témoins.
En 1956, la police secrète, connue sous le sigle PIDE (Polîcia Internacional e Defesa do Estado)
faisait des apparitions de plus en plus fréquentes dans les réunions. En juillet, un voisin complaisant fit savoir à Mervyn Passlow, le missionnaire, que sa femme et lui-même étaient surveillés par la police. Peu après, ce couple fut expulsé du Portugal, bien que la femme fût de nationalité portugaise. La police fit également fermer deux de nos lieux de réunions à Lisbonne.DES PROGRÈS À PORTO
À Porto, l’œuvre progressait rapidement. En 1955, on forma une première congrégation. En 1956, pour la première fois, on loua une Salle du Royaume, et en 1957, frère F. Franz y prononça un discours devant une trentaine de personnes radieuses. Parmi ceux qui commencèrent à étudier la Bible peu après figuraient Armando et Luiza Monteiro, un couple zélé qui allait faire beaucoup pour les intérêts du Royaume dans cette ville historique. Porto fut l’objet d’une bénédiction supplémentaire en la personne de deux missionnaires,
Domenick Piccone et sa femme Elsa, qui avaient été expulsés d’Espagne. En 1959, les couples Roberts et Beveridge, missionnaires de la trente-troisième classe de Galaad, vinrent également apporter leur soutien aux frères du Portugal.LE TÉMOIGNAGE OCCASIONNEL
À Porto comme dans toute autre région du Portugal, les frères ont constaté que le témoignage occasionnel était un excellent moyen d’aider leurs semblables à connaître la vérité. Par exemple, Alpina Mendes, l’une des premières proclamatrices du Portugal, suivait une cure thermale à Caldelas. Pendant qu’elle se trouvait là, elle présenta le témoignage à José Maria Lança, journaliste de son état. Pendant les quinze jours qui suivirent, tous deux parlèrent quotidiennement des desseins de Dieu. Lança lut deux fois le livre “Que Dieu soit reconnu pour vrai!” au cours de cette période. De retour à Lisbonne, il entreprit une étude de la Bible et ne tarda pas à assister aux réunions. Quatre mois plus tard, il se fit baptiser, et aujourd’hui, il est surveillant itinérant.
Les parcs et les jardins agréables de Lisbonne se prêtent fort bien aux discussions sur le paradis qui doit être rétabli. Ainsi, Armando Lourenço, qui est à présent ancien, nous raconte comment il a connu la vérité en 1956: “Un après-midi ensoleillé, j’étais assis dans le parc Campo Grande, à Lisbonne, en train de lire ma Bible, quand Josué Guilhermino s’assit près de moi et me posa la question que Philippe avait posée à l’Éthiopien, savoir: ‘Comprends-tu donc ce que tu lis?’ Je lui répondis comme l’Éthiopien: ‘Et comment le pourrais-je jamais si quelqu’un ne me guide?’” (Actes 8:30, 31). Frère Lourenço fut baptisé quatre mois plus tard. Par la suite, il assista à l’École de Galaad, revint au Portugal et servit comme surveillant de circonscription pendant de nombreuses années, dans diverses régions du pays.
LA VÉRITÉ PARVIENT AU CAP-VERT
Les premières graines de la vérité du Royaume furent semées dans les îles du Cap-Vert en 1958. Cet archipel composé de dix îles se situe dans l’océan Atlantique, à quelque 440 kilomètres au large des côtes occidentales de l’Afrique. Un insulaire qui avait immigré aux États-Unis revint passer quelques jours au pays en 1958; en repartant, il laissait derrière lui un grand nombre de publications et d’abonnés à La Tour de Garde.
Vers la fin de 1958, sur l’île São Tiago, certaines publications de la Société tombèrent entre les mains d’une personne avide de connaissance. En rendant visite à un photographe de ses amis, Luís Alves Andrade remarqua deux brochures. L’une s’intitulait “Cette bonne nouvelle du Royaume” et l’autre “Voici, je fais toutes choses nouvelles”. Il demanda la permission de les lire. Cet homme étudia soigneusement chaque brochure et examina dans une vieille Bible tous les textes bibliques cités en référence. La semaine suivante, il revint voir son ami et, à sa plus grande joie, il découvrit chez lui le livre “Que Dieu soit reconnu pour vrai!”. Il l’accepta avec plaisir et l’étudia tout seul d’un bout à l’autre. Dès lors, il savait que la vérité issue de la Parole de Dieu était enseignée par les Témoins de Jéhovah. Il s’abonna aux deux périodiques qui, pendant bon nombre d’années, furent pour lui la seule source de nourriture spirituelle.
UNE PÉRIODE D’EXPANSION
De plus en plus de gens s’intéressaient à la Bible, et les Salles du Royaume regorgeaient de monde. L’œuvre au Portugal connaissait une période d’expansion. Aussi, pour la première fois, on nomma un surveillant de
circonscription à plein temps en la personne de frère Piccone. Celui-ci se chargea de rendre visite aux groupes isolés et aux personnes qui s’intéressaient à la vérité par tout le pays. Quand il arriva chez une dame bien disposée de Monção, dans le Minho, la province la plus septentrionale du Portugal, le bruit s’en répandit dans toute la ville. À peine avait-il commencé de donner le témoignage que les voisins arrivèrent. Il n’eut pas à se déplacer pour rendre visite à d’autres personnes, car la maison était continuellement remplie de gens impatients d’entendre la bonne nouvelle.En automne 1959, frère Piccone se rendit aux Açores. Voici ce qu’il raconte: “Un voyage aux Açores, c’est toute une aventure. En effet, seules deux des neuf îles de l’archipel ont des bassins portuaires. Situées au beau milieu de l’Atlantique, ces îles sont souvent baignées par des eaux houleuses. C’était le cas lorsque nous avons débarqué. Nous avons eu beaucoup de mal à descendre l’échelle du paquebot dans le canot qui se trouvait au-dessous. Il nous a fallu attendre qu’une vague fasse remonter le canot au niveau exact de l’échelle et sauter, en espérant que ce soit le bon moment. Cela n’a pas été une mince affaire de descendre ainsi du bateau le matériel de projection de la Société, les bagages et les publications, tout en veillant à ce qu’ils arrivent à bon port. Une fois dans le canot, des rameurs expérimentés chevauchèrent les vagues en calculant bien le moment où ils s’échoueraient de façon à ne pas chavirer.
“Mais il fut encore bien plus difficile de présenter la projection dans l’île du Pico. Puisqu’il n’y avait pas d’électricité dans le village où les frères habitaient, nous avons dû faire près de dix kilomètres à pied pour nous rendre dans la localité voisine et étudier les possibilités qui s’y offraient. En entrant dans le village, nous avons croisé un homme qui cueillait du raisin.
Ayant remarqué que j’étais étranger, celui-ci nous a invités à visiter sa cave et nous a gentiment offert un rafraîchissement. La conversation s’orienta vers la projection, et, à notre étonnement, nous avons appris que le frère de notre hôte, qui était en train de fouler le raisin dans le pressoir, était propriétaire du cinéma du village! Nous avons donc pris des dispositions pour y projeter notre film le lendemain soir. En arrivant à la salle, au moment prévu, nous avons été agréablement surpris d’apprendre qu’on avait lancé des fusées afin d’informer tous les gens du voisinage qu’on allait passer un film. Quelque 150 personnes assistèrent donc à notre projection.”La vérité continuait à se répandre dans toutes les îles des Açores. En 1960, Santa Maria, île bien connue des usagers de la ligne aérienne transatlantique, entendit la vérité. En effet, un frère, qui devait attendre à l’aéroport que l’on effectue quelques réparations sur son avion, utilisa le temps dont il disposait pour donner le témoignage à un homme, l’abonner à La Tour de Garde et l’encourager à en parler autour de lui. Le frère lui dit que s’il arrivait à abonner un assez grand nombre de gens à ce périodique, il pourrait recevoir la visite d’un représentant de la Société qui l’aiderait à comprendre la Bible. En faisant le tour de ses amis, cet homme obtint plusieurs abonnements. Il écrivit donc à la Société pour demander que quelqu’un se rende sur l’île. Le surveillant itinérant qui y fut envoyé fut heureusement surpris de voir dix-neuf personnes venir à la projection.
L’année 1961 fut marquée par une joie toute particulière. En effet, depuis de nombreuses années, les frères du Portugal attendaient avec impatience de dépasser le cap des mille proclamateurs du Royaume. En janvier de cette année-là, ce fut chose faite. On enregistra un
accroissement de 30 pour cent sur la moyenne de l’année précédente.LA DIFFUSION DE LA BIBLE
Dans les années quarante, alors qu’il n’était pas facile de se procurer des Bibles, Eliseu Garrido se rendait dans des librairies qui vendaient des livres d’occasion et il en achetait en grande quantité. Un jour, il en acheta vingt-cinq pour seulement cinq escudos (environ un franc français) l’une.
À propos d’une importante société biblique, frère Manuel Almeida rapporte un fait intéressant, qui survint en 1960: “J’achetais de plus en plus de Bibles pour tous les Témoins de Lisbonne, dit-il, et l’on m’accordait une remise de 20 pour cent. Un jour, le directeur me demanda de passer une commande régulière et permanente pour que la société biblique puisse calculer la quantité qu’elle devait importer. Quand je lui dis que les Témoins pouvaient écouler au moins 125 Bibles par mois, il fut abasourdi. En effet, leur commande mensuelle s’élevait à 250 exemplaires seulement.”
Comme il était encourageant d’apprendre que la moitié des Bibles importées par cette société étaient distribuées par les Témoins de Jéhovah! Selon toute vraisemblance, ces “amis de la Bible” ne restèrent pas longtemps exempts de tout sectarisme. En effet, vers la fin de l’année 1960, ils firent savoir à frère Almeida qu’ils ne pourraient plus procurer des Bibles en grand nombre aux Témoins.
LA BONNE NOUVELLE ATTEINT MACAO
En 1961, l’œuvre du Royaume fut introduite à Macao, ville et province portugaise de la côte méridionale de la Chine située sur le delta de la rivière de Canton et de la rivière des Perles. Macao est devenu
célèbre parce qu’il constitue le plus ancien avant-poste européen en Chine continentale, établi depuis 1557. Une sœur y accompagna son mari, qui servait dans l’armée. Bien qu’elle ne trouvât pas beaucoup de gens qui parlaient sa langue, elle répandit la vérité du Royaume. L’année suivante, elle revint au Portugal. La filiale de Hong-kong s’occupa dès lors des quelques personnes qui s’étaient intéressées au message ou abonnées.DES TEMPS CRITIQUES EN ANGOLA
En 1960, pour faciliter la communication, la supervision de l’œuvre en Angola fut transférée d’Afrique du Sud au Portugal. En Angola, la police surveillait les Témoins de plus en plus près. En février 1959, la PIDE refusa de laisser frère Arnott, surveillant de zone, entrer dans le pays. Plus tard, la police interdit formellement les réunions et toute fréquentation entre les frères européens et africains. À partir de ce moment-là, les deux groupes durent tenir séparément des réunions clandestines.
En mars 1961, une vague de terreur, de violence et de
destruction provenant de la frontière congolaise déferla sur l’Angola. Des villages entiers furent incendiés, et l’on retrouva des cadavres de Noirs et de Blancs mutilés et méconnaissables. Des hommes furent pendus ou abattus comme des chiens, des femmes furent éventrées et des enfants égorgés. Peu après cette éruption de violence gratuite, les Témoins de Jéhovah furent accusés d’actes de terrorisme. L’Église catholique romaine prit l’initiative de cette campagne scandaleuse qui visait à déformer les faits. Ainsi, le journal catholique A Provincia de Angola taxa les publications des Témoins de subversives.Alors que la lutte contre le terrorisme devenait une guerre ouverte, les publications officielles du gouvernement s’efforcèrent de faire passer les Témoins pour responsables du terrorisme angolais. L’une de ces publications, Ultramar, déclarait: “Le professeur Silva Cunha reconnaît qu’avant la montée du terrorisme, cette secte avait influencé la population angolaise, surtout dans les régions de Luanda et de Moxico. Nous pensons également que son hypothèse est fondée (...). La Watch Tower est un mouvement américain de grande envergure, qui possède un capital considérable. Si les USA n’ont rien d’autre à y gagner, au moins en retirent-ils un grand prestige (...). Il n’est pas improbable que la Maison Blanche ait couvert ce mouvement en Afrique.” — Vol. 5, 1964, numéro 17, p. 54.
On conçoit aisément que ce raisonnement pervers ait éveillé un violent esprit nationaliste et entraîné une surveillance étroite de nos frères. On prit des mesures draconiennes, interdisant aux Africains de se réunir à plus de trois. Désormais, nos frères de Luanda allaient devoir réorganiser leurs réunions en se rassemblant par groupes plus petits. Malgré la tension qui régnait dans ce pays, les frères se réjouirent de compter 130 assistants au Mémorial en mars 1961.
LA NEUTRALITÉ PROCURE DES BIENFAITS
Lors de cette éruption de terrorisme, beaucoup se demandaient si les Témoins pouvaient vraiment être responsables des événements. Ainsi, Carlos Agostinho Cadi travaillait dans une plantation du nord de l’Angola, près de la frontière congolaise. Le danger devint tel que le propriétaire de la plantation s’enfuit au Congo pour sauver sa vie, laissant frère Cadi s’occuper de son exploitation. À peine le patron était-il parti que l’armée portugaise, qui progressait dans cette direction, arriva et encercla tous les ouvriers africains. Les soupçonnant d’être des terroristes, les Portugais donnèrent l’ordre de les abattre tous.
Les Portugais firent la sourde oreille aux supplications des Africains. C’est alors que Carlos Cadi montra aux soldats des papiers établissant qu’il était Témoin de Jéhovah et qu’il ne pouvait aucunement prendre part
à des actes de terrorisme. Cette seule intervention incita les soldats à surseoir à l’exécution. Le commandant arriva sur les lieux et examina les lettres, puis il livra Cadi à la PIDE pour qu’elle enquête sur son compte. Malgré tout, notre frère avait la vie sauve.UN HOMME DE FOI
En ce temps-là, João Mancoca, un Africain qui avait lu les publications de la Société dès 1943, se trouvait à Luanda. Le 25 juin 1961, alors qu’il conduisait l’étude de La Tour de Garde dans la ville, la police militaire fit irruption, baïonnette au canon. Les policiers renvoyèrent les sœurs et les enfants chez eux, puis infligèrent aux frères un traitement atroce. Voici ce que Mancoca nous rapporte:
“Je ne puis trouver les mots pour décrire la façon dont on nous a traités. Le caporal qui menait la troupe déclara ouvertement que nous serions battus à mort. Après avoir été frappé cruellement, au point d’avoir tout le corps meurtri, j’ai bien cru qu’il avait dit vrai. Alors que je gisais sur le sol, les menottes aux poignets, on m’a assené des coups de gourdin si violents que j’en ai vomi du sang pendant trois mois. Mais pour l’heure, ce qui me préoccupait le plus, c’était le sort de mes compagnons qui, eux aussi, étaient sauvagement matraqués. J’ai prié Jéhovah de prendre soin de la vie de mes frères, de ses brebis. Convaincus que quelques-uns d’entre nous mourraient, les soldats revinrent toutes les demi-heures, pendant toute la nuit, pour voir si quelqu’un avait expiré. Ils semblaient perplexes en constatant que nous survivions à cette torture inhumaine. On en a même entendu certains dire que notre Dieu devait être le bon, pour que nous ayons pu supporter pareil traitement.”
Pendant cinq mois, les frères restèrent à la prison São Paulo, à Luanda. Quand ils eurent été transférés dans
un grand dortoir, qui abritait quelque six cents hommes, ils profitèrent de l’occasion pour donner le témoignage. À trois reprises, frère Mancoca put prononcer un discours devant plus de trois cents prisonniers. Parmi ceux-ci, beaucoup acceptèrent la vérité quand ils furent libérés. Certains sont aujourd’hui anciens à Luanda. Ainsi avorta le plan échafaudé par les autorités pénitentiaires pour intimider les serviteurs de Jéhovah et les réduire au silence.Les frères furent ensuite transférés dans le sud de l’Angola et gardés cinq autres mois dans les prisons de la Sûreté à Moçãmedes. Bien qu’étroitement surveillés, les frères purent saisir certaines occasions pour prêcher, et même tenir régulièrement une étude de livre. Là aussi ils purent donner un excellent témoignage. En peu de temps certains prisonniers qui s’étaient rendus coupables d’activités politiques illégales comprirent que le Royaume de Dieu était l’unique espoir de l’homme. Plus tard, les frères furent transférés à Baía dos Tigres, une île pénitentiaire, et assignés à “résidence forcée”, c’est-à-dire condamnés à la réclusion dans les camps de travail gouvernementaux.
On intercepta les publications qui avaient été envoyées aux frères à l’un des camps de travail. Furieux, l’administrateur du camp punit nos frères en les envoyant dans un camp de travail récemment construit, près de Serpa Pinto, dans l’intérieur des terres. Trois mois plus tard, Sala Ramos Filemon, João Mancoca et trois autres frères furent transportés avec 130 autres prisonniers dans des voitures à bestiaux. Leur accueil fut un sinistre présage des épreuves qui les attendaient.
Sortis des voitures comme des bêtes, nos frères furent cruellement malmenés et battus. Là encore, les coups étaient si violents qu’ils crurent leur dernière heure venue. Dans le camp, entièrement clôturé de
barbelés, l’oppression était réalité quotidienne, sous forme de dur travail, de manque de nourriture et de vêtements. Nos frères vivaient de poisson séché, de céréales de piètre qualité, mais surtout d’une foi solide. Incapables de supporter plus longtemps ces traitements inhumains, quatre prisonniers politiques tentèrent de s’évader, mais ils furent capturés et suppliciés, pour l’exemple, sous les yeux de tous.L’OPPOSITION SE FAIT JOUR AU PORTUGAL
L’éruption du terrorisme en Angola, en 1961, entraîna des conséquences immédiates sur notre œuvre au Portugal. Un flot de propagande mensongère se répandit par tout le pays. On accusa les Témoins de fomenter la rébellion. La police portugaise commença à se mêler de leur activité de prédication. À Évora, ville située à environ 130 kilomètres à l’est de Lisbonne, un pionnier nommé Horácio Arnaldo Duarte fut convoqué au bureau local de la PIDE pour un interrogatoire. Là, les policiers lui montrèrent des photographies de soldats portugais démembrés et incriminèrent les Témoins.
En été 1961, un pionnier spécial nommé Artur Canaveira fut filé par les agents de la PIDE pendant de nombreuses semaines. Puis, en septembre, il fut appréhendé. Laissons-le nous raconter ce qui lui est arrivé ensuite: “J’ai été accusé d’activités subversives et de relations avec le communisme. Pendant trois mois, on m’a questionné et battu cruellement pour m’obliger à avouer que j’étais communiste. Quatre ou cinq agents m’interrogeaient en même temps pour essayer de semer la confusion dans mon esprit. Les interrogatoires avaient lieu la nuit, quand ma résistance était moindre, tandis qu’une radio braillait pour couvrir les cris éventuels.”
Pendant tout ce temps-là, il fut tenu au secret,
jusqu’à ce qu’on le transférât à la prison de la PIDE à Fort Caxias, dans la banlieue de Lisbonne. Puis, le 22 janvier 1962, on le relâcha enfin.Quatre jours plus tard, soit le 26 janvier 1962, les missionnaires, savoir Eric Britten, qui était alors surveillant de la filiale, Domenick Piccone et Eric Beveridge, furent convoqués avec leurs femmes au siège de la PIDE. Là, on leur ordonna de quitter le pays dans les trente jours. Officiellement, on les expulsa parce qu’ils parlaient publiquement de leur religion et prônaient la neutralité. Au cours d’une entrevue avec frère et sœur Beveridge, le directeur de la PIDE fit allusion à un jeune Portugais qui avait récemment refusé de faire son service militaire. Il affirma que les Témoins étaient responsables de ses actes. Il ajouta que l’objection de conscience ne serait pas tolérée au Portugal.
Le départ des missionnaires, moment déchirant, fit verser beaucoup de larmes. En effet, ceux-ci avaient vraiment donné de leur personne en servant de toute leur âme, et ils avaient gagné le profond amour de leurs frères grâce à leur zèle et au bel exemple qu’ils leur donnaient. Les Britten finirent par retourner au Brésil, où ils servent toujours à plein temps, dans l’œuvre de surveillant de circonscription. En ce qui concerne les Piccone, c’était déjà leur seconde expulsion depuis qu’ils étaient missionnaires. Ils se sont rendus au Maroc, mais aujourd’hui, ils sont au Salvador. Quant aux Beveridge, ils ont été envoyés en Espagne, où ils ont servi dix-neuf ans avant d’être appelés à faire partie de la famille du Béthel de Brooklyn.
L’ÉCOLE DU MINISTÈRE DU ROYAUME
Fort heureusement, juste avant leur expulsion, les missionnaires avaient pu tenir la première classe de l’École du ministère du Royaume. Ce cours venait à
point nommé pour les vingt serviteurs de congrégation du pays, lesquels furent ainsi mieux armés pour affronter les temps difficiles qui s’annonçaient. Nous nous réjouissons aujourd’hui de voir la majorité de ces frères continuer à servir fidèlement. Au fil des années, les cours successifs de l’école ont prodigué à tous une instruction de valeur, qui a favorisé l’unification de l’œuvre et entretenu l’esprit d’évangélisation.LES PIONNIERS SONT EN PREMIÈRE LIGNE
Les frères portugais relevèrent le défi que représentait le départ des missionnaires en poursuivant la prédication. À propos de cette époque, Gilberto Sequeira, surveillant de circonscription, déclare:
“Quand la Société envoya des missionnaires au Portugal, en 1958, j’ai compris que nous devions, nous aussi, donner à Jéhovah le meilleur de nous-mêmes et rejoindre les rangs des pionniers dans toute la mesure du possible. J’avais une petite fille, mais cela ne m’a pas empêché de devenir pionnier spécial en 1959. Pour rien au monde je ne voudrais changer les nombreux bienfaits que j’ai reçus. On m’envoya tout d’abord dans la congrégation de Moscavide, dans la banlieue de Lisbonne. J’ai entrepris des études bibliques dans bon nombre de localités. Comme les gens avaient peu d’argent, j’échangeais souvent les publications contre des œufs, des oranges, des citrons, des gâteaux, etc. Quelle joie de voir que certains hommes à qui j’ai enseigné la Bible sont aujourd’hui anciens dans les congrégations auxquelles j’ai le privilège de rendre visite! Rien ne peut être comparé au service à plein temps et aux précieuses relations qui nous unissent à Jéhovah.”
Frère Henrique Arques figure également au nombre des proclamateurs qui se sont sentis poussés à se joindre aux pionniers à cette époque-là. Après avoir
consacré plus de vingt ans au service à plein temps en compagnie de sa femme, voici ce qu’il nous dit: “On recherchait des pionniers, et c’est avec joie que je me suis porté volontaire. J’ai appris à ne jamais mépriser le jour des petites choses. Il m’a été donné de sillonner tout le pays, et même de servir à Madère, aux Açores et au Cap-Vert. On m’a offert des situations alléchantes, mais aucune d’entre elles ne pouvait être à la hauteur de ce que Jéhovah nous offre.”LA FILIALE DANS LA CLANDESTINITÉ
En raison de la surveillance policière de plus en plus étroite, il devint nécessaire de réorganiser la filiale en vue de l’activité clandestine. On la transféra donc dans une remise discrète située dans l’arrière-cour d’un tailleur de Lisbonne nommé António Matias. Paul Hundertmark, missionnaire diplômé de Galaad, et sa femme Evelyn avaient été expulsés d’Espagne en 1960. Ils se trouvaient alors au Portugal, en train d’apprendre le portugais. Paul se retrouva soudain responsable d’une filiale clandestine. Sa tâche n’allait pas être des plus faciles!
LA PERSÉCUTION S’INTENSIFIE
À la suite de l’expulsion des missionnaires en 1962, les autorités durcirent la campagne de persécution menée contre les Témoins de Jéhovah. Elles adressèrent à tous les bureaux de poste un avis interdisant la circulation de nos ouvrages bibliques, jugés “pernicieux”. Elles saisirent un grand nombre de Bibles et de publications éditées par la Société Watch Tower pour les déchiqueter et les brûler. Des milliers d’abonnés à La Tour de Garde et à Réveillez-vous! furent privés du droit de recevoir leurs périodiques.
Coup sur coup, la police perquisitionna chez quantité de frères pour confisquer leurs publications. Elle les
menaça de la prison s’ils continuaient à assister aux réunions. Manuel Almeida, qui est maintenant membre du comité de la filiale, fut l’un des premiers frères à recevoir la visite de la police. Sans mandat de perquisition, les policiers confisquèrent toutes les publications de la Société. Avant la fin de cette vague de persécution, non seulement la police perquisitionna à sept reprises chez ce frère, mais encore il fut convoqué autant de fois par la PIDE pour être soumis à d’interminables interrogatoires. Les policiers se mirent ensuite à organiser des descentes dans les Salles du Royaume de Lisbonne et, pour la première fois, l’une de nos salles fut fermée par décision de la police au début de 1962.LE PREMIER PROCÈS
En 1962, une douzaine de frères furent dénoncés à la police parce qu’ils avaient tenu une réunion. Ils furent convoqués au poste et menacés de la prison s’ils continuaient à se réunir pour étudier la Bible. En janvier 1963, certains frères reçurent l’ordre suivant du commandant de la police de sûreté publique de Caldas da Rainha:
“J’ordonne à tout agent autorisé (...) de faire connaître, avec toutes les formalités légales, à [nom du frère] résidant à [adresse], ville de Caldas da Rainha, municipalité de Caldas da Rainha, les mesures suivantes: Il ne peut plus continuer d’exercer ses activités de lecture de la Bible, de Témoin de Jéhovah ni aucune autre œuvre à caractère religieux, et en outre de promouvoir, d’établir, d’organiser ou de diriger des associations de nature internationale comme celle à laquelle il est réputé appartenir.”
Le ministère public accusa les frères d’organiser des réunions religieuses sans autorisation. À l’ouverture du procès, le 21 mars 1963, le juge fut surpris de voir la salle d’audience remplie de spectateurs. En règle
générale, en effet, lorsque l’État jouait le rôle de procureur, le procès ne prenait que quelques minutes. Toutefois, ce magistrat équitable désirait sincèrement que justice fût faite. Aussi le procès dura-t-il près de trois heures. Le juge donna la parole à trois témoins de la défense et posa plusieurs questions bibliques. Le verdict s’avéra favorable au vrai culte; les accusés furent acquittés.ANNULATION D’UNE ASSEMBLÉE DE CIRCONSCRIPTION
On avait prévu de tenir en juillet 1963 une assemblée de circonscription à Faro, sur la côte méridionale du Portugal. Les frères louèrent un grand entrepôt pour projeter l’un des films de la Société, mais quelqu’un porta plainte auprès de la police. À la dernière minute, les frères annulèrent la projection. C’était là une sage décision. En effet, la police avait été avertie qu’il devait y avoir une “réunion politique”. Aussi, vers minuit, un détachement des forces de l’ordre cerna l’entrepôt. Les policiers braquèrent leurs mitrailleuses, se préparant à mater ce qu’ils croyaient être une résistance armée. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils trouvèrent l’entrepôt vide! Par la suite, Césario Gomes, surveillant de la circonscription en question, fut longuement interrogé. Il nous fait le rapport suivant:
“Tous les objets confisqués dans ma voiture furent déposés sur le bureau du chef de la police. Ce qui m’inquiétait le plus, c’était la liste des adresses des surveillants de toute la circonscription. J’étais certain qu’il l’apercevrait. Conformément aux paroles consignées en Psaume 118:6-8, j’ai immédiatement prié Jéhovah, en lui demandant de m’aider à protéger mes frères. Puis, tandis que le chef de la police examinait chaque objet pour en coucher la description par écrit, j’ai pu poser mon coude sur l’angle du bureau. J’ai profité d’un moment d’inattention pour récupérer le papier qui portait les noms des surveillants. Ensuite, j’ai demandé la permission d’aller aux toilettes, et je me suis dépêché de m’en débarrasser par la chasse d’eau.”
UN MISSIONNAIRE AU CAP-VERT
L’année 1962 fit date dans l’histoire de l’œuvre aux îles du Cap-Vert, avec l’arrivée de George Amado, missionnaire diplômé de Galaad. Peu après, un pionnier spécial nommé Jack Pina vint collaborer avec lui sur l’île Brava. Deux mois plus tard, le missionnaire conduisait quatorze études bibliques à domicile. Bientôt, une vingtaine de personnes se rassemblaient pour une étude biblique hebdomadaire. En 1963, on enregistra le chiffre réjouissant de quarante-cinq assistants au Mémorial. Mais les choses tournèrent mal. Les deux pionniers reçurent l’ordre de quitter les îles. N’empêche que des graines de vérité avaient été semées et avaient pris racine.
DES AVENTURES DE VOYAGE
L’assemblée “La bonne nouvelle éternelle”, qui se tint en 1963 à Milan, en Italie, est restée dans les mémoires pour diverses raisons. Ce fut tout d’abord la première assemblée internationale où les congressistes portugais purent assister à l’ensemble du programme, présenté dans leur langue par des frères portugais. Mais le voyage, qui représentait 4 000 kilomètres aller et retour, fut en lui-même inoubliable. En ce qui concerne la majorité des frères, c’était leur premier voyage à l’étranger. Pour pouvoir faire la route, certains achetèrent leur première automobile, non sans avoir suivi au préalable des cours de conduite. Un frère eut quelques anicroches avec son embrayage et sa boîte de vitesses; en effet, toutes les vitesses cassèrent les unes après les autres. On le vit bientôt rentrer en ville en marche arrière, car c’était la seule vitesse qui fonctionnait encore!
Matthieu 6:19: “Cessez de vous amasser des trésors sur la terre, où la mite et la rouille rongent, et où les voleurs percent et dérobent.”
Frère Américo Campos, d’Almada, raconte ce qui est arrivé à leur caravane, composée de trois voitures: “À Barcelone, en Espagne, deux frères se sont fait voler tout leur argent ainsi que leurs passeports. Mais au retour, nous nous sommes aperçus que les voleurs français étaient encore plus expérimentés que leurs homologues espagnols. Pendant que tout le monde dormait sur ses deux oreilles, ils ont forcé nos voitures et se sont emparés de tout ce qui s’y trouvait. Ils sont même entrés dans nos tentes pour prendre notre argent et nos souvenirs. Matériellement, nous étions dépouillés, mais l’assemblée nous avait tellement enrichis sur le plan spirituel que, sans amertume, nous avons médité sur la véracité des paroles suivantes de Jésus, consignées enLA PERSÉCUTION INSPIRÉE PAR L’ÉGLISE SE POURSUIT
Les journaux se firent de plus en plus souvent l’écho de la propagande mensongère dont les Témoins étaient victimes. Pendant l’été 1963, une série de cinq émissions télévisées consacrées aux Témoins de Jéhovah fut produite à Lisbonne. Un prêtre catholique animait le débat, et il se complaisait à travestir grossièrement le peuple de Jéhovah.
Le soir du 22 août 1963, cinq agents de la PSP (Police de sûreté publique), armes au poing, entrèrent par effraction dans une demeure d’Aveiro, ville située sur la côte, au nord du pays, et interrompirent la réunion qui s’y déroulait. Tous les assistants furent arrêtés et emmenés au poste de police. À quatre heures du matin, les enfants furent relâchés, mais les autres durent attendre jusqu’à sept heures et demie du soir. Tous furent formellement accusés d’avoir tenu une
réunion illégale. C’est sur cette toile de fond qu’allait se dérouler le second procès des Témoins au Portugal. Les preuves démontraient à l’évidence qu’on avait pénétré illégalement dans une demeure privée. Le juge délibéra pendant près d’un mois, pour déclarer finalement les dix Témoins coupables. Frère António Beirão et sa femme furent tenus responsables de la réunion, et, bien qu’ils eussent deux enfants en bas âge, ils furent condamnés chacun à un mois de prison.LES PRISONNIERS PRÊCHENT EN ANGOLA
Pendant ce temps, en Angola, le camp de travail pénitentiaire subit le contrecoup du concile œcuménique de 1963. Des représentants de diverses sectes de la chrétienté demandèrent à l’administrateur du camp l’autorisation d’organiser des jours de prière interconfessionnels. Les prisonniers qui étaient les mieux placés pour représenter leur religion furent invités à prendre part à ces séances de prières. On proposa à frère Mancoca de représenter les Témoins de Jéhovah, mais il refusa. Toutefois, il profita de l’occasion pour expliquer que les Témoins ne participaient pas aux réunions œcuméniques.
Malgré leurs intentions prétendument amicales, les responsables de ces religions de la chrétienté ressentirent l’attitude de frère Mancoca comme un affront et cherchèrent à se venger. Par l’entremise de l’administrateur du camp, ils tentèrent de le réduire au silence. Les autorités du camp lui interdirent formellement d’avoir des conversations d’ordre religieux avec les autres détenus et lui enjoignirent de s’abstenir de toute activité religieuse, sous peine de mort. Ils lui firent savoir que ses ‘disciples seraient bannis dans les colonies pénitentiaires du Cap-Vert s’il désobéissait’. Frère Mancoca écrivit une lettre à l’administrateur du camp en lui expliquant poliment qu’il ne pouvait obéir
à de tels ordres, lesquels étaient par ailleurs opposés à la constitution portugaise, qui garantissait la liberté de culte.La réaction ne se fit pas attendre. Les autorités mirent Mancoca à part et le tinrent à une soixantaine de mètres de tous les autres prisonniers pour qu’il ne puisse communiquer avec personne. Les gardes du camp renforcèrent leur vigilance pour s’assurer qu’il ne pratiquait pas sa religion ni ne lisait la Bible. En dépit de ces difficultés, frère Mancoca parvint à traduire la brochure “Cette bonne nouvelle du Royaume” dans le dialecte umbundu.
De leur côté, les groupes isolés de Luanda avaient manifestement besoin d’aide. Aussi, en mars 1963, Manuel da Silva, sa femme et ses deux enfants se rendirent-ils en Angola sur invitation de la Société. Comme le frère et la sœur étaient tous deux pionniers spéciaux, l’œuvre fut rondement organisée, et d’excellents résultats s’ensuivirent. Mais le 14 octobre 1963, Manuel da Silva et Manuel Acácio Santos furent appréhendés et incarcérés. Le mois suivant, la PIDE arrêta Manuel Gonçalves Vieira, le frère qui s’occupait de l’œuvre à Luanda. Le chef de la police décréta: “L’œuvre des Témoins de Jéhovah est interdite dans tout l’Angola.”
La police adressa un ultimatum à Vieira: soit il signait une déclaration par laquelle il promettait de renoncer à toutes les activités propres aux Témoins de Jéhovah, soit il irait en prison. Mais comme il ne se laissait pas intimider, on le mit au régime cellulaire pour deux mois, bien que sa femme dût donner le jour à son troisième enfant quelques semaines plus tard. À cette époque, Manuel da Silva avait lui aussi été jeté en cellule pour avoir prêché la bonne nouvelle à d’autres prisonniers.
En définitive, le 23 janvier 1964, on informa les trois frères qu’ils seraient exilés au Portugal.
LES ACTIVITÉS DE LA POLICE
Pendant ce temps, frère Joaquim Martins, qui était un Témoin fidèle depuis 1939, avait réussi dans les affaires et possédait plusieurs boutiques de nettoyage à sec. En février 1964, il reçut des visiteurs inattendus. Les agents de la PIDE fouillèrent sa maison et ses magasins de fond en comble pour trouver les ouvrages édités par la Société. Ils confisquèrent ses publications, y compris une précieuse bibliothèque qui remontait jusqu’en 1925.
Dans l’un de ses magasins, ce frère avait placé une grande cuve destinée aux baptêmes conférés en secret. Au fil des années, une multitude de frères y avaient été baptisés. Plus tard, frère Martins vendit son fonds de commerce et devint pionnier. Il mourut, fidèle, en 1979.
En 1964, plusieurs numéros du périodique Réveillez-vous! ainsi que des lettres venues du monde entier aidèrent les principaux citoyens du Portugal à savoir exactement ce qui se passait dans leur propre pays.
Aux Açores, frère Manuel Leal jugea bon de remettre quelques exemplaires de Réveillez-vous! aux autorités locales. Il en donna donc au gouverneur du district, à des officiers de police et à bien d’autres. Plusieurs jours après, la PSP le convoqua pour un interrogatoire. Après l’avoir questionné sévèrement, la police lui enjoignit de révéler les noms et l’adresse de ceux à qui il avait laissé les périodiques. Leal refusa, disant qu’il ne donnerait pas de renseignements susceptibles d’entraîner la persécution d’innocents. Le sous-chef commença à rédiger un compte rendu sur l’interrogatoire, mais il fut bien embarrassé de devoir écrire que, si Leal ne voulait pas donner les noms des intéressés, c’était
parce que la police les persécuterait. Dépité, il déchira son papier et quitta la pièce.La corvée fut finalement confiée à un secrétaire, avec le concours du sous-chef. Tous deux n’en restèrent pas moins perplexes. Quand enfin le rapport fut achevé, frère Leal refusa de le signer, parce qu’il ne reflétait pas la réalité. Leal raconte: “Quand j’ai tenté d’expliquer nos croyances et que j’ai employé le nom de Jéhovah, le sous-chef s’est mis à hurler: ‘Ne prononcez pas ce nom-là! Si vous en parlez encore, je vous fais jeter en prison!’ J’ai répondu qu’il me fallait utiliser ce nom pour me défendre, et que, de toute façon, il se trouvait dans le missel catholique, que je me suis empressé de leur montrer, à leur grand désarroi. Un excellent témoignage en est résulté.”
L’OPPOSITION DU GOUVERNEMENT S’INTENSIFIE
Les autorités n’en continuèrent pas moins d’endurcir
leur cœur. En octobre 1964, le ministère de l’Intérieur diffusa un bulletin extrêmement tendancieux. Voici ce qu’on y lisait:“Il faut bien comprendre que la secte dite ‘Les Témoins de Jéhovah’ n’est pas vraiment religieuse, car ses objectifs sont purement matériels. Elle vise à l’anéantissement des gouvernements, des autorités, des Églises et des cultes existants pour frayer la voie à l’instauration d’une théocratie universelle. L’usage de la Bible n’est rien de plus qu’une technique de propagande et de défense devant les autorités pour ce mouvement qui caresse d’ambitieux objectifs politiques [C’est eux qui soulignaient].”
Forte de l’appui de ce bulletin gouvernemental, la police fit par tout le pays des descentes quotidiennes dans les foyers des frères.
Avec le concours du Département d’État américain, on organisa une entrevue entre une délégation de trois Témoins étrangers et le docteur Franco Nogueira, qui était alors ministre des Affaires étrangères, afin de clarifier notre position. Cette délégation, composée des frères Philip Rees, Richard Abrahamson et Domenick Piccone, se rendit à Lisbonne et, le 25 février 1965, exposa notre position de stricte neutralité. Le docteur Nogueira promit d’étudier la question et déclara qu’il n’y avait à première vue aucune raison de refuser la liberté religieuse aux Témoins de Jéhovah. Toutefois, dans les faits, la seule réponse réelle fut que les interventions de la police se multiplièrent.
Malgré ces difficultés, l’organisation connaissait l’expansion. En avril 1965, on atteignit un nouveau maximum de 2 839 proclamateurs et quatre circonscriptions furent organisées pour s’occuper de toutes les congrégations qui étaient en train de naître.
LES MÉTHODES POLICIÈRES
En passant en revue les diverses structures de l’exécutif, on comprend aisément pourquoi beaucoup de gens regardaient le Portugal comme un État policier. On distinguait en effet la Police de sûreté publique (PSP), la Garde nationale républicaine (GNR), la Police militaire (PM), la Police de patrouille des routes (PVT), la Police judiciaire (PJ), ainsi que la Police internationale de défense de l’État (PIDE), plus connue sous le nom de police secrète. Nos frères furent maltraités par la GNR et la PIDE. En général, les gens craignaient surtout la PIDE, qui s’appuyait solidement sur un réseau d’indicateurs rémunérés. On a dit qu’elle avait été conçue d’après le modèle de la Gestapo nazie, avec le concours des agents de la Gestapo, pendant la Seconde Guerre mondiale.
En raison de la neutralité qui caractérise les Témoins, bon nombre de jeunes frères furent brutalement traités par la PIDE. Luís António de Silva Canilhas, de Larajeiro, à Almada, nous relate ce qui lui est arrivé le 9 juillet 1965, au terme de deux heures d’interrogatoire.
“Après avoir fermé toutes les fenêtres et les portes, ils se sont mis à me passer à tabac. Un coup au ventre me fit tomber à terre. Un autre me laissa un œil poché. Étant donné que je boitais d’une jambe, je ne pouvais me relever. Aussi m’ont-ils saisi par les oreilles et ont-ils recommencé à me frapper. Ces hommes qui me traitaient comme un chien n’avaient vraiment pas l’air humain.”
La police infligeait aussi des traitements déshonorants à des personnes plus âgées. En juillet, Manuel Vaz, un surveillant de Lisbonne âgé de soixante-douze ans, fut convoqué au siège de la PIDE pour un interrogatoire. Là, on l’insulta et on l’interrogea sans ménagements
pendant cinq heures. “La vraie religion, c’est la religion catholique, lui lança un agent de la PIDE. Elle a préservé la Bible, et elle suit les traces de Jésus Christ et des apôtres. Ce n’est pas à vous, espèce d’ignorant, qu’il revient d’enseigner la Bible. Cela appartient seulement aux gens qui sont autorisés. Mais vous aimeriez que votre religion soit libre, n’est-ce pas? Eh bien, cela n’arrivera jamais! Jamais, vous m’entendez?”À l’approche de l’été 1965, quelque quatre cents frères se préparèrent à faire un long voyage pour se rendre à l’assemblée “La Parole de vérité”, qui devait avoir lieu à Bâle, en Suisse. À la dernière minute, la PIDE décida de s’y opposer. La veille de la date fixée pour le départ, la police fit savoir à cinquante frères qui avaient reçu l’autorisation de faire le voyage que ladite autorisation leur était retirée. Mais, à leur grand dépit, les policiers apprirent qu’un car rempli de frères était déjà parti. Un coup de téléphone urgent à la frontière ne servit de rien. Le car était déjà en Espagne depuis longtemps.
En novembre 1965, à Rossio ao Sul do Tejo, trois agents de police encerclèrent un groupe de dix-sept frères assemblés pour l’étude de La Tour de Garde. Ils interrompirent la réunion et confisquèrent les Bibles et les publications. Ils fouillèrent les frères et les emmenèrent au poste de police sous les quolibets et les insultes d’une foule de badauds qui prenaient des allures d’émeutiers.
Ce soir-là, les frères apprirent qu’ils seraient mis en liberté provisoire à condition de verser une caution de 2 000 escudos (450 FF) chacun. Seuls sept d’entre eux pouvaient réunir une telle somme. Puis les autorités policières relâchèrent tous les frères, à l’exception d’António Manuel Cordeiro et de Tiago Jesus da Silva, qu’elles tenaient pour les organisateurs de la réunion.
Leur caution fut fixée à 20 000 escudos (4 500 FF) chacun, somme exorbitante pour le citoyen moyen, dont le salaire mensuel n’était que de 1700 escudos (environ 400 FF). On les tint au secret pendant plusieurs jours, puis on les incarcéra pour trois mois, jusqu’à ce que les accusations portées contre eux aient été retirées.Le jour même où la police arrêta la réunion qui se déroulait à Rossio ao Sul do Tejo, des agents de la PIDE firent irruption dans la Salle du Royaume de Coïmbre, ville universitaire. Après avoir écouté la réunion pendant une vingtaine de minutes, ils l’interrompirent puis confisquèrent toutes les Bibles et les ouvrages édités par la Société. Quand le surveillant demanda, au nom des frères, l’autorisation de conserver leur Bible personnelle, les policiers rétorquèrent: “Non, nous ne pouvons vous le permettre. Nous sommes tenus de saisir vos Bibles parce qu’elles sont soulignées, ce qui signifie que vous interprétez ces textes-là à votre manière.”
LES PLANS DES OPPOSANTS SONT DÉJOUÉS
Si la police intensifiait son activité, les frères, de leur côté, redoublaient d’ingéniosité pour se sortir des situations délicates. C’est ce qu’illustre l’aventure d’un proclamateur de dix-sept ans. Écoutons-le:
“Dans un cas de force majeure, je suis arrivé à la Salle du Royaume avec une quinzaine de minutes de retard. J’ai immédiatement remarqué quelque chose d’anormal: un homme faisait les cent pas devant la salle. J’ai tout de suite pensé qu’il devait s’agir d’un agent de la PIDE. Je me suis donc mis, moi aussi, à aller et à venir, mais toujours dans le sens contraire. Nous nous sommes croisés plusieurs fois. Au bout d’un quart d’heure, l’homme s’approcha de moi et chuchota: ‘J’avais l’impression que vous étiez des leurs, mais je
vois que ce n’est pas le cas. Dites-moi, ne serions-nous pas en train de faire la même chose, par hasard?’ Avec assurance, je lui répondis: ‘Vous le voyez bien; veuillez seulement m’excuser d’être arrivé en retard.’ Alors il me dit: ‘Ce n’est pas grave. Toutefois, si cela ne vous dérange pas, surveillez cette salle pendant que je vais dîner. Je reviens tout de suite!’ Je lui répondis: ‘Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout!’ Après avoir attendu quelques minutes, j’ai pénétré dans la salle. Dès que j’eus expliqué aux frères ce qui s’était passé, nous avons tous pris la poudre d’escampette!”EXPANSION À MADÈRE
À Madère, les frères subissaient aussi l’opposition, mais l’œuvre faisait de bons progrès. En 1966, un frère de Madère eut le privilège unique de se faire accompagner par un policier de porte en porte. Il avait en effet été arrêté alors qu’il participait au ministère de maison en maison, et les policiers se demandaient si sa mission était purement biblique. Ils pensèrent donc que la meilleure manière de régler la question consistait à retourner dans les foyers où notre frère s’était rendu, afin de se renseigner. Celui-ci partit donc en compagnie d’un policier. À chaque porte on vérifia ce qu’il avait dit, et il en profita pour présenter un témoignage supplémentaire. De nombreuses personnes, qui ne l’avaient pas écouté lors de son premier passage, furent tellement surprises de le voir revenir avec un policier qu’elles lui prêtèrent cette fois la plus grande attention. L’agent, pour sa part, ne tarda pas à exprimer le désir de s’arrêter, mais le frère, lui, tenait à ce que le contrôle soit effectué dans toutes les maisons où il était allé. À la fin, le policier, épuisé, déclara qu’il ferait en tout cas un rapport favorable sur la persévérance du frère et sur son aptitude à exposer le message de la Bible.
FERMETURE DES SALLES DU ROYAUME
Dans tout le Portugal, les Salles du Royaume étaient de plus en plus souvent la cible des descentes de police, ce qui nous fit perdre du matériel de valeur. Tous les efforts qu’on avait faits pour obtenir la reconnaissance légale de l’œuvre n’avaient produit aucun résultat tangible. Dès lors, en 1966, il était temps de voir la situation en face. De nombreux facteurs indiquaient que l’œuvre du Royaume s’effectuerait dans de meilleures conditions si l’on se réunissait par petits groupes dans des demeures privées. Même si le gouvernement refusait de nous reconnaître légalement, il ne pouvait nier notre existence. Les Témoins de Jéhovah étaient bel et bien là, de plus en plus nombreux, et la prédication de la bonne nouvelle était couronnée de succès.
Ce fut une rude épreuve pour un grand nombre de frères, et ce malgré la confiance totale qu’ils avaient en la direction de l’“esclave fidèle et avisé”. D’aucuns se demandaient comment l’organisation pourrait aller de l’avant. Plusieurs ne croyaient pas que des petits groupes d’étude de livre, qui comptaient une vingtaine de proclamateurs, puissent constituer autant de congrégations. Sans l’ombre d’un doute, cette méthode représentait beaucoup plus de travail, puisque chaque groupe allait devoir organiser son propre programme de cinq réunions hebdomadaires. Nombre de frères et sœurs prononceraient chaque semaine des allocutions à la réunion de service ou à l’École du ministère théocratique, si ce n’est à ces deux réunions. Toutefois, l’avenir allait révéler que leurs craintes n’étaient pas fondées, car ce surcroît de travail entraîna plutôt des progrès spirituels et de l’accroissement.
UN PROCÈS D’UNE GRANDE PORTÉE
En juin 1966, une affaire fut portée devant la Cour
plénière de Lisbonne. Ce procès, qui concernait quarante-neuf membres de la congrégation de Feijó, attira l’attention de tout le Portugal. Tout avait commencé une année plus tôt, lorsque la police avait interrompu une réunion d’environ soixante-dix personnes chez Afonso Mendes et arrêté les surveillants, Arriaga Cardoso et José Fernandes Lourenço.Après quatre mois et vingt jours d’emprisonnement, les deux frères furent libérés sous caution. Pendant leur séjour en prison, on leur refusa toute lecture, y compris la Bible, et ils subirent des heures d’interrogatoire. L’État instruisit un procès à l’encontre des deux surveillants et de quarante-sept autres membres de la congrégation. Quant à la caution, elle fut fixée à 2 000 escudos (450 FF) par personne. Le gouvernement prépara aussi un dossier de 416 pages. Les Témoins furent accusés de “crime contre la sûreté de l’État”. L’accusation ajouta: “Ils forment un mouvement politique, issu de divers pays, qui vise à fomenter la désobéissance, l’agitation et la subversion chez les masses populaires, et notamment chez les jeunes en âge de faire leur service militaire.” Quand vint le jour du procès, des Témoins étaient venus de tout le pays apporter un soutien moral à leurs frères. Ceux de Porto, dans le nord, avaient même affrété un car pour s’y rendre. Les officiers de police n’avaient jamais vu pareil spectacle: des centaines de Témoins affluèrent vers le Palais de justice.
En rapportant l’événement, le journal O Século de Lisbonne déclarait: “Quiconque se trouvait hier à Largo da Boa Hora [la place du Palais de justice] a pu contempler un spectacle pour le moins insolite (...). Les fenêtres du premier et du deuxième étage, ainsi que les nombreux couloirs du palais étaient remplis de gens. Dans le patio, la foule s’entassait également (...).
Aucun incident n’a été signalé. D’après les estimations, ils devaient être plus de deux mille à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment. C’était bien la première fois qu’il y avait tant de monde. Il s’agissait en majorité de sympathisants des accusés et de leur religion.”Le juge António de Almeida Moura ne perdit pas de temps. Il dit tout de suite à Arriaga Cardoso, le premier accusé, que la garantie constitutionnelle de liberté du culte ne s’appliquait pas à une religion comme celle des Témoins de Jéhovah. Le journal lisbonnin Diário Popular du 24 juin 1966 reproduisait ainsi sa déclaration: “Il n’y a pas de liberté pour qui invente une religion afin d’agir à sa guise au nom de Dieu ou de quoi que ce soit d’autre. Une telle personne doit se soumettre aux hommes qui dirigent sur terre (...). Vous êtes accusés de désobéissance au droit commun de la Nation.”
Quand frère Cardoso prit sa Bible pour lire Romains 13:1, texte qui montre que nous devons nous soumettre aux “autorités supérieures” ici-bas, pour autant que leurs lois ne s’opposent pas à celles de Dieu (Actes 5:29), le juge le coupa en disant, selon le récit du même journal:
“Ne vous servez pas de la Bible! Pour vous, c’est la Bible qui compte, mais pour le tribunal, c’est la loi. La Bible ne régit pas les activités civiles des hommes. Ne l’invoquez donc pas. Chacun l’interprète à sa façon et selon son intérêt. La Bible n’est pas la constitution de l’État. Le tribunal n’a pas à regarder la Bible, telle qu’elle est interprétée par un Américain, comme la constitution politique de la République portugaise.”
Le deuxième jour du procès, la défense présenta force preuves attestant que les Témoins de Jéhovah ne conseillent à personne de transgresser les lois d’un gouvernement quelconque, pas plus qu’ils n’encouragent
un tel comportement. Lors de la dernière session, qui se tint le 7 juillet 1966, Maître Vasco de Almeida e Silva, avocat de la défense, expliqua courageusement que le dossier du gouvernement n’était pas fondé sur des faits. Comme il le démontra brillamment, on n’avait pas avancé la moindre preuve attestant que les Témoins “forment un mouvement politique” et qu’ils encouragent “l’agitation et la subversion chez les masses populaires”.Il conclut sa défense intrépide en conjurant magistralement la cour de considérer avec respect l’avis d’un homme de loi du premier siècle nommé Gamaliel. En le citant, il regarda les juges et les supplia en ces termes: “Ne vous occupez pas de ces hommes, mais laissez-les aller; (car si ce dessein ou cette œuvre vient des hommes, elle sera renversée; mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les renverser;) autrement, on vous trouvera peut-être en train de combattre contre Dieu.” — Actes 5:38, 39.
Quant au procureur, il ne produisit pas un seul témoin pendant les trois jours que dura le procès. Il n’essaya pas même de faire subir un contre-interrogatoire aux accusés ni aux témoins de la défense. D’ailleurs, il n’intervint qu’une seule fois au cours du procès, et à la conclusion, il se contenta de dire: “Je demande que justice soit faite.”
Deux jours plus tard, la Cour plénière condamna les quarante-neuf Témoins à des peines de prison allant de quarante-cinq jours à cinq mois et demi. Certains juristes portugais taxèrent ce procès de “caricature de la justice”, de “comédie” et d’“erreur judiciaire”. Bien que l’on interjetât immédiatement appel auprès de la Cour suprême, il semblait plus évident que jamais que la bataille pour le vrai culte restait à combattre.
LA PRUDENCE S’IMPOSE
À peine le procès terminé, il était déjà temps de se rendre en France pour assister à l’assemblée de district “Fils de Dieu, fils de la liberté”. À cette occasion, l’animosité que les autorités vouaient aux Témoins se fit jour une fois de plus. Cette année-là, au moment même où ceux-ci faisaient leurs préparatifs de voyage, on refusa à quelque 150 frères le passeport collectif qu’ils avaient demandé.
À propos de l’assemblée de 1966 en France, un fait intéressant montre comment la protection de Jéhovah se manifeste parfois de façon étonnante. Paul Hundertmark, surveillant de filiale, avait adressé une note au bureau de Paris pour exposer son projet de voyager en avion. Il avait l’intention d’emporter d’importants documents pour les faire sortir du pays. Puisque l’adresse de la filiale devait rester secrète, il inscrivit l’adresse de Manuel Almeida comme celle de l’expéditeur. Peu après, la PIDE fit une descente chez Manuel et fouilla la maison dans l’espoir d’y trouver des publications, mais en vain. L’inspecteur de police menaça Manuel de lui faire perdre son emploi s’il ne révélait pas l’endroit où les publications étaient cachées. Pour donner du poids à ses menaces, il lui demanda l’adresse de son employeur et l’écrivit sur un morceau de papier qu’il tenait en main. Au cours de ses recherches, l’inspecteur posa le papier en question sur la table et oublia de le reprendre en partant. Manuel, pour sa part, s’empressa de le récupérer. Au dos du papier il lut un message mystérieux ainsi libellé: “Correspondance. L. Pontes, Paris.” Pour lui, cela n’avait aucun sens.
Quelques jours plus tard, frère Hundertmark lui rendit visite, et Manuel lui montra ce papier. Il comprit tout de suite ce dont il s’agissait. Les agents de la
PIDE avaient intercepté la note anonyme qu’il avait envoyée à L. Jontès (ils avaient mal orthographié son nom), surveillant de la filiale de Paris, et ils étaient donc manifestement au fait de son intention d’aller à Paris. Il va sans dire qu’il annula son voyage à l’assemblée. C’est ainsi que le surveillant de la filiale et les documents confidentiels furent sauvés une fois de plus.Le 14 juillet 1966, le journal lisbonnin Diário da Manha publia en première page un récit qui alerta les frères avec juste raison et dont ils dégagèrent une leçon capitale. D’une manière ou d’une autre, une lettre confidentielle renfermant des instructions sur le voyage à l’assemblée de district en France tomba aux mains des autorités et fut intégralement publiée dans le journal. Les frères devraient donc désormais prêter plus d’attention encore au conseil suivant de Jésus: “Montrez-vous donc prudents comme des serpents, mais innocents comme des colombes.” (Mat. 10:16). Malgré tout, environ 430 frères parvinrent à assister à l’assemblée de district. Ils se rappellent encore les premières représentations dramatiques, comme celle qui évoquait le séjour de Joseph en Égypte et son refus catégorique de se laisser séduire par la femme de Potiphar.
La valeur de ces représentations dramatiques appropriées ressort bien d’un fait vécu par un frère d’Angola, qui était chauffeur de camion dans une grande plantation. On se moquait souvent de lui parce qu’il refusait de manger des mets qui contenaient du sang et parce qu’il ne recherchait pas la société des prostituées. Un jour, après un repas spécial, en présence de tous ses collègues de travail, il présenta un excellent témoignage et démontra que les arts magiques étaient contraires à la volonté de Dieu. Parmi les auditeurs, un spirite en fut
irrité au plus haut point. Celui-ci décida donc, avec d’autres ouvriers, de mettre à l’épreuve la résistance du frère aux tentations d’ordre sexuel. Après qu’il fut parti prendre son poste de nuit, ils louèrent les services d’une prostituée pour le séduire. C’est ainsi qu’en rentrant chez lui, à sa grande surprise, notre frère trouva une femme dans son lit. Quand il lui ordonna de quitter sa chambre, un éclat de rire tonitruant retentit dans la pièce voisine. Mais le stratagème avait échoué.LA VÉRITÉ SE PROPAGE EN DÉPIT DES PERSÉCUTIONS
Cependant, en Angola, l’épreuve principale demeurait la persécution violente. Dans la colonie pénitentiaire proche de Serpa Pinto, on proposa plusieurs fois à frère Mancoca de signer des documents attestant qu’il renonçait à sa foi. On confisqua de nouveau les quelques publications qu’il était parvenu à se procurer. En revanche, l’administrateur du camp lui fit cadeau de deux livres écrits par les adversaires des Témoins. Mancoca raconte: “Après qu’on m’eut donné ces livres, on m’encouragea maintes fois à suivre l’exemple des gens qui avaient rédigé ces pamphlets contre les Témoins. On me promit une liberté absolue à condition que je coopère avec les autorités. J’aurais dû être relâché au bout de cinq ans, mais, là encore, on refusa de me libérer, parce que je ne collaborais pas comme on l’aurait souhaité.”
En conséquence, Mancoca fut transféré en 1966 dans le camp de travail isolé de São Nicolau, dans la province de Moçãmedes. Il eut un frémissement quand il aperçut l’administrateur de son nouveau camp. Ce n’était nul autre que le caporal qui l’avait presque battu à mort à Luanda en 1961, lors de sa première arrestation. On déclara à Mancoca qu’il saurait bientôt qui, des Témoins ou de l’État, avait raison. En se rappelant
ces jours-là, notre frère déclare: “Là aussi, malgré les interrogatoires incessants destinés à me faire changer d’avis, je ne me suis pas contenté d’attendre la liberté les bras croisés. Je savais que l’inactivité signifiait la mort. Or, tant que je n’étais pas mort, je continuerais à employer mon souffle de vie pour louer Jéhovah.”Mancoca guettait les occasions de donner le témoignage aux prisonniers, mais avec beaucoup de prudence. Le ministère de ce frère fidèle fut abondamment béni, puisque dans ce camp, une douzaine de personnes s’intéressèrent bientôt à la vérité. Certains de ces prisonniers, parmi les plus dignes de confiance, étaient parfois envoyés en mission à Moçãmedes et parvinrent à introduire, cachés dans leurs chaussures, des périodiques qui s’avérèrent très utiles.
Nos frères continuaient d’accomplir l’œuvre en Angola en dépit des pires difficultés et sous la surveillance implacable de la police. En 1967, à Moçãmedes, frères Jaõo Pedro Ginga et António Sequeira descendaient la rue vaquant à leurs occupations quotidiennes, quand la police surgit et les arrêta. On les fit comparaître devant un conseil administratif qui les condamna sans autre forme de procès à deux ans de travaux forcés. Ces deux frères avaient déjà passé trois ans en prison auparavant.
Par suite du zèle que les frères déployaient pour répandre le message du Royaume, des groupes de détenus vinrent à la vérité dans chacun des camps de travail pénitentiaires. Certains écrivaient à Lisbonne pour demander de l’aide. Nous citons ici quelques lignes d’une lettre qui venait de Moçãmedes: “Nous avons demandé à Jéhovah de nous envoyer un frère capable pour nous aider. Bon nombre d’entre nous sont prêts à symboliser l’offrande de leur personne. En dépit d’une opposition violente, nous avons été protégés au
delà de toute espérance. Nous avons reçu des publications au port, grâce au concours d’un policier complaisant. Vraiment, la puissance vivifiante de Dieu est immense.”UNE MÉTHODE DIFFÉRENTE
Mais les ennemis du culte pur ne se lassent jamais. Ils s’efforcent toujours de calomnier les serviteurs de Jéhovah ou de les prendre au piège. Ainsi, en octobre 1966, les autorités portugaises ourdirent une nouvelle machination pour inciter les Témoins de Jéhovah à organiser une manifestation massive contre le gouvernement. Au début du mois, plusieurs surveillants de Lisbonne reçurent la note suivante, signée du nom d’un surveillant local:
“Frère Jéhovah,
“Étant donné que les congrégations des États-Unis ont décidé de soutenir notre grande campagne de protestation contre le gouvernement, nous tenons à ce que la meilleure publicité soit donnée au rassemblement de tous les Témoins de Jéhovah pour une MANIFESTATION SILENCIEUSE de protestation au ministère de l’Intérieur, Praça do Comércio [l’une des places de Lisbonne], le 15 courant, à une heure de l’après-midi [samedi].
“Pour notre Dieu Jéhovah,
Silvério Silva”
La filiale envoya sur-le-champ aux congrégations de Lisbonne une circulaire, datée du 12 octobre 1966, afin de les avertir du piège qu’on leur tendait.
Point n’est besoin de dire que ces loups en vêtements de brebis virent leur plan complètement déjoué. Pas une seule personne ne vint manifester. Deux frères, qui avaient été dépêchés sur les lieux pour rendre compte de la situation, virent la police et les forces militaires d’intervention armées de grandes lances à eau et de
teinture bleue, prêtes à bondir sur les manifestants éventuels!DES PRESSIONS GRANDISSANTES AUX AÇORES
Pendant ce temps, le 12 octobre 1966, Manuel Leal, qui était pionnier, parlait à son voisin lorsqu’un agent de la PIDE l’arrêta. Dans l’automobile qui le conduisait au poste de police, le policier demanda plusieurs fois à Manuel de lui donner les noms et adresses des gens à qui il avait présenté le témoignage. Au grand dam de l’agent de police secrète, le pionnier répondit: “Votre père!” Effectivement, Leal avait parlé plusieurs fois à son père. Il raconte: “Eh bien, quand je lui eus dit le nom de son père, il fut tellement contrarié qu’il s’écria: ‘Ne répétez jamais ce nom-là!’ En tout cas, pendant le reste du voyage, il ne m’a plus posé la moindre question.”
Au bureau de la police, les agents de la PIDE injurièrent Leal et lui enjoignirent de quitter l’île Terceira. Quelle fut sa réaction? “Je leur ai expliqué, dit-il, que j’habitais l’île depuis plus de seize ans, que mes enfants y étaient nés et que je n’avais nulle envie de déménager. Ils me menacèrent de quatre-vingts jours d’emprisonnement s’ils me surprenaient à nouveau en train de prêcher. Ils me dirent également que, pour pouvoir rester sur l’île, il me faudrait trouver un citoyen local estimé qui voudrait bien se porter garant de moi et qui endosserait ma résidence sur l’île. Sur quoi ils m’ordonnèrent de rentrer chez moi. Puisqu’ils avaient saisi tous mes biens, y compris mon argent, je leur ai demandé de me donner au moins de quoi parcourir les dix-neuf kilomètres qui me séparaient de mon domicile. Mais le chef de la police refusa, m’ordonnant de faire le chemin à pied.”
Frère Leal parvint à trouver un citoyen influent qui II Corinthiens 6:10, ‘comme affligés mais nous réjouissant toujours, comme pauvres mais faisant bien des riches, comme n’ayant rien et pourtant possédant tout’.”
se porta garant de lui et assuma la responsabilité de sa résidence malgré les menaces des policiers. Ensuite, avec le consentement tacite de la police, le clergé poussa les jeunes gens de l’Action catholique à harceler les Témoins. À plusieurs reprises, en 1966, la populace lança des cailloux aux frères. On lâcha sur eux des chiens méchants. Certains Témoins furent bousculés et malmenés, tandis que d’autres furent poursuivis par des gens armés de houes. Pourtant, en ces temps difficiles, nos frères ne se sentaient ni tristes ni pessimistes. Quelle était leur attitude mentale? Frère Leal répond: “Nous manifestions l’esprit évoqué enLA COUR SUPRÊME REND SON VERDICT
Le 22 février 1967, la Cour suprême rendit sa décision sur l’appel que nous avions interjeté dans l’affaire de Feijó. Elle confirma le jugement de la Cour plénière, qui condamnait les quarante-neuf membres de la congrégation à des peines de prison. Tous les inculpés se virent ôter leurs droits politiques pendant quatre ans. Dix personnes bien disposées, qui n’étaient pas baptisées, furent condamnées avec sursis. Quant aux peines de prison, elles variaient d’un mois et demi à cinq mois et demi. Le tribunal condamna également chaque Témoin à payer une amende de 1 350 escudos (300 FF) à 5 000 escudos (1 100 FF) et leur réclama les frais de justice, soit 1 000 escudos (220 FF) par personne.
Parmi les prévenus figuraient de nombreuses femmes dont le mari, qui n’était pas dans la vérité, voulait verser la somme nécessaire pour épargner la prison à leur épouse. Toutefois, vingt-quatre Témoins furent
effectivement emprisonnés. Le plus jeune avait vingt ans et le plus vieux soixante-dix. Dans certains cas, le mari et la femme furent incarcérés tous les deux, de sorte que les enfants se retrouvèrent tout seuls. Ainsi, vingt enfants âgés de quinze mois à seize ans furent séparés de leurs parents chrétiens. Toutefois, des frères et des sœurs démontrèrent leur amour en offrant de s’occuper d’eux. En fait, plus de foyers ouvrirent leur porte qu’il n’en était besoin. Par ailleurs, beaucoup contribuèrent généreusement à l’entretien des enfants. Pour ne citer qu’eux, les frères des États-Unis envoyèrent l’équivalent de 130 000 escudos (25 000 FF). Belle démonstration d’amour et de sollicitude, en vérité!Le 18 mai 1967, les Témoins condamnés se présentèrent à la Cour plénière pour être incarcérés. Les sœurs furent dirigées vers la prison de Mónicas, et les frères vers celle de Limoeiro, établissements situés chacun à une vingtaine de minutes de marche du Palais de justice. Un spectacle inédit s’ensuivit. En effet, on ordonna aux frères de se rendre à la prison à pied, sans escorte, pour se livrer aux autorités pénitentiaires. Pensez donc! Ces maris et ces femmes, ces “citoyens dangereux”, qu’on condamnait à la prison parce qu’ils menaçaient “la sûreté de l’État”, on les laissait se rendre à la prison en toute liberté! Maître Vasco de Almeida e Silva, l’avocat qui les avait défendus, vint personnellement faire ses adieux à chacun d’entre eux. Il fit les remarques suivantes: “On n’entendait pas le moindre cri. Les sœurs ne se sont pas laissées aller à des crises de larmes. Tous gardaient un calme et une dignité admirables. Leur conduite était bien, je pense, celle qu’on pouvait attendre de la part de véritables témoins du Dieu Très-Haut. En tout cas, vous pouvez être certains de ceci: un grand témoignage sera donné dans ces prisons.” Il ne pouvait pas mieux dire.
LA CONDUITE CONSTITUE UN TÉMOIGNAGE
La directrice de la prison choisit sœur Alda Vidal Antunes, pionnier spécial de cinquante-cinq ans, pour lui faire subir un traitement particulier. Quand elle lui ordonna de broder une nappe pour l’autel de l’église, sœur Antunes lui expliqua poliment les raisons de son refus et lui fit savoir qu’elle accepterait avec joie d’accomplir une autre tâche. Pour ce motif, on l’enferma pendant plusieurs heures dans une chapelle, puis on la transféra dans la prison de Tires, qui était supervisée par des religieuses.
Quand la sœur arriva, la mère supérieure essaya de la forcer à assister à la messe, mais elle refusa inflexiblement. Les religieuses la reléguèrent ensuite pendant plus d’un mois dans une cellule de ciment froide. La conduite chrétienne de notre sœur incita progressivement les autres prisonnières à se mieux comporter. On entendit de moins en moins de cris et de coups sur les portes des cellules, au point même que la mère supérieure finit par faire cet aveu à propos des Témoins de Jéhovah: “Vous savez, admit-elle, ces gens-là croient vraiment à la Bible. Leur personnalité semble complètement différente. Quand je les compare aux gens qui professent la même religion que moi, je me rends compte du contraste.”
Tandis que frère Afonso Costa Mendes, père de quatre enfants, était en prison, son contremaître, qui détestait les Témoins, vit là l’occasion de provoquer son licenciement en faisant un rapport défavorable sur son travail. Trente ans d’ancienneté dans l’entreprise et une retraite confortable étaient en jeu, mais frère Mendes savait qu’il lui fallait remettre l’affaire entre les mains de Jéhovah. Les autorités pénitentiaires lui confièrent un travail qui le mit en contact avec le directeur des affaires sociales, lequel remarqua sa belle
conduite. Puis, un beau jour, alors qu’il avait presque fini de purger sa peine, le directeur le convoqua dans son bureau. Quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver nez à nez avec le directeur du personnel de son usine! Ce dernier s’entendit dire que notre frère était un excellent ouvrier, qui méritait toute la confiance de son employeur. Le directeur des affaires sociales lui recommanda de réintégrer le frère dans son entreprise en lui confiant le poste qu’il occupait auparavant et en maintenant tous ses avantages. C’est ce qui fut fait.LES TRACASSERIES CONTINUENT
Pendant que les frères purgeaient leur peine, les arrestations continuèrent par tout le Portugal et l’Angola. Le 28 février 1967, à Luanda, en Angola, une demeure privée dans laquelle sept frères étaient réunis fut encerclée par sept agents de la PSP armés de fusils et de mitrailleuses. Ceux-ci confisquèrent toutes les publications, y compris les Bibles, et firent marcher les frères jusqu’au poste de police pour les soumettre à un interrogatoire qui se prolongea jusqu’à deux heures du matin. Le chef de la police conclut l’entrevue en leur disant qu’il avait un bon conseil à leur donner: “Cessez donc de vous fatiguer à lire la Bible, dit-il, et employez plus sagement votre temps, par exemple en vous consacrant à séduire les jeunes filles. Maintenant, si vous voulez vraiment apprendre quelque chose sur la Bible, adressez-vous au prêtre. Lui, il sait de quoi il parle.”
Pendant ce temps, William Roberts était missionnaire dans le nord du Portugal avec Dorothée, sa femme, depuis 1959. En avril 1967, la police finit par le repérer à Braga, la ville la plus catholique du pays, alors qu’il s’acquittait de sa fonction de surveillant de circonscription. Les autorités confisquèrent leur carte de séjour. Peu après, ce couple d’évangélisateurs zélés quitta le Portugal pour servir en Irlande.
UN ACCUEIL IMPRÉVU À LA FRONTIÈRE
Pour les Témoins du Portugal, l’assemblée de district “Faites des disciples” se tint en été 1967 à Marseille, en France. En retournant dans leur pays, à bord de neuf cars affrétés spécialement, les frères rencontrèrent un comité d’accueil inattendu. Les agents de la PIDE et les douaniers confisquèrent une quarantaine de cartons de publications dans les six premiers cars qui atteignirent la frontière, non loin d’Elvas. Certains touristes demandaient ce qui se trouvait dans les grandes piles de cartons confisqués. Quand on leur répondit qu’il s’agissait de Bibles et d’ouvrages bibliques, ils n’en croyaient pas leurs oreilles.
En discutant avec un touriste qui partait pour l’Espagne, un frère vif fit la remarque suivante: “Et ce n’est pas tout! Il y a trois autres cars qui arrivent par cette route avec davantage de livres encore.” Cet homme, qui lui était totalement inconnu, lui répondit: “Écoutez: je vais partir dès que possible. Peut-être arriverai-je à arrêter les autres cars pour les avertir.” Aussitôt dit, aussitôt fait. On put donc stocker provisoirement ces précieuses publications dans une pièce louée à Badajoz, en Espagne. Manifestement, quelqu’un avait prévenu les autorités que les frères ramenaient des publications de France.
Isabel Vargas, une sœur lisbonnine assez forte et bon enfant, nous rapporte en ces termes comment elle est arrivée à garder certaines de ses publications en une autre occasion: “Les policiers montèrent dans le car et nous sommèrent de leur donner tous nos ouvrages bibliques, sans quoi ils les prendraient eux-mêmes. Ils empilèrent les publications sur le siège qui se trouvait juste devant moi. Ma Bible personnelle, qui contenait des annotations que j’avais faites pendant des années, était juste sur le dessus de la pile. Je ne pouvais plus
résister. Pendant qu’ils tournaient la tête, j’ai respiré à fond, puis je l’ai rapidement glissée dans ma robe, sur le devant. Plusieurs autres livres suivirent le même chemin. Personne ne remarqua que j’avais grossi d’un seul coup.”Les autorités prirent une mesure draconienne à l’encontre de sœur Emília Afonso Gonçalves, de Lisbonne. Bien qu’elle fût née en Espagne et qu’elle eût épousé un Espagnol, son père, lui, était portugais. Elle habitait Lisbonne depuis quarante ans. On ordonna donc à cette humble femme de cinquante-deux ans, maintenant veuve, de quitter le pays dans les quarante-huit heures. Le consul espagnol à Lisbonne ne parvint pas à retarder l’échéance. Il lui montra la note officielle de la PIDE qui spécifiait qu’on l’exilait parce qu’elle appartenait à la “secte Les Témoins de Jéhovah”. Le 16 septembre 1967, elle partit pour l’Espagne.
UNE ATTITUDE COURAGEUSE
Les serviteurs de Jéhovah n’ont rien à craindre quand les autorités les interpellent. Au lieu de trembler et de ramper devant elles, ils adoptent l’attitude décrite en Hébreux 13:6. Nous lisons: “De sorte que nous pouvons avoir bon courage et dire: ‘Jéhovah est mon aide; je n’aurai pas peur. Que peut me faire un homme?’” Ce fait est bien illustré par ce qui est arrivé à frère Joaquim Freitas. Cet ancien catholique était chef d’une entreprise qui employait de nombreux ouvriers. Quand il fut convoqué par la PIDE, il devint évident que les autorités ne savaient pas comment s’y prendre. Frère Freitas saura nous raconter leur entrevue mieux que quiconque:
“Avec une politesse exquise, ils m’ont dit qu’ils étaient navrés d’avoir eu à me déranger, parce que mon temps était précieux. Comme ils semblaient gênés de m’exposer la raison de cette convocation, je leur ai dit:
‘En effet, mon temps est précieux, et le vôtre aussi. Vous voulez sans doute apprendre quelque chose sur mon compte. Peut-être désirez-vous savoir si je suis Témoin de Jéhovah? Eh bien, je le suis! Souhaitez-vous connaître autre chose à présent?’“Ma franchise rompit la glace, si j’ose dire. Ils m’expliquèrent ensuite qu’il s’agissait d’une très mauvaise organisation, que je devais la quitter pour redevenir un bon catholique. Puis ils m’ont laissé parler. Je leur ai alors déclaré que j’avais été élevé catholique, et que j’avais même compté un prêtre parmi mes amis. Je me rappelais d’ailleurs l’avoir vu ivre. Je m’étais livré à la débauche, comme tant d’autres, mais depuis que j’étudiais la Bible avec les Témoins, j’avais purifié ma vie et, à présent, je me comportais comme un mari chrétien: je n’avais qu’une seule femme. Sur quoi je leur ai demandé: ‘Alors, messieurs, j’aimerais vous poser cette question: Dois-je redevenir catholique, ou bien rester Témoin de Jéhovah?’” Point n’est besoin de dire qu’on ne le retint pas longtemps.
DES PROGRÈS AU CAP-VERT
Depuis l’expulsion du missionnaire en 1963, la situation n’avait guère évolué au Cap-Vert. Toutefois, l’année 1966 vit l’arrivée d’un visiteur spécial: un frère domicilié aux États-Unis revint dans son archipel natal, plaça de nombreux ouvrages et rendit témoignage au Royaume sur les îles São Vicente et Santo Antão.
À São Tiago, l’homme bien disposé qui, tout seul, avait appris la vérité en 1958 en lisant le livre “Que Dieu soit reconnu pour vrai!”, livre qu’il avait trouvé chez un photographe de ses amis, continuait à correspondre avec la filiale de Lisbonne. En 1965, il rassembla huit personnes pour célébrer le Mémorial. En rapportant à la filiale cet heureux événement, il écrivit:
“J’ai le regret de vous faire savoir que seuls six des huit assistants ont pris les emblèmes. C’est sans doute parce que les deux autres ne sont pas encore mûrs.” Bien évidemment, ce groupe avait besoin d’aide. Quelle ne fut pas leur joie de recevoir pour la première fois la visite d’un surveillant itinérant en 1968! Quand arriva la date du Mémorial, il n’y avait que trois proclamateurs sur l’île, mais on compta trente et un assistants à la célébration. Cette fois, en revanche, personne ne prit les emblèmes.
DES VISITES RAPPROCHÉES
En été 1968, il devait y avoir une assemblée de district en France. Les préparatifs demandaient des mois de travail, puisque tout le programme, représentations dramatiques comprises, devait être traduit, répété et enregistré. À ce propos, la famille Ruas se rappelle un fait intéressant. Celeste nous relate ce qui s’est passé:
“Nous avions enfin fini d’enregistrer la représentation dramatique consacrée à la fille de Jephté, et nous l’avions gardée à la maison pour la prochaine répétition. À sept heures du matin, la sonnette retentit. ‘Qui est là?’ avons-nous demandé. Les visiteurs se présentèrent comme les agents de la PIDE. Je leur ai dit d’attendre une minute, le temps que je m’habille. Ayant déjà reçu plusieurs fois la visite de la police, nous avions peu de publications chez nous, mais j’ai tout de suite pensé à la bande. Je me suis donc précipité à la cuisine, j’ai soulevé la plaque de la cuisinière à gaz, j’y ai glissé la bande et j’ai remis la plaque à sa place.
“Les policiers entrèrent et se mirent à fouiller la maison de fond en comble, terminant leur inspection par la cuisine. Ils avaient juste achevé leurs recherches quand Dina, notre fille, entra dans la pièce et déclara: ‘Maman, je vais faire du café.’ Elle alluma la cuisinière.
Que faire? Si je disais quoi que ce soit, les policiers trouveraient la bande et la confisqueraient. Je voyais déjà des heures et des heures de préparation s’envoler en fumée. Mais heureusement, notre fille alluma le brûleur qui se trouvait de l’autre côté. Le café fut bientôt prêt, et la police ne trouva jamais la bande.”Plusieurs jours après, les agents de la PIDE faillirent trouver les papiers nécessaires au voyage d’une centaine de congressistes. Frère Diamantino Fernandes nous relate l’incident:
“Le surveillant de district, ma femme et moi-même nous sommes rendus chez frère Almeida afin de lui remettre les documents et les fonds nécessaires pour affréter deux cars. À peine avions-nous pénétré dans l’immeuble dont il était concierge et déposé les enveloppes sur la table de l’entrée que trois agents de la PIDE se présentèrent brusquement pour fouiller son appartement. Deux policiers descendirent l’escalier avec frère Almeida, tandis que le troisième se mit à examiner les enveloppes qui se trouvaient sur la table. Nous retenions notre respiration, priant Jéhovah de l’aveugler. Sans rien dire, il reposa les enveloppes sur la table et descendit à son tour rejoindre les autres policiers. Dès qu’il fut hors de vue, nous avons ramassé nos précieux documents et sommes partis. Cette fois encore, Jéhovah nous avait indiscutablement protégés.”
En Matthieu 10:17, Jésus dit à ses disciples: “Soyez sur vos gardes avec les hommes; car ils vous livreront.” C’était là un sage conseil, comme cela ressort de l’épisode suivant:
“Nous avions organisé un ‘pique-nique’ pour la congrégation lors de la fête des Mères, parce que ce jour férié justifierait fort bien un rassemblement dans les bois de Monsanto. Nous avions posté des gardes en quelques points stratégiques, et les frères avaient
emmené leurs paniers de victuailles, le vin, le ballon de football et un tourne-disque. Peu avant midi, le discours public avait été prononcé et on était en train d’examiner les derniers paragraphes de l’article d’étude de La Tour de Garde, quand nos gardes donnèrent le signal d’alarme. À l’instant même, tout le monde s’activa, et en quelques minutes, les paniers étaient ouverts, le vin était versé, le tourne-disque fonctionnait et les garçons jouaient au ballon à côté. À ce moment, un policier fit son apparition. Après avoir mesuré la situation, il demanda: ‘Qu’est-ce qui se passe ici? S’agit-il d’une réunion religieuse?’ Le frère qui devait être notre porte-parole en pareille circonstance répondit: ‘Voyez vous-même: Nous sommes en pique-nique.’ Sans souffler mot, le policier se retira.“Par mesure de précaution, on invita les frères à rassembler toutes les publications et les Bibles pour les mettre dans une des voitures situées beaucoup plus bas, sur la route. À peine était-ce fait que le policier revint, accompagné cette fois de quinze soldats de la GNR, le fusil à la main. Ils fouillèrent avec soin les paniers à provisions, mais en vain. Ils ne trouvèrent pas le moindre livre, pas même une seule Bible. Le sergent et ses hommes repartirent bredouilles, tout en nous disant avec un sourire forcé: ‘C’est bon, vous nous avez eus cette fois, mais nous savons très bien ce que vous faisiez!’”
LES TEMPS CHANGENT
Au début du mois de septembre 1968, Salazar, le premier ministre, eut une attaque. Un nouveau gouvernement fut donc formé, et le professeur Marcello Caetano fut nommé président du conseil. Quant à Salazar, il ne fut pas tenu au courant des réformes jusqu’à sa mort, qui survint en 1970. La transition fut nettement plus pacifique que beaucoup l’escomptaient.
Au début de 1969, nous avons constaté que les interventions de la police s’adoucissaient sensiblement. Quand les policiers arrêtaient les frères, ils le faisaient avec beaucoup plus de politesse. D’ailleurs, un agent de la PIDE attira lui-même l’attention d’un frère sur ce fait, en ces termes: “N’avez-vous pas remarqué l’amabilité avec laquelle on vous traite? Est-ce qu’on vous insulte? Vous êtes assis sur une bonne chaise, n’est-ce pas?” Effectivement, les frères se réjouissaient d’être traités d’une façon plus humaine. Certains rapports indiquent même que, loin de malmener les frères, la police les a parfois protégés.
Par exemple, voici ce qui se passa à Lisbonne, au cours d’une réunion: Deux policiers sonnèrent à la porte vers dix heures du soir. Quand la sœur vint leur ouvrir, ils se présentèrent et dirent qu’ils étaient venus faire leur enquête à la suite d’une plainte, parce qu’une réunion était censée se dérouler chez elle. Avec prudence, la sœur répondit: “Écoutez, je comprends bien que vous faites votre devoir, mais mon mari m’a formellement interdit de faire entrer des inconnus quand il n’est pas là. Je pense donc que vous saurez vous mettre à ma place. Si vous voulez, je peux me rendre au poste de police demain matin à la première heure, pour répondre à vos questions.” Les policiers acceptèrent sa proposition. Le lendemain matin donc, les policiers la saluèrent aimablement. Voici leur conversation:
“Bonjour. Votre réunion s’est-elle bien passée hier soir?”
“Très bien, merci”, répondit la sœur.
“Combien de personnes étaient là?”
“Oh, je ne sais pas vraiment. Peut-être vingt-cinq.”
“Non, il y en avait plus, répondit l’officier. Trente-deux pour être précis. En effet, nous les avons comptées
à la sortie de l’immeuble. Vous savez, reprit-il, vous avez de bien mauvais voisins dans cet immeuble. Ils n’arrêtent pas de faire des histoires et de se plaindre. Par exemple, si nous sommes venus chez vous hier soir, ce n’était que pour une visite de routine, parce que quelqu’un avait porté plainte. Mais nous savons depuis pas mal de temps déjà que des réunions s’y déroulent. Nous vous suggérons de dire aux assistants d’être le plus discrets possible quand ils entrent dans l’immeuble. Comme cela, nul n’aura de raison de se plaindre. Peut-être pourriez-vous aussi vous réunir dans d’autres maisons de temps en temps.”Les événements prirent aussi un tour inattendu à Vila Nova de Gaia, ville voisine de Porto, mais située de l’autre côté du fleuve. Dans une des dernières maisons où elles comptaient se rendre avant d’aller déjeuner, deux sœurs rencontrèrent une maîtresse de maison qui accepta le livre Vérité. Après leur avoir demandé d’attendre qu’elle aille chercher de l’argent, celle-ci donna un rapide coup de téléphone à la police. Quand les policiers arrivèrent, la dame fut toute surprise d’apprendre qu’elle aussi devrait se rendre au poste de police. Bien qu’elle protestât, parce qu’elle était en train de préparer le repas pour son mari qui allait arriver d’une minute à l’autre, les policiers insistèrent.
Au poste de police, on fit un rapport détaillé de l’incident, tandis que la dame s’impatientait de plus en plus. Les policiers l’avertirent cependant qu’elle n’était pas au bout de ses peines, car si l’affaire était portée devant le tribunal, elle perdrait encore beaucoup plus de temps. Affolée, elle s’exclama: “Ça, par exemple! Moi, je vous ai téléphoné uniquement à cause de ce que le prêtre nous a dit. D’après lui, la meilleure manière de s’y prendre avec les Témoins de Jéhovah, c’est d’appeler
la police sur-le-champ. Si j’avais su dans quel guêpier je me fourrais, je n’aurais jamais fait cela!” Sur le conseil des policiers, elle retira volontiers sa plainte.L’ASSEMBLÉE DE 1969 À PARIS
L’événement de l’année 1969 fut l’assemblée internationale “Paix sur la terre”, qui se déroula du 5 au 10 août à Paris, au Stade de Colombes. Tous étaient transportés de voir 2 731 assistants à la session portugaise, soit plus du triple du chiffre atteint l’année précédente à Toulouse. Nous nous réjouissions tout particulièrement d’accueillir des Témoins venus de Madère, des Açores, des îles du Cap-Vert et du lointain Angola. Pour beaucoup de ces frères et sœurs, c’était leur première assemblée.
À ce propos, le surveillant de filiale se souvient d’un épisode amusant qui survint au cours de l’assemblée. Par mesure de sécurité, les sessions portugaises se tenaient dans un local séparé. Seuls ceux qui étaient munis d’un laissez-passer pouvaient pénétrer. Quand il arriva en compagnie de frère Knorr, qui devait prononcer un discours, le garde, qui ne les reconnaissait pas, ne voulut pas les laisser entrer. Au moins, la sécurité des assistants était assurée!
L’ÉGLISE S’IMMISCE DANS LA POLITIQUE
Bien évidemment, certaines factions de l’Église catholique ne regardaient pas ces changements d’un bon œil. Le 27 septembre 1970, au cours d’une émission diffusée par la télévision et la radio, le premier ministre Marcello Caetano tança publiquement le clergé qui s’agitait. D’après le journal O Século, de Lisbonne, il déclara:
“Certaines parties de l’Église catholique manifestent des tendances qui ne peuvent manquer de perturber l’action des autorités publiques (...). Ceux qui gouvernent ne peuvent rester indifférents au fait que certains
membres du clergé tirent prétexte de leur sacerdoce et du respect traditionnel qu’ils inspirent, ainsi que de la liberté de culte et d’enseignement dont ils jouissent, pour prendre part à des activités politiques qui sont tout à la fois antisociales et antipatriotiques.”LE PROJET DE LOI “LIBERTÉ RELIGIEUSE”
Les Témoins de Jéhovah s’intéressaient tout particulièrement au projet de loi intitulé “Liberté religieuse”, projet que le gouvernement avait l’intention de soumettre à la Chambre corporative le 6 octobre 1970. Cette loi devait élargir la liberté religieuse. Comment l’opinion publique a-t-elle réagi à ce projet de loi? L’Église catholique s’est distinguée par ses critiques. Par crainte de perdre leur traitement de faveur, les évêques s’élevèrent contre ce projet de loi.
L’article IV de ce projet de loi troublait plus que les autres l’Église catholique. Voici ce qu’il stipulait. “1) L’État n’a aucune religion particulière, et les relations qu’il entretient avec les organisations qui représentent les divers groupements religieux sont fondées sur le principe de la séparation. 2) Les confessions religieuses ont droit à être traitées de la même manière.”
LE TOTALITARISME A LA VIE DURE
Toutefois, la mentalité propre à l’État policier demeurait, comme cela ressort de la dépêche “confidentielle” suivante, relative aux Témoins de Jéhovah et signée par le ministre de l’Intérieur:
“1) Par la circulaire No S.I. — 981/70, Prec. 21088 de la 1re sec/2e division de la région militaire G., datée du 21 octobre 1970, une série d’instructions a été donnée au sujet de l’illégalité de ladite secte et de sa propagande en particulier.
“2) La presse a récemment publié les termes d’un
projet de loi sur la ‘liberté religieuse’, projet de loi qui, par sa nature même, pourrait prêter à des interprétations différentes quant à son objectif véritable, en particulier dans l’esprit des jeunes gens qui voudraient être exemptés du service militaire.“3) Compte tenu de ce que stipule la clause 2, les faits ont été présentés à son Excellence le ministre de l’Intérieur, qui a jugé bon de formuler la dépêche suivante: “‘Le projet de loi sur la liberté religieuse ne modifie en rien les restrictions imposées aux Témoins de Jéhovah pour des raisons qui relèvent des plus hauts intérêts de la nation, et l’on doit continuer de réprimer leurs activités.’”
LA PERSÉCUTION CONTINUE EN ANGOLA
Pendant ce temps, une nouvelle vague de persécutions déferlait sur l’Angola. Le 16 mars 1970, à Nova Lisboa, sept personnes bien disposées furent arrêtées parce qu’elles étudiaient la Bible à l’aide d’ouvrages de la Société. Toutes les sept se virent condamner à des peines de prison de deux à cinq ans. Une lettre d’un de ces amis de la vérité révèle la façon dont on les traitait: “Le 10 juin, nous avons été transférés à Sá da Bandeira, dans le district de Huíla. Nous y sommes restés quatre jours, dormant sur des planches, sans couvertures, dans une cellule sans lumière. On nous donnait seulement une cuillerée de soupe à quatre heures de l’après-midi.”
Il y a tout lieu de croire que les autorités coloniales angolaises ont pensé qu’il était temps d’“arrêter et de détruire” l’œuvre des Témoins. Frère João Mancoca avait enfin été libéré en août 1970, après avoir passé plus de neuf ans dans les camps de travail pénitentiaires. Mais, dès avril 1971, il était de retour en prison avec plus de trente autres Témoins fidèles.
LA PERSÉCUTION FAVORISE LES PROGRÈS DE L’ŒUVRE
En dépit de cette nouvelle offensive lancée en Angola contre les Témoins de Jéhovah, le message du Royaume de Dieu continuait à toucher le cœur des gens qui avaient la disposition voulue pour la vie éternelle. Parmi les plus de cinq millions d’habitants disséminés dans ce pays plus vaste que la France, l’Allemagne et l’Italie réunies, des centaines de personnes venaient à la connaissance de la vérité. En 1971, on enregistra un maximum de 487 proclamateurs, ce qui représentait un accroissement de 88 pour cent sur la moyenne de l’année précédente. De plus, 1 311 personnes assistèrent au Mémorial.
En 1961, quand les difficultés commencèrent, on comptait un millier de proclamateurs au Portugal. Mais dix ans plus tard, on releva un maximum absolu de 9 086 proclamateurs. La même année, 20 824 personnes assistèrent à la célébration du Mémorial.
DES VENTS DE RÉFORME
Le 15 juin 1971, l’Assemblée nationale, composée de 120 députés, se réunit pour discuter le projet de loi sur la liberté religieuse. Les journaux et les périodiques publièrent des éditoriaux tels que nombre de gens étaient étonnés de les voir survivre aux ciseaux d’Anastasie. Ainsi, voici ce que l’on pouvait lire, le 26 mars 1971, dans Vida Mundial, le principal hebdomadaire d’actualité du pays, sous la manchette “Catholicisme et patriotisme”:
“Dans l’intention d’assurer des privilèges déguisés [à l’Église catholique], on a récemment formulé quantité d’affirmations qui ne correspondent en rien à la vie religieuse véritable de la nation portugaise. Nous ne sommes pas une nation catholique. Nous sommes
plutôt une nation dont la majorité des membres se disent catholiques, une nation qui se compose avant tout d’une pluralité de races et de religions. Ce fait est indéniable. (...) Aussi séduisante que cette position puisse paraître, il ne convient pas aux autorités civiles de pencher pour une religion en particulier (...). Si l’on reconnaît une religion, alors il faut reconnaître toutes les autres, au nom des principes les plus élémentaires de la liberté.”LES DÉPUTÉS REÇOIVENT LE TÉMOIGNAGE
Le temps était venu d’informer le législateur sur les Témoins de Jéhovah. On prit donc rendez-vous avec quatorze parlementaires de l’Assemblée nationale connus pour être favorables à la liberté religieuse. Pour la première fois, les Témoins de Jéhovah parvinrent à parler avec des membres du corps législatif le plus important du pays. Ils furent même invités chez certains de ces députés et entretinrent avec eux des conversations amicales pendant des heures. On remit également à chaque député une déclaration de douze pages qui exposait nos croyances, ainsi que plusieurs de nos publications.
Frère Armando Monteiro, de Porto, eut la possibilité de parler avec le député Sá Carneiro, en compagnie duquel il avait fait ses études supérieures. Celui-ci s’était alors rendu célèbre dans le pays comme le défenseur principal des libertés civiles. Il dit à frère Monteiro: “Vous aurez un rude combat à mener pour obtenir la reconnaissance légale de votre œuvre, surtout à cause de la guerre d’Angola et de votre neutralité dans ce genre de conflit. Toutefois, je souhaite que la liberté religieuse s’étende à tous, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire passer une loi qui garantisse cette liberté.” Fait intéressant, cet homme devint plus
tard premier ministre et le resta jusqu’à sa mort, en 1980.LA LOI SUR LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
Le 21 août 1971 fit date dans l’histoire des libertés civiles au Portugal. En effet, ce jour-là, la loi no 4/71 qui garantissait les libertés religieuses fut adoptée. Aux termes de cette loi, toute religion qui désirait être reconnue devait faire signer une pétition formelle par 500 de ses membres et y joindre des renseignements détaillés sur ses croyances, ses réunions, ses publications, etc.
L’année suivante, à la surprise générale, fut promulguée une autre loi exigeant que chaque signature de la pétition soit notariée. En novembre 1972, un dossier de cinq centimètres d’épaisseur fut déposé sur le bureau du ministre de la Justice. Ainsi, les Témoins de Jéhovah furent le premier groupement religieux à demander sa reconnaissance légale après la parution de cette nouvelle loi. Cependant, les remarques des fonctionnaires nous firent comprendre que nous ne devions pas nous attendre à une réponse immédiate.
ANNULATION DE L’ASSEMBLÉE DE DISTRICT DE 1971
Puisque les assemblées étaient toujours interdites au Portugal, le voyage en France était cette fois encore l’événement de l’année. Les 3 500 frères qui attendaient avec impatience l’assemblée de district “Le nom divin” qui devait se tenir à Toulouse furent navrés d’apprendre, une semaine seulement avant la date fixée pour leur départ, que ce rassemblement était annulé parce que l’on redoutait une épidémie de choléra. Que faire? Les frères de Lisbonne apprirent qu’une assemblée devait se tenir aux mêmes dates à Londres, en Angleterre. En toute hâte, on négocia donc de nouveau les contrats passés avec les entreprises de transports. Le dernier
obstacle fut franchi quand le gouvernement, en un temps record, accorda un permis de circulation à dix cars.Au terme d’un long voyage, les frères furent stupéfaits par l’étendue de Londres. Ils durent tourner en rond pendant un temps qui leur parut interminable avant d’arriver sur les lieux de l’assemblée, à Twickenham. Certains, désespérément perdus, n’eurent d’autre ressource que de demander, en mauvais anglais, quelque chose comme: “Moi, Témoin de Jéhovah. Où Twickenham?” Les policiers britanniques se montrèrent très obligeants, et certains de nos frères furent même escortés jusqu’à l’endroit de l’assemblée. Plusieurs cars arrivèrent finalement au Béthel de Mill Hill au petit matin. Les frères n’oublieront jamais l’accueil chaleureux qu’on leur ménagea. On s’empressa de transformer la Salle du Royaume du Béthel de Londres en dortoir de fortune.
DES FRÈRES SOURDS-MUETS SONT ARRÊTÉS
En octobre 1971, un groupe de frères sourds-muets, mais zélés, tenait régulièrement des réunions à Lisbonne. Un jour, la police se présenta alors qu’ils étaient assemblés pour l’étude de livre, mais personne ne vint ouvrir la porte, faute d’avoir entendu frapper. Les policiers, perplexes, attendirent la fin de la réunion pour arrêter les frères à la sortie de la maison. Ils furent vraiment surpris que personne ne réponde à leurs questions ni ne souffle un seul mot.
Comme les frères expliquaient calmement, par gestes, qu’ils ne pouvaient ni parler ni entendre, les policiers devinrent de plus en plus soupçonneux. Leur confusion était assez comique; certains étaient persuadés qu’on les mystifiait. On trouva le propriétaire de la maison non loin de là, et on l’emmena avec les dix-sept frères au poste de police. Les policiers leur firent subir des
tests pour savoir s’ils étaient réellement sourds et muets. Quand ils en furent convaincus, ils retirèrent leurs accusations.DES LAMES DE FOND
Aussi surprenant que cela puisse paraître, compte tenu du courant favorable à la liberté religieuse, le printemps 1972 vit naître des rumeurs qui laissaient entrevoir un réveil de certaines mesures répressives. En effet, un bulletin de la Garde nationale républicaine (GNR) nous parvint par l’entremise d’un policier qui s’intéressait à la vérité. Il s’agissait du “Bulletin no 1441/3a du quartier général républicain”, daté du 9 mars 1972 et intitulé “ACTIVITÉS DE LA SECTE LES TÉMOINS DE JÉHOVAH”. Voici, entre autres choses, ce qu’on lisait:
“En ce qui concerne la question susmentionnée, le général commandant en chef m’a chargé de déclarer que nous devons intensifier nos efforts pour dévoiler leurs agissements et pour les traiter en conséquence. Il est clair que cette secte est de nature subversive, et les lois qui ont cours actuellement nous autorisent à réprimer ses activités.”
Rien d’étonnant donc à ce que le soir du Mémorial, le 29 mars 1972, les policiers aient fait irruption dans trois des lieux de réunions de Lisbonne et emmené tous les assistants au poste de police. Toutefois, ils ne demandèrent aucune caution et relâchèrent vite tous les frères. On ne rapporte pas d’autres incidents similaires, ce qui laisse à penser que ces forces de police spéciales n’étaient pas décidées, dans leur ensemble, à lancer une campagne nationale contre les Témoins de Jéhovah.
DES CHEFS DE POLICE COMPLAISANTS
En réalité, de nombreux policiers se montraient
tolérants à l’égard des Témoins. Ainsi, deux sœurs relatent le fait suivant: “Alors que nous accomplissions notre ministère de maison en maison, un homme vint nous ouvrir en pyjama, visiblement irrité. Nous avons pris poliment congé et continué notre prédication. Mais il nous attendait à la sortie de l’immeuble. Comme il était policier, il nous enjoignit de l’accompagner. Nous lui avons suggéré de mettre un pardessus, en lui promettant que nous ne nous enfuirions pas. Nous avons cependant tiré parti des quelques minutes que cela nous laissait pour mettre nos publications en lieu sûr, dans une poubelle toute proche.“En arrivant au poste de police, fier de sa prise, l’homme qui nous avait capturées s’exclama avec arrogance: ‘Voici deux Témoins que j’ai surpris en train de prêcher! Arrêtez-les!’ Quel choc pour lui d’entendre son chef le réprimander en ces termes: ‘Vous devriez avoir honte! Vous, un policier, dans les rues en pyjama! Rentrez donc chez vous et allez vous habiller correctement!’ Sur quoi il nous congédia et nous revînmes chercher nos publications.”
Dans un autre cas, quand deux frères, qui avaient été arrêtés alors qu’ils participaient au service du champ arrivèrent au poste de police, l’officier qui les avait interpellés déclara, très sûr de lui: “Voici deux Témoins de plus! Jetez-les en prison!” Mais le chef répliqua: “Qu’est-ce qui vous prend? Je ne veux plus qu’on m’amène de Témoins. Vous, vous seriez bien capable d’arrêter ma propre mère!” Le chef de la police relâcha les frères sans plus de formalités.
RETOUR AU TRIBUNAL
Puisque l’édition de mars 1972 du bulletin de la Garde nationale républicaine (GNR) n’était pas parvenu à freiner l’activité des Témoins de Jéhovah, on promulgua en novembre 1972 une loi qui servit de
prétexte à la Police de sûreté publique (PSP) pour interrompre nos réunions. Cette loi déclencha en effet une vague d’arrestations dans des villes comme Gondomar, Torres Vedras, Parede et Lisbonne en métropole, et Funchal à Madère. Il en résulta une série de procès dans lesquels des juges courageux acquittèrent les Témoins et, par leurs jugements, défendirent hardiment la liberté religieuse.Le procès de Peso da Régua, bastion séculaire du catholicisme situé dans le nord du Portugal, était très attendu. Ce territoire isolé venait juste de s’ouvrir à la prédication, et là, un groupe de dix-huit personnes qui s’intéressaient depuis peu à la vérité étaient jugées parce qu’elles s’étaient réunies dans une demeure privée pour étudier la Bible. Frère Agostinho Valente, le pionnier spécial qui s’occupait du groupe, nous rapporte ce qui s’est passé:
“En définitive, le plus beau témoignage fut donné par deux femmes bien disposées de condition très modeste. L’atmosphère des salles d’audience austères, généralement inquiétante, ne leur fit ni chaud ni froid. Elles exprimèrent la joie qu’elles avaient éprouvée en apprenant une foule de choses merveilleuses grâce à la Bible avec tant de naturel, de clarté et de force que le juge lui-même en fut visiblement impressionné.” Son verdict leur fut favorable.
LA FOI DES CHRÉTIENS NEUTRES EST MISE À L’ÉPREUVE
Frère Fernando Silva, de Porto, se rappelle très bien la rude épreuve qu’il dut affronter pour garder son intégrité, parce qu’il refusait de faire le service militaire à cause de sa conscience de chrétien: “J’ai été arrêté en décembre 1972, dit-il, et incarcéré pour quinze mois. Malgré les efforts répétés, y compris la ‘persuasion’ violente, qu’on mit en œuvre pour me faire changer
d’avis, je n’ai pas transigé. On m’a transféré dans la prison de Trafaria, près de Lisbonne. Là mon ‘traitement’ comprenait le fouet. En définitive, on m’a fait monter dans un avion en partance pour l’Angola.“J’ai bien vite compris que cela ne présageait rien de bon. Je me suis retrouvé à Nova Lisboa, sous l’autorité d’un capitaine qui s’était rendu tristement célèbre par sa cruauté. Là-bas, les châtiments corporels devinrent monnaie courante, de plus en plus fréquents et sévères. Comme on me privait souvent de nourriture, je m’affaiblissais de jour en jour. J’ai constamment prié Jéhovah, et je puis dire qu’il ne m’a pas abandonné. En effet, plus on me battait, moins je sentais les coups. En outre, des soldats compatissants m’apportaient du pain et des fruits.
“Un soir, le capitaine entra dans ma cellule avec du papier et un stylo. Il m’invita à écrire une lettre d’adieu à mes parents, parce que je devais être fusillé. Suppliant Jéhovah de m’accorder la force nécessaire pour ne pas me décourager, j’ai rédigé la lettre, persuadé que j’allais mourir. Alors seulement j’ai appris qu’il s’agissait d’une ruse. Finalement, j’ai été jugé par un tribunal militaire et condamné à deux ans et quatre mois d’emprisonnement.”
Un médecin issu d’une famille en vue prit position pour la neutralité avant même d’être baptisé. Son frère avait été décoré pour la bravoure dont il avait fait montre au cours de la guerre coloniale, et l’on s’attendait vraiment à ce que lui aussi manifestât la même ardeur patriotique. Toutefois, il avait décidé de ne pas participer au conflit colonial en Afrique, et il choisit un moment approprié pour exposer sa position fondée sur la Bible, au cours d’une réunion de famille. Ne pouvant se résoudre à accepter sa décision, sa mère prit rendez-vous pour lui au quartier général de l’armée. José
Manuel Paiva saura nous raconter l’entrevue mieux que quiconque:“Dès le début, il était évident que ma mère se frappait parce que j’étais ‘la brebis galeuse’ de la famille. Aussi ai-je demandé la permission d’expliquer les raisons de ma décision. L’officier m’écoutait attentivement, mais ma mère interrompit la conversation et s’écria: ‘C’est à cause de ces Témoins de Jéhovah. Ils ont fait subir un lavage de cerveau à mon fils. Ce sont des fanatiques!’ Contre toute attente, l’officier répondit: ‘Non, je ne pense pas qu’ils soient fanatiques. J’ai écouté votre fils expliquer ses croyances. Il sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Bien entendu, je ne peux pas être d’accord avec lui, étant donné que je suis militaire de carrière. Malgré tout, j’ai du respect pour ces gens-là. J’ai entendu d’autres Témoins exposer les raisons pour lesquelles ils ne participent pas à la guerre, et je me suis rendu compte qu’ils sont capables d’expliquer leur foi avec beaucoup d’intelligence. Les fanatiques, ce sont ceux qui vont à Fátima [un lieu de pèlerinage catholique du Portugal] sans savoir pourquoi et sans comprendre ce qu’ils croient.’
“Puis il me dit: ‘Vous êtes médecin, n’est-ce pas? Pourquoi donc ne pas préparer une déclaration sous serment, signée par deux de vos collègues, affirmant que vous souffrez d’une maladie quelconque? Nous insérerons ce document dans votre dossier, et vous serez exempté du service militaire.’ Je l’ai remercié de sa considération, mais je lui ai dit que je ne pouvais agir ainsi, parce que ce serait faux. À ma grande surprise, il se tourna vers ma mère et lui dit: ‘Vous avez entendu? Je lui ai proposé cela à dessein, parce que je savais que les Témoins de Jéhovah ne mentent même pas. Eh bien, votre fils est un homme de cette envergure. Vous devriez être fière de lui!’” À présent, ce frère est ancien.
UN ACCROISSEMENT RAPIDE
Vers la fin de l’année de service 1972, l’organisation théocratique avançait d’un pas résolu. Le nombre des proclamateurs atteignit six maximums consécutifs. En outre, c’était aussi la troisième année de suite où plus de 1 000 personnes avaient été baptisées. Les frères conduisaient plus de 10 000 études bibliques, et on atteignit le chiffre impressionnant de 23 092 assistants au Mémorial. Dans Lisbonne, il y avait alors un proclamateur pour 226 habitants. Aussi la filiale encouragea-t-elle les frères à quitter la capitale pour aller servir là où ce serait plus utile.
En effet, même dans de grandes villes, le nombre de proclamateurs était insuffisant. Témoin Setúbal, ville peuplée de 60 000 habitants et située à seulement 40 kilomètres au sud de Lisbonne. En 1968, la congrégation locale ne comprenait que vingt-sept proclamateurs. La filiale y nomma cinq pionniers spéciaux, et, en 1972, la congrégation comptait un maximum de 140 proclamateurs. La même année, 375 personnes assistèrent au Mémorial. Aujourd’hui, il y a trois congrégations dans cette ville.
L’ASSEMBLÉE INTERNATIONALE DE 1973
En raison de cet accroissement, on atteignit le chiffre record de 8 150 assistants aux sessions portugaises de l’assemblée “La victoire divine”, qui se tint au Palais du Centenaire, à Bruxelles. Des milliers de frères espagnols et belges s’y étaient également rassemblés, de sorte que l’assistance totale et maximale dépassa les 50 000. Le nombre des Portugais présents était particulièrement remarquable, étant donné que la majorité d’entre eux n’avaient pas de passeport et que le gouvernement n’était pas disposé à leur en délivrer un. On accorda un “passeport collectif” spécial aux Témoins qui assuraient que leur groupe de 25 voyageurs
rentrerait au Portugal. Pour le transport, on affréta quatre trains, chargés chacun d’un millier de passagers, ainsi que six avions et d’innombrables cars.Les Témoins portugais eurent également l’occasion de retrouver leurs frères venus de lieux éloignés, tels le Mozambique, l’Angola, Cap-Vert, Madère et les Açores, ce qui édifia leur foi.
L’amour s’exprime et se comprend de la même façon dans toutes les langues. Cela fut démontré une fois de plus par les efforts faits pour loger les frères à l’occasion de l’assemblée de Bruxelles. Rendez-vous compte: Une congrégation de Bruxelles, qui comptait cinquante proclamateurs, pourvut au logement de 350 personnes. Nombre de frères furent très heureux d’offrir leur propre lit à leurs hôtes. Certains avaient jusqu’à vingt-cinq hôtes chez eux. Un frère devait loger quinze Témoins chez lui, mais il était encore désireux de faire davantage. Il loua donc toutes les chambres d’un petit hôtel proche du lieu de l’assemblée pour tout le temps que durerait le programme et dit au responsable du service du logement: “Tu peux attribuer ces chambres à ceux qui sont vraiment dans le besoin.”
La scène d’adieu à la gare fut réellement inoubliable. Tout le monde s’embrassait et échangeait des fleurs et des souvenirs. Un policier fut tellement touché par cette démonstration d’amour chrétien qu’il décida d’apporter lui-même un cadeau.
Cette assemblée eut un impact extraordinaire sur nos frères. L’escorte de police qui guidait un convoi de Témoins à travers la ville amena l’un d’eux à faire cette remarque: “Cela change! Ici, les policiers sont devant, pour nous guider. Au Portugal, ils sont toujours derrière, pour nous pourchasser.”
S’adressant à l’assemblée portugaise, frère Knorr acheva son discours par ces mots: “Continuez à servir
Jéhovah fidèlement. On ne sait jamais ce qu’il permettra. Qui sait, peut-être assisterez-vous à votre prochaine assemblée internationale au Portugal!”UN COUP D’ÉTAT
De l’intérieur même de l’armée, une révolution éclair fut préparée et menée à bien le 25 avril 1974. La longue guerre coloniale en Afrique avait engendré un mécontentement croissant. On ne pouvait pas escompter de victoire militaire en Angola, au Mozambique ou en Guinée-Bissao. Compte tenu de la politique inflexible que le gouvernement menait vis-à-vis des colonies, les soldats décidèrent d’eux-mêmes qu’il était temps de mettre un terme aux hostilités.
La population en général soutint de tout cœur cette révolution, menée pratiquement sans effusion de sang. Quelle stupéfaction de voir les institutions qui tenaient le pays d’une poigne de fer s’effondrer du jour au lendemain! Des centaines d’agents de la PIDE furent arrêtés. Étonnant renversement de situation, en vérité! Cette fois, c’étaient les agents de la PIDE que les soldats emmenaient sous la menace de leurs armes.
LA PÉRIODE DE TRANSITION
Le nouveau régime proclama rapidement la liberté d’expression et rétablit les libertés civiles en général. Peu après, le ministère de la Justice fit savoir à notre avocat que tous les procès intentés à des Témoins de Jéhovah étaient abandonnés.
Nous avons aussi appris que le gouvernement précédent avait laissé en sommeil notre demande de reconnaissance. Maintenant, nous avions des contacts hebdomadaires avec les autorités, qui étaient favorables à l’établissement légal de notre œuvre.
LA DERNIÈRE ASSEMBLÉE À L’ÉTRANGER
Pendant l’été 1974, 12 102 Portugais assistèrent à
l’assemblée de district “Le dessein divin” qui se déroula à Toulouse, en France. Jamais dans l’histoire de l’œuvre au Portugal on n’avait utilisé des transports aussi importants pour une assemblée à l’étranger. Un inspecteur du chemin de fer observa les frères qui nettoyaient un wagon et fit cette remarque: “En vingt-cinq ans de travail dans les chemins de fer, je n’ai jamais vu chose pareille. C’est pour le moins surprenant. Vous êtes vraiment différents de tous les autres passagers.”Ce fut là le plus magnifique de nos séjours annuels à l’étranger. Les frères firent de grands sacrifices pour assister à l’assemblée de district et prêtèrent une attention intense depuis les premières paroles de bienvenue jusqu’au dernier mot de la prière finale. Nous conserverons toujours précieusement le souvenir de tous ceux qui ont été nos hôtes au fil des années.
UN ÉVÉNEMENT HISTORIQUE
Le 18 décembre 1974, les Témoins de Jéhovah furent légalement reconnus dans le pays. Trois jours après, deux réunions inoubliables furent tenues en présence de frères N. Knorr et F. Franz. L’une se
déroula à Porto avec une assistance de 7 586 personnes, et l’autre à Lisbonne, devant 39 284 assistants.La signification de l’événement fut ainsi résumée par le journal Diário Popular de Lisbonne, dans son édition du 26 décembre 1974: “Jusqu’au 25 avril, il était dangereux, voire subversif, d’être Témoin de Jéhovah. Mais les temps ont changé. À présent, il est possible non seulement d’être Témoin au Portugal, mais encore de s’y assembler publiquement. C’est ce qui a eu lieu à Lisbonne, au stade Tapadinha, où des milliers de Témoins se sont réunis librement (...). Les haut-parleurs faisaient retentir le thème de la paix sous l’unique ‘gouvernement de Dieu’. Tout cela s’est passé dans un stade de football où l’on a assisté à des rassemblements nettement moins édifiants.”
LA NOURRITURE SPIRITUELLE
Au cours des années d’interdiction, Jéhovah nous a toujours dispensé la nourriture spirituelle par l’entremise de son organisation. De nombreuses filiales nous envoyaient régulièrement des petits colis de publications, mais avec le temps ceux-ci furent de plus en plus souvent confisqués. D’année en année, des frères qui venaient passer leurs vacances au Portugal ont introduit un grand nombre de publications. Nous désirons saluer avec gratitude le courage de ces frères et remercier tous ceux qui ont participé si volontiers à cette activité. — II Tim. 1:7.
LES DÉPÔTS SOUS L’INTERDICTION
Au fur et à mesure que l’organisation croissait, il nous fallait des locaux pour travailler, et nous en avions trouvé dans plusieurs villes. L’un de ces endroits fut surnommé “le trou”. En effet, comme la lumière du jour n’y pénétrait pas, on avait dû percer un trou dans le mur pour l’aération. Un frère travailla fidèlement dans
ce local pendant huit ans. Voici son récit: “J’ai toujours éprouvé une aversion particulière pour les rats et les moustiques. Malheureusement, ‘le trou’ en était infesté. Au début, quand j’entrais dans ‘le trou’, il me fallait sauter par-dessus les rats, tandis que ceux-ci couraient se cacher. Après, ils se sont habitués à ma présence, et ils défilaient lentement, tout près de moi, pendant que je travaillais. C’est étrange, mais dans ces circonstances particulières, j’arrivais à les supporter.”Avec l’aide des frères qui travaillaient pour des entreprises commerciales, nous avons pu importer notre édition de La Tour de Garde. Manifestement, les douaniers étaient “aveuglés”. Ils ne se rendaient pas compte de ce qu’ils laissaient passer. Cette méthode a été employée pendant un bon nombre d’années, jusqu’à ce que nos besoins deviennent trop importants. Même pendant la crise du papier qui sévit au début des années soixante-dix, Jéhovah dirigea les événements de telle sorte que des tonnes et des tonnes de papier nous parvinrent.
Au cours des années, un grand nombre de fidèles anciens travaillèrent dur pendant de longues heures, après leur journée de travail, afin de s’assurer que les publications essentielles seraient mises à la disposition des frères en temps voulu. Les rapports indiquent que plus de 1 400 000 livres ont été produits par des imprimeries commerciales, outre des millions de brochures, de périodiques et de tracts. Jéhovah nous a indubitablement protégés.
Toutefois, comme l’œuvre était à présent reconnue, nous pouvions désormais nous approvisionner directement au siège de la Société. Quelle joie pour nous de recevoir en 1975 un premier container de 14 tonnes qui nous apportait le nouveau livre de 416 pages intitulé Le Royaume millénaire de Dieu s’est approché!
PRÉPARATION À L’EXPANSION
Jouissant à présent de la liberté de culte, nous avons pris les mesures nécessaires pour rationaliser l’organisation à tous les niveaux. Nous avons déniché un bâtiment susceptible de convenir à notre filiale à Estoril, dans la banlieue de Lisbonne. Le propriétaire de cet immeuble moderne de deux étages hésitait à le louer aux Témoins. Toutefois, ses doutes se dissipèrent quand il eut consulté son notaire, qui lui assura: “Vous ne pourriez trouver de meilleurs locataires. Les Témoins de Jéhovah prendront soin du bâtiment comme s’il leur appartenait.” Nous avons acheté cet immeuble en 1976 et l’avons agrandi en 1977 pour pouvoir stocker des publications et installer une petite imprimerie offset.
Les frères acceptèrent avec joie un nouveau privilège, celui d’organiser leurs propres assemblées de circonscription et de district. Ce n’était pas une mince affaire, car les circonscriptions ne disposaient d’aucun matériel, pas même de la moindre marmite ni de la plus petite casserole. La filiale organisa une série de réunions pour assurer la standardisation de tout le matériel qu’on allait fabriquer pour les douze circonscriptions. L’équipement de la cafétéria et de la sonorisation pourrait ensuite être assemblé et fonctionner convenablement dans les assemblées de district. Tout le matériel nécessaire était fin prêt pour l’été 1975, où il fut bien utilisé au cours des trois premières assemblées de district du Portugal, lesquelles rassemblèrent au total 34 529 personnes pour le discours public.
RÉOUVERTURE DES SALLES DU ROYAUME
En janvier 1975, la filiale fit savoir aux congrégations qu’elles pouvaient ouvrir des Salles du Royaume. Les frères saisirent avec joie cette occasion, et, avant la fin de l’année, plus de cent salles avaient été ouvertes.
Puisque l’achat de locaux est très onéreux, l’unique solution consistait à en louer. Nombre de salles figurent parmi les lieux de réunions les plus accueillants de leur région. Qu’il est beau de voir, dans de nombreuses Salles du Royaume, de la moquette, des rideaux et d’autres choses que les frères ne pourraient pas même s’offrir pour leur propre maison! Les loyers deviennent exorbitants. Certains s’élèvent à plus de 4 000 FF par mois. Pour résoudre ce problème, dans la plupart des villes, quatre ou cinq congrégations se servent de la même salle.TIMOR
Timor est l’une des îles de l’Insulinde, au nord de l’Australie. La moitié orientale de l’île est devenue territoire portugais dès le début du XVIe siècle. En 1975, Timor réclama son indépendance. Vers cette époque, le siège de la Société demanda à la filiale du Portugal de rechercher un couple de pionniers spéciaux expérimentés qui pourraient se rendre à Dili, capitale de Timor, pour développer l’intérêt qui avait été éveillé par un frère australien en visite sur l’île.
Frère et sœur Gabriel Santos acceptèrent avec joie cette mission. Ils arrivèrent à Dili en avril 1975, mais leur ministère sur cette île fut de courte durée. Dès les premiers jours d’août, une guerre civile éclata entre les deux partis politiques rivaux. Frère Santos nous raconte ce qui s’est passé:
“Deux jours seulement avant que les fusillades commencent, j’avais acheté des vivres pour deux semaines, sans savoir que nous serions bientôt prisonniers dans notre propre appartement. Quand les balles commencèrent à percuter notre immeuble, nous avons compris qu’il ne servait à rien de se faire du souci. Nous avons plutôt prié Jéhovah pour lui confier notre vie.
Quand près de deux semaines se furent écoulées, nos provisions étaient presque épuisées. Nous étions restés seuls dans l’immeuble, car les sept autres familles qui l’occupaient s’étaient enfuies dans un camp de réfugiés. Au moment même où nous nous demandions ce que nous devions faire, un capitaine de bateau frappa à la porte. Nous avions étudié la Bible en compagnie de sa femme, et il avait bravé les balles pour venir nous tirer de là. Sans que nous sachions pourquoi, à l’instant même où nous sortions de la maison pour nous rendre au camp de réfugiés, la fusillade s’arrêta pour la première fois depuis deux semaines. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle reprit dès que nous fûmes entrés dans le camp. Après avoir passé trois jours dans le camp, le capitaine en question nous emmena jusqu’à un bateau norvégien qui nous transporta, avec 1 157 autres réfugiés, jusqu’à Darwin, en Australie. Ayant senti l’aide et la protection de Jéhovah, nous sommes plus désireux que jamais de continuer à le servir fidèlement.”En trois mois seulement, ces pionniers placèrent 567 livres, et certains de ceux qui avaient commencé à assister aux réunions à Dili furent baptisés une fois revenus au Portugal. À présent, ce territoire est sous l’autorité de l’Indonésie. Nous attendons de voir ce que l’avenir lui réserve.
UN HEUREUX PRÉSAGE
Vers la fin de l’année de service 1975, il était intéressant de faire le bilan et de se remémorer les événements importants qui étaient survenus en une seule année de liberté religieuse. On avait observé un accroissement du nombre des proclamateurs pendant neuf mois consécutifs, avec un maximum de 16 183 proclamateurs. Cela représentait une augmentation de 23 pour cent par rapport à l’année de service précédente. Au cours de l’année, 3 925 personnes avaient été baptisées, et 41 416 assistèrent au Mémorial. Tout laissait présager une expansion encore plus importante.
LA LIBERTÉ APPORTE SON LOT D’ÉPREUVES NOUVELLES
La révolution de 1974 transforma profondément la société portugaise. Une période d’agitation s’ensuivit, car les forces extrémistes excitaient la population. On organisa des “cellules de quartier”, ainsi que des “comités d’entreprise” qui faisaient office de tribunaux irréguliers et licenciaient fréquemment des ouvriers. Dans les rues, on vit apparaître sur des posters et de grandes peintures murales les portraits de Staline, de Lénine, de Marx et de Mao. Avec la vente des journaux communistes, le marteau et la faucille devinrent un emblème très répandu.
Ironie du sort, l’oppression caractéristique du régime de droite que l’on avait évincé devint l’outil du pouvoir de gauche, qui la stigmatisait naguère. C’est ce qui
ressort du fait vécu par Olegário Virginio: “Le gouvernement invita tout le monde à travailler un certain dimanche pour démontrer son soutien volontaire et massif. Tous les citoyens étaient conviés à se rendre aux champs, dans les usines et dans les bureaux pour ce ‘jour de travail et de fête célébrant la victoire des forces armées’. Comme j’avais décidé de ne pas me porter volontaire, j’ai reçu ce dimanche même un coup de téléphone destiné à m’intimider, m’enjoignant de me présenter si je ne voulais pas m’exposer à de sérieux ennuis. En allant au travail le lendemain matin, j’ai vu une effigie pendue à un grand arbre, à l’entrée de l’usine, avec les mots: ‘Pendez les Jéhovah!’“Puis l’on rassembla tous les ouvriers pour une session plénière. Quand on me convoqua, environ 400 personnes étaient présentes, tandis que les dix-sept membres du comité, au grand complet, faisaient office de juges. Alors que je commençais à défendre ma neutralité par rapport à la cause révolutionnaire, des membres du parti communiste m’interrompirent et s’en prirent à mes croyances, accusant les Témoins de Jéhovah, d’une part d’être des assassins parce qu’ils refusent les transfusions de sang et, d’autre part, d’adopter un comportement antipatriotique. Ils réclamèrent donc mon licenciement. Mais d’autres membres du comité ne partageaient pas ce point de vue. L’un d’eux me défendit en disant que l’on n’avait pas convoqué cette assemblée pour juger les convictions religieuses d’un homme, mais pour estimer la valeur d’un employé. On présenta un rapport favorable sur mon travail, et, pour conclure, on décida de me garder dans l’entreprise en raison de ma conduite exemplaire. Soit dit en passant, l’homme qui avait fait pendre l’effigie s’est suicidé quelque temps plus tard.”
UN AUTRE GENRE D’ÉPREUVE
Pendant cette période, il n’était pas rare de voir les gens rendre hommage à des chefs révolutionnaires défunts, comme Salvador Allende, en observant cinq minutes de silence. Dans une situation analogue, à la suite de la mort d’un soldat portugais, voici ce qui arriva à Mário Neto:
“Puisque je n’avais pas participé à la cérémonie, des collègues de travail communistes saisirent l’occasion pour m’accuser. Le jour de la session plénière, 250 employés se rassemblèrent dans la salle d’audience. Neuf juges, qui représentaient différentes parties du personnel des bureaux, s’assirent à une longue table. J’ai posé les conditions suivantes avant de présenter ma défense, conditions qui furent acceptées: 1) Je ne serais pas interrompu pendant ma plaidoirie. 2) Tous seraient autorisés à poser des questions quand j’aurais fini de parler. 3) On me permettrait d’utiliser la Bible.
“Puisque l’accusation avait trait à la vénération d’hommes défunts, j’ai pu expliquer l’enseignement de la Bible sur la condition des morts. J’ai souligné que le Royaume est le seul espoir, la seule solution aux problèmes de l’humanité agitée et exploitée. La réunion dura trois heures, et je crois que c’est là le discours public le plus important qu’il m’ait jamais été donné de prononcer. Après la session, des collègues de travail vinrent me voir et firent des commentaires favorables. Ainsi, un communiste déclara: ‘J’ai toujours eu peur de la mort, et surtout de ce que les morts pouvaient me faire. Votre explication est logique, et je tiens à vous remercier de tout cœur.’ De son côté, une catholique me dit: ‘Félicitations! Je crois que j’étais en présence d’un vrai chrétien, d’un saint Paul des temps modernes en quelque sorte. Vous avez brillamment défendu votre position. C’était un privilège que de vous entendre
parler.’ Une semaine plus tard, le comité annonça qu’il avait décidé unanimement de me garder dans l’entreprise.”UNE GRANDE PORTE S’OUVRE
Notre œuvre progressait alors à pas de géant. Sur une période de trois ans, entre 1975 et 1977, on formait en moyenne une nouvelle congrégation par semaine. Examinez les chiffres suivants. Au cours des deux années 1976 et 1977, on distribua plus de 110 000 Bibles, de sorte que les Témoins de Jéhovah devinrent les premiers diffuseurs de la Bible au Portugal! Pendant la même période, la filiale envoya plus d’un million de livres aux congrégations. En 1977, on releva un maximum de 20 335 proclamateurs, tandis que le nombre d’assistants au Mémorial, plus important que jamais auparavant, s’élevait à 47 787.
Au cours de cette période, nous avons organisé une vaste campagne pour porter la bonne nouvelle à tous les territoires isolés. Quantité de pionniers spéciaux temporaires se groupèrent dans des voitures pour s’y rendre. La filiale reçut des appels téléphoniques demandant l’envoi urgent de 1 000 livres supplémentaires. En effet, il n’était pas rare que quatre pionniers groupés dans une voiture placent plus de 2 000 livres par mois. Vraiment donc, un puissant témoignage fut ainsi donné.
DES PIONNIERS EN GUINÉE-BISSAO
La Guinée-Bissao se situe sur la côte occidentale de l’Afrique, entre le Sénégal et la Guinée, et elle compte 530 000 habitants. C’est l’une des nouvelles républiques africaines. Elle a proclamé unilatéralement son indépendance en 1973 et l’a obtenue au plein sens du terme après la révolution portugaise de 1974. La majorité de ses habitants sont de confession musulmane.
Au fil des années, plusieurs proclamateurs s’étaient rendus dans ce pays et avaient fait leur possible pour y
semer la vérité du Royaume. Toutefois, c’est en avril 1976 que l’on commença véritablement à organiser l’activité, lorsque deux pionniers spéciaux vinrent du Portugal. Ils accomplirent un travail extraordinaire au cours des quatorze mois qui suivirent, selon ce que rapporte Manuel Silvestre: “Les gens se montrent réceptifs à la vérité. À présent, mon compagnon et moi-même conduisons en tout soixante-sept études bibliques.”Les frères s’organisèrent pour aller prêcher dans des villes éloignées à l’occasion de la visite du surveillant de circonscription, en mai 1977. Frère Rodrigo Guerreiro nous décrit les résultats de cette campagne dans son rapport. “On ne pouvait louer une voiture que pour peu de temps, écrit-il, aussi l’avons-nous chargée d’autant de publications qu’elle pouvait en tenir. Les deux pionniers spéciaux, ma femme et moi-même nous sommes mis en route pour Mansôa, Bafatá et Nova Lamego. Nous avons remarqué qu’il était courant de placer cinq ou six livres à une seule et même personne. En deux jours et demi seulement, nous avons distribué 774 livres et Bibles.”
On se prépara donc à envoyer d’autres prédicateurs de la bonne nouvelle, mais l’Église catholique ne voyait pas d’un bon œil la présence des pionniers. Sur un ton sarcastique, un prêtre dit un jour à frère Manuel Silvestre: “Nous vous avons mené la vie dure au Portugal parce que vous ne vous battiez pas en Afrique; vous feriez donc mieux de vous préparer à rencontrer de l’opposition ici même!”
Peu après, on somma les deux pionniers spéciaux de quitter le pays dans les quarante-huit heures, sous prétexte que leurs ‘activités affectaient la sûreté intérieure de l’État’. En septembre 1977, nous avons eu une entrevue avec l’ambassadeur à Lisbonne. Nous voulions
savoir en quoi les pionniers expulsés avaient affecté la sûreté intérieure de l’État, mais il ne nous donna pas la moindre explication.L’avenir nous dira ce que Jéhovah fera pour ce pays. En tout cas, lors de leur séjour, les pionniers ont donné le témoignage à de nombreux membres du gouvernement, et même au président en personne.
DES PROGRÈS AU CAP-VERT
En 1968, on comptait trois proclamateurs au Cap-Vert. En 1974, date à laquelle les colonies portugaises obtinrent leur indépendance, on atteignit un maximum de quatorze proclamateurs. L’archipel subissait alors sa septième année de sécheresse consécutive. En revanche, de grands bienfaits d’ordre spirituel se profilaient à l’horizon.
Quatre pionniers spéciaux venus du Portugal furent nommés dans deux îles différentes. Ils firent un excellent travail, de sorte qu’à la fin de l’année de service 1976, on enregistra un maximum de soixante proclamateurs, ce qui représentait un accroissement de 130 pour cent par rapport à l’année précédente. Au cours de l’année, ce groupe rempli de zèle, qui comprenait à présent dix pionniers, plaça plus de 3 000 Bibles et livres. Il y eut également 130 assistants au Mémorial, chiffre jamais atteint auparavant.
La première assemblée de district complète qui se tint à Praia, la capitale, en 1977, fut un événement remarquable. Les frères louèrent le plus grand cinéma de la ville pour cette assemblée de quatre jours et présentèrent intégralement trois scènes dramatiques. On dénombra 284 assistants au discours public.
Un revirement inattendu survint en janvier 1978: Les quatre pionniers spéciaux portugais furent déclarés persona non grata et expulsés. Mais cette mesure ne fit
qu’inciter les frères à se dépenser davantage. En 1982, on comptait 21 pionniers au Cap-Vert et un maximum de 147 proclamateurs. De plus, 470 personnes ont assisté au Mémorial en 1982. Aujourd’hui, la prédication du Royaume est effectuée dans cinq îles. Sans aucun doute, on peut s’attendre à une moisson plus étendue encore dans ce territoire.LA BONNE NOUVELLE SE RÉPAND DANS L’ARCHIPEL DES AÇORES
L’histoire récente de ces îles a été marquée par une émigration incessante. Mais en même temps, un flux continu de personnes comparables à des brebis se sont dirigées vers les congrégations du peuple de Jéhovah, où elles ont été rassemblées dans l’unité, “comme du petit bétail dans l’enclos”. À présent, la voix de ces proclamateurs du Royaume a gagné toutes les îles de l’archipel. — Michée 2:12.
À titre d’exemple, la congrégation de Santa Cruz das Flores fut formée en 1975. Frère José Lima revint des États-Unis sur son île natale, dans l’intention de communiquer la bonne nouvelle à ses parents et aux autres insulaires. Quand le surveillant de circonscription leur rendit visite, une salle de banquet luxueuse fut offerte pour qu’on y présentât le discours public. Trente-trois personnes s’y rassemblèrent. Après la réunion, le propriétaire déclara: “À propos, sachez que vous pouvez disposer de cette salle gratuitement, une fois par mois, pour vos réunions spéciales.”
En décembre 1981, on enregistra un maximum de douze proclamateurs sur cette petite île et, cette année-là, cinquante personnes assistèrent au Mémorial. Ce groupe vient d’achever la construction d’une belle Salle du Royaume.
Le tremblement de terre du 1er janvier 1980 sema la destruction sur une bonne partie de Terceira, tuant
56 personnes et faisant environ 15 000 sans-abri. Fort heureusement, aucun de nos frères ne perdit la vie, bien que beaucoup aient eu leur maison endommagée. À Angra do Heroísmo, le chef-lieu, la Salle du Royaume fut le seul édifice religieux qui ne souffrit pas du séisme, et on s’en servit pour loger provisoirement nos frères. La filiale du Portugal envoya plus de 500 kilogrammes de nourriture, ainsi que d’autres secours avec les premières cargaisons acheminées par le gouvernement. Un surveillant de district qu’on avait dépêché sur place pour rendre compte de la situation fit le rapport suivant: “Le mécontentement et le découragement qui envahissaient tant de victimes du tremblement de terre n’étaient pas présents chez nos frères. Ils ont été profondément encouragés de constater l’intérêt sincère que leur portaient les Témoins des îles voisines qui furent immédiatement dépêchés sur place pour évaluer les besoins de chacun.”La louange de Jéhovah dans ces îles situées au cœur de l’Atlantique est chantée crescendo d’année en année, à présent par un maximum de 303 proclamateurs fidèles.
MADÈRE VA DE L’AVANT
Au début des années soixante-dix, après plus de vingt ans de prédication, on passa sur cette île le cap des cent proclamateurs du Royaume. Personne n’aurait pu s’imaginer qu’en quelques années seulement, on dépasserait les trois cents prédicateurs de la bonne nouvelle. À présent, le maximum de proclamateurs s’élève à 396. En outre, en 1982, pour la première fois, plus de 1 000 personnes ont assisté au Mémorial.
En 1973, le chef d’un groupe de musiciens se produisit dans les hôtels luxueux de Funchal, capitale de Madère. Il nous rapporte son cas en ces termes: “Je m’étais lancé à corps perdu dans la voie du monde; je m’enivrais souvent et je menais une vie de débauche. Après que ma femme m’eut quitté, un homme qui
faisait auparavant partie de mon orchestre se mit à me parler de l’espérance fondée sur la Bible qu’il avait récemment acquise. En lisant les premières publications qu’il me donna, j’ai compris que cette espérance liée au Royaume était aussi la mienne. Après la deuxième étude biblique, je me suis rendu à la Salle du Royaume, mais je ne me suis pas senti à ma place à cause de ma tignasse hirsute et de ma barbe mal taillée. Même quand j’ai changé d’apparence, je savais qu’il me restait d’autres transformations à opérer pour plaire à Dieu.“J’ai éprouvé ardemment le désir de parler à d’autres de ce que j’apprenais, mais un contrat m’obligeait à aller jouer aux Açores. Avant de partir, j’ai pris environ soixante-dix numéros anciens des périodiques pour les étudier. Quand je les eus tous lus, j’ai voulu les donner à d’autres. Pour ce faire, après avoir joué jusqu’à 3 heures du matin, j’allais de maison en maison, mettant sous chaque porte un périodique avec un petit mot d’explications. Au terme de mon deuxième mois d’étude biblique, j’ai voué ma vie à Jéhovah.
“Ma mère, qui était une catholique dévouée, fut abasourdie en observant mon nouveau mode de vie. Un jour, elle me dit: ‘J’ai souvent prié Dieu de t’affranchir de cette vie dissolue. Comme je suis heureuse de constater que Jéhovah est ce Dieu-là, et qu’il a répondu à mes prières!’ Après avoir étudié la Bible pendant six mois, ma mère s’est fait baptiser, à l’âge de soixante-treize ans.” À présent, frère John Vieira est ancien.
Quand on annonça que l’Estádio dos Barreiros (stade de Barreiros) avait été retenu pour l’assemblée de district “La fidélité au Royaume”, en 1981, beaucoup de frères n’en croyaient pas leurs oreilles. La mairie de Funchal nous donna généreusement du bois de charpente pour notre usage à l’assemblée. On a évalué ce don à plus de 10 000 francs français. La presse, la radio et la télévision nous ont fait une excellente publicité.
On atteignit pour le discours public le chiffre record de 832 assistants.DES ÉVÉNEMENTS PALPITANTS EN ANGOLA
Le mois de janvier 1974 fut porteur d’une nouvelle réjouissante pour l’Angola. Le ministère des Territoires d’outre-mer annonça que les lois sur la liberté religieuse adoptées au Portugal devraient aussi s’appliquer dans les colonies. Alors se succédèrent plusieurs événements qui allaient exercer une profonde influence sur l’œuvre du Royaume. En mars 1975, les frères soumirent tous les documents nécessaires pour obtenir la reconnaissance légale de l’œuvre, avec les noms et adresses de cinq cents proclamateurs. Puisque le droit de réunion avait été rétabli, ils ne perdirent pas de temps. Ils saisirent l’occasion pour tenir leur première assemblée de circonscription publique. À quel endroit? Dans la Cidadela Desportiva, le plus beau centre sportif de Luanda, les week-ends du 16 et du 23 mars.
Octacílio Figueiredo se rappelle avec émotion cet événement: “La première assemblée, raconte-t-il, était réservée aux proclamateurs et à ceux qui assistaient régulièrement aux réunions. Nous étions ravis de compter 2 888 assistants au discours public. Puisque tout s’était bien passé, nous sommes allés de l’avant pour la deuxième assemblée. Cette fois, nous avons invité tous ceux qui s’intéressaient à la vérité. Il est difficile d’exprimer l’émerveillement qui nous a saisis lorsque nous avons vu 7 713 personnes présentes au second discours public. Parmi les assistants, certains avaient passé plus de quinze ans dans les prisons et dans les camps de travail coloniaux. Des larmes de joie ruisselaient sur leur visage tandis qu’ils entonnaient le cantique final.” Quel moment poignant dans la vie de ces frères fidèles!
Frère Luís Sabino nous rapporte le fait suivant,
survenu lors de cette assemblée de circonscription: “Puisque de nombreuses dissensions commençaient à faire surface dans les trois mouvements politiques qui avaient combattu les Portugais, on détacha des policiers pour protéger l’assemblée. La semaine précédente, en effet, des troubles avaient eu lieu dans la même salle, au cours d’un rassemblement politique. Un policier avait entendu tant de propos contradictoires au sujet des Témoins de Jéhovah qu’il se fit un devoir d’entrer dans la salle et d’écouter ce qu’on y disait. Cela l’impressionna tellement qu’il se précipita chez lui et revint avec sa femme et ses enfants. En conséquence, on entreprit une étude de la Bible avec cet homme et sa famille.”Le 5 septembre 1975, le journal officiel du gouvernement déclara les Témoins de Jéhovah “religion autorisée”. Par des lettres, nous avons appris que des centaines de personnes bien disposées se trouvaient dans chaque province. Quand un surveillant de circonscription rendit visite à un groupe isolé et éloigné, quelle ne fut pas sa surprise de voir 583 personnes se rassembler pour le discours public!
INTERDICTION DE L’ŒUVRE EN ANGOLA
La guerre civile éclata dans ce pays qui recherchait désespérément son indépendance. Bien que le régime colonial ait pris officiellement fin le 11 novembre 1975, avec la fondation de la nouvelle république, une période difficile s’ensuivit pour cette nation criblée de problèmes internes. Soudain, le 14 mars 1978, l’œuvre des Témoins de Jéhovah fut interdite. Toutefois, ceux-ci continuent à mener une vie exemplaire et à prier Dieu pour que ceux qui sont chargés de hautes responsabilités gouvernementales considèrent objectivement les faits. Ceux-ci, effectivement, parlent d’eux-mêmes et établissent parfaitement que les Témoins de Jéhovah constituent un peuple pacifique. Les Témoins I Tim. 2:1, 2.
d’Angola sont résolus à “mener une vie calme, avec piété et sérieux parfaits”. —LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE INTERNATIONALE AU PORTUGAL
Mais revenons au Portugal. Dans l’intervalle, on annonça que Lisbonne serait en 1978 le théâtre d’une des assemblées internationales “La foi victorieuse”. Cette nouvelle souleva une joie immense. En effet, au lieu d’être invités dans un autre pays, les frères portugais auraient, pour la première fois, le privilège d’être les hôtes.
L’endroit idéal pour cette assemblée se révéla être le stade Restelo, qui domine le Tage et le pont suspendu le plus long d’Europe. Des Témoins vinrent de plus de douze pays, et l’on compta un maximum de 37 567 assistants, tandis que 1 130 personnes furent baptisées. Environ 6 000 proclamateurs participèrent au service du champ, beaucoup prêchant dans la rue pour la première fois. Ils se dirigèrent vers les gares et les stations d’autobus, les parcs publics et les places de marché, et distribuèrent 250 000 feuilles d’invitation et 25 000 périodiques.
À la même période, un frère philippin se trouvait à bord d’un pétrolier qui se dirigeait vers le Portugal. Il désirait ardemment assister à une assemblée internationale, mais voilà: il était en mer. Toutefois, il continuait à prier à ce sujet. Quand son pétrolier remonta le Tage, il dirigea ses jumelles vers la rive. Soudain, ô surprise, il vit un panneau d’affichage annonçant le discours public de l’assemblée internationale de Lisbonne! Le pétrolier ne devait mouiller que quelques heures à Lisbonne, mais, fait étonnant, le capitaine annonça qu’une petite réparation les obligerait à rester là quelques jours. Notre frère remerciait Jéhovah de pouvoir figurer au nombre des auditeurs radieux.
Cette assemblée fut l’occasion d’heureuses retrouvailles. Quelques années auparavant, Maria et Elisa avaient été des amies intimes. Cependant, Maria avait émigré aux Pays-Bas. Dans l’intervalle, Elisa était devenue Témoin. En juillet 1974, elle était prête à se rendre en France pour assister à une assemblée de district, quand la sonnette retentit. C’était Maria, qui venait des Pays-Bas passer quelques jours de vacances au Portugal en sa compagnie. En remarquant les valises, Maria lui demanda: “Où vas-tu?”
“Nous partons à Toulouse, pour assister à une assemblée.”
“Tiens! Tu n’avais pas l’habitude de voyager, dans le temps. Au fait, de quel genre d’assemblée s’agit-il?”
“C’est une assemblée des Témoins de Jéhovah.”
“Ce n’est pas possible! Comment peux-tu fréquenter des gens pareils?”
Maria, contrariée, prit rapidement congé. Mais maintenant, où allait-elle passer ses vacances? En tout cas, sûrement pas chez un Témoin! Elle rendit visite à une autre amie, et, après avoir été invitée à entrer, elle remarqua encore qu’il y avait des valises partout. Avec quelque hésitation, elle demanda: “Où vas-tu avec toutes ces valises?”
Réponse: “Je pars en France demain!”
“Pas à Toulouse, j’espère!”
“Si, justement! Je vais assister à une assemblée des Témoins de Jéhovah; mais comment le sais-tu?”
“Peu importe — c’est effarant! — Je repars tout de suite.”
Les années passèrent et nos deux sœurs n’entendirent plus jamais parler de Maria. Et puis, juste avant l’assemblée internationale, Elisa reçut une lettre de Maria, qui lui demandait pardon pour ses paroles blessantes et son impolitesse. Elle ne formula qu’une
requête: “Peux-tu réserver un lit à ta sœur pendant l’assemblée internationale de Lisbonne?” Imaginez un peu la joie que ces deux femmes, autrefois amies intimes, ont dû éprouver en se retrouvant unies, cette fois comme des sœurs, par leur foi victorieuse!Dans un rapport sur l’assemblée, le magazine d’actualité Opção du 10-16 août 1978 déclara: “Quiconque s’est trouvé à Fátima au temps du pèlerinage sait que c’est tout à fait différent (...). L’atmosphère religieuse n’est pas la même. Ici, le mysticisme disparaît, cédant la place à une réunion où les croyants discutent harmonieusement de leurs problèmes, de leur foi et de leur perspective spirituelle. La façon dont ils se traitent les uns les autres porte l’empreinte distinctive de relations pleines de sollicitude.”
DES BIENFAITS SUPPLÉMENTAIRES
En septembre 1981, la filiale fit savoir aux frères qu’ils pouvaient de nouveau s’abonner personnellement aux périodiques La Tour de Garde et Réveillez-vous! En effet, on n’avait plus enregistré d’abonnements depuis le déclenchement des persécutions en 1961.
En février 1982, la Salle d’assemblées de Lisbonne, fraîchement construite, fut inaugurée par F. Franz. C’était presque une réunion de famille, car il avait été le premier membre du Collège central à se rendre au Portugal après la Seconde Guerre mondiale, en 1947. Cette salle accueillante de 1 315 places fut construite par les frères et sert à neuf circonscriptions de l’agglomération de Lisbonne et des environs.
D’HEUREUX RÉSULTATS GRÂCE À LA PUISSANCE DIVINE
En 1947, lorsque le premier rapport de service fut envoyé à Brooklyn, nul n’aurait pu s’imaginer l’envergure que l’organisation théocratique allait atteindre au Portugal. Des frères et des sœurs zélés, trop nombreux Éph. 3:20.
pour être tous cités par leur nom dans ce récit, ont pris des risques, en s’appuyant sur la puissance divine, pour porter la bonne nouvelle jusqu’aux confins du pays. Des pionniers sont allés à Madère, aux Açores, au Cap-Vert, en Guinée-Bissao, en Angola, à Timor et à Macao. Pour reprendre les paroles de l’apôtre Paul, Dieu a su, “selon sa puissance qui opère en nous, faire plus que surabondamment au delà de tout ce que nous demandons ou concevons”, et un témoignage magnifique a été donné. —Certains des tout premiers pionniers sont toujours actifs. On compte aujourd’hui 202 pionniers spéciaux. Quel est leur sentiment? Sœur Maria José Henriques, qui est pionnier spécial depuis plus de vingt ans, déclare: “J’ai soixante ans, mais j’éprouve toujours la même joie dans le service et le même désir d’aider
autrui. J’ai eu le privilège d’amener quatre-vingt-neuf personnes au baptême et d’en laisser de nombreuses autres bien avancées sur cette voie quand j’ai changé de territoire. Je remercie Jéhovah de l’attention et de la faveur imméritée qu’il m’a témoignées.”Graciete Andrade, une autre sœur qui sert depuis dix-huit ans comme pionnier spécial, fait le commentaire suivant: “Cela a été passionnant d’aider 106 personnes à connaître la vérité et de contribuer à la formation de trois congrégations. J’éprouve une profonde satisfaction à voir des hommes mûrs prendre la tête des congrégations comme anciens et de savoir que j’ai eu le privilège de les aider.”
L’œuvre continue à connaître l’expansion, et, pour l’année de service 1982, on a atteint le nombre maximal de 22 515 proclamateurs répartis en 393 congrégations et groupes isolés. Bien que, globalement, il y ait un Témoin pour 413 habitants dans le pays, beaucoup de travail reste à faire, car 10 pour cent de la population se trouve dans des territoires non attribués. On a également compté 58 003 assistants à la dernière célébration du Mémorial, ce qui laisse entrevoir de magnifiques perspectives de croissance pour l’avenir.
L’organisation de Jéhovah a guidé et dirigé l’œuvre au Portugal, dans les temps difficiles comme dans les temps d’expansion rapide. Jéhovah lui-même, le Grand Berger de son peuple, réalise pleinement sa belle promesse consignée en Jérémie 23:3, savoir: “Et moi, je rassemblerai le reste de mes brebis de tous les pays où je les avais disséminées, et je les ramènerai dans leur lieu de pâturage, et assurément elles seront fécondes et deviendront nombreuses.” Nos frères portugais, joyeux, vont de l’avant pour achever l’œuvre de prédication du Royaume, afin d’aider encore beaucoup d’autres ‘brebis’ à tirer parti de ce jour de salut.
[Graphique, page 234]
(Voir la publication)
Accroissement du nombre des proclamateurs
22 *
1982
20
1978
18
16
14
12
10
8
6
1968
4
2
1958
1948
1938
0
[Note du graphique]
^ § 481 milliers de proclamateurs
[Cartes, page 135]
(Voir la publication)
Portugal
Monção
Bragance
Braga
Porto
Gondomar
Peso da Régua
Vila Nova de Gaia
Aveiro
Guarda
Coïmbre
Lousa
Caldas da Rainha
Torres Vedras
Estoril
Parede
Lisbonne
Almada
Setúbal
Faro
ESPAGNE
OCÉAN ATLANTIQUE
Açores
FLORES
Santa Cruz
GRACIOSA
PICO
TERCEIRA
Angra do Heroísmo
SÃO MIGUEL
Ponta Delgada
SANTA MARIA
Madère
PORTO SANTO
MADÈRE
Funchal
OCÉAN ATLANTIQUE
Açores
Madère
EUROPE
AFRIQUE
[Cartes, page 175]
(Voir la publication)
Macao
ASIE
AUSTRALIE
MACAO
OCÉAN INDIEN
CHINE
MACAO
MER DE MACAO
TAIPA
COLOANE
[Cartes, page 177]
(Voir la publication)
OCÉAN ATLANTIQUE
AFRIQUE
ÎLES DU CAP-VERT
GUINÉE-BISSAO
ANGOLA
OCÉAN INDIEN
ASIE
Angola
Luanda
Nova Lisboa
Moçãmedes
ZAÏRE
ZAMBIE
NAMIBIE
OCÉAN ATLANTIQUE
Îles du Cap-Vert
SANTO ANTOA
SÃO VINCENTE
SANTA LUZIA
SÃO NICOLAU
SAL
BOA VISTA
MAOI
SÃO TIAGO
Praia
FOGO
BRAVA
Guinée-Bissao
Nova Lamego
Bafatá
OCÉAN ATLANTIQUE
SÉNÉGAL
GUINÉE
[Cartes, page 239]
(Voir la publication)
Timor
TIMOR
Dili
MER DE TIMOR
INDONÉSIE
AUSTRALIE
OCÉAN INDIEN
ASIE
AFRIQUE
OCÉAN INDIEN
OCÉAN PACIFIC
TIMOR
AUSTRALIE
[Illustration, page 138]
Virgílio Ferguson, qui fut désigné en 1926 pour prendre soin des intérêts du Royaume au Portugal, et João Feliciano, qui revint dans son pays natal en 1929 pour y propager la bonne nouvelle.
[Illustration, page 143]
Tout jeune, Eliseu Garrido s’intéressa à la vérité et se rangea dans les premières lignes de l’œuvre au Portugal.
[Illustration, page 146]
Delmira M. S. Figueiredo et Deolinda P. Costa, les sœurs zélées qui organisèrent le groupe d’étude biblique d’Almada.
[Illustration, page 151]
John Cooke fut le premier Témoin à être missionnaire au Portugal, et il joua un rôle capital dans l’organisation de l’œuvre. On le voit ici avec Kathleen, sa femme.
[Illustration, page 153]
Le rez-de-chaussée de ce bâtiment de Lisbonne a abrité la première Salle du Royaume du Portugal.
[Illustration, page 159]
La maison dans laquelle le premier discours public fut prononcé aux Açores, quand A. Nunes revint sur l’île du Pico, son île natale.
[Illustration, page 167]
António Manuel Cordeiro, l’un des premiers pionniers auxiliaires du Portugal, et Odete, sa femme, sont toujours pionniers.
[Illustration, page 169]
L’un des “pique-niques” organisés par les frères en vue d’une “détente” spirituelle.
[Illustration, page 191]
D. Piccone, le premier surveillant de circonscription à plein temps du Portugal, avec sa femme Elsa (à gauche); à côté, Joaquim Martins, prédicateur zélé de la bonne nouvelle, et sa famille.
[Illustration, page 240]
Le bureau de la filiale à Estoril.
[Illustration, page 255]
La Salle d’assemblées de Lisbonne.